La première version du web – on parlait alors de world wide web (www) – reposait uniquement sur la circulation de l’information vers l’utilisateur. Lorsque le web 2.0 est apparu au milieu des années 2000, l’internaute a commencé à interagir avec les fournisseurs de services, devenant partie prenante de l’écosystème. Il s’est aussi mis à partager de l’information via des réseaux sociaux et à rejoindre des communautés.
Le web3, lui, marque l’arrivée d’internet à l’âge de la maturité. En agrégeant au réseau existant les nouvelles technologies numériques, telles que la blockchain et les NFT, le web3 se projette en version décentralisée d’internet, quand les versions antérieures sont, elles, centralisées autour des fournisseurs de services. C’est cette opposition qui cristallise les enjeux, car elle porte en elle la promesse d’un grand renversement dans le partage de la valeur au sein de l’écosystème internet.
Le web3 est en effet censé corriger les excès du web 2.0, en affranchissant l’internaute des pouvoirs exorbitants des mastodontes du numérique, les Google, Apple, Meta, etc. Les géants de la Silicon Valley ont bâti leurs énormes bénéfices sur la captation des données des utilisateurs, ne leur concédant en contrepartie que la possibilité d’utiliser gratuitement leurs services. En permettant aux internautes de garder le contrôle sur leurs données personnelles, la technologie des chaînes de blocs doit favoriser le déploiement d’une architecture plus juste, respectueuse de la vie privée et soumise au contrôle de ses seuls utilisateurs. Ce chantier est à peine ébauché, mais les premières applications à voir le jour laissent entrevoir un immense champ de possibles.
Créée aux Etats-Unis en réponse au fléau de la sédentarité, l’application décentralisée Step’N encourage ses utilisateurs à pratiquer la marche ou la course à pied. Moyennant un investissement initial dans une paire de baskets virtuelle, elle récompense leurs efforts physiques par des jetons (tokens), échangeables contre des cryptomonnaies. Autre initiative intéressante, le navigateur internet en open source Brave, qui revendique déjà 50 millions d’utilisateurs, propose une navigation sans publicités invasives et débarrassée des traceurs ou cookies habituels. Les utilisateurs ont la possibilité de gagner des jetons, les basic attention tokens (BAT), en visionnant des publicités de leur propre chef. Ces jetons sont ensuite échangeables contre des cartes cadeaux, des cryptomonnaies ou des contributions au développement d’autres sites web.
La banque constitue un autre terrain d’expérimentation prometteur. Des applications de néobanques ont déjà commencé à bouleverser l’ordre établi en rétribuant leurs utilisateurs par des tokens. Dans le monde à sens unique que nous connaissons, le client d’une banque paie le service financier qui lui est fourni. Sur ces applications, plus il utilise le service de sa néobanque, plus il accumule des jetons. Autrement dit, les utilisateurs sont acteurs de la réussite économique de l’application, laquelle génère une récompense (une partie du chiffre d’affaires) qui est répartie dans la communauté.
De là à imaginer qu’une finance décentralisée puisse émerger du web3, il y a un pas qu’il semble difficile de franchir. Ceux qui fantasment la DeFi imaginent un système financier parallèle qui répliquerait les services et produits traditionnels et en développerait de nouveaux, le tout sans intermédiaires financiers ni organes régulateurs. Or la surveillance qui permet de canaliser les flux d’argent vers des acteurs soumis à licence est une caractéristique essentielle de la finance. Laisser circuler les flux sans supervision, c’est ouvrir la porte toute grande aux abus et aux escroqueries en tout genre.
Le web3 va continuer de creuser son sillon: de grandes entreprises entrent déjà dans le jeu, à l’image de la marque de baskets japonaise Asics qui vient de signer un partenariat avec Step’N. En revanche, l’apparition de ces nouveaux modèles économiques devrait laisser de marbre les GAFA. On les voit mal, en effet, embrasser une évolution avant tout motivée par la remise en cause de leur omnipotence. A moins d’être bousculés par l’émergence d’un géant concurrent sur le web3, mais ce n’est pas pour demain.