Bises et tapes dans le dos avant même le lever du soleil, la cinquantaine de membres du Business Network International (BNI) Neuchâtel-Littoral semble ne plus s’être vu depuis des mois tant les retrouvailles sont chaleureuses. Pourtant, c’est chaque mercredi matin que ce rituel se répète au Lobby Bar, le lieu de rassemblement sis à l’intérieur même du stade de la Maladière. Cafés et croissants avalés, le «chapter» (nom des groupes BNI) se presse à l’étage; la réunion commençant à 7 heures précises. «C’est comme ça dans le monde entier, sauf en Italie où il y a une dérogation de 30 minutes», glisse Raffaele Tonino, directeur chez Deagostini, société de plâtrerie-peinture qui revient d’une rencontre BNI à Milan, où on compte 17 «chapters», rien que dans l’agglomération.

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Reste que le principe est le même partout dans le monde. Des entrepreneurs de différents secteurs d’activité se retrouvent chaque semaine et ouvrent littéralement leur carnet d’adresses aux affiliés BNI, une manière de faire du business née aux Etats-Unis. Ce réseau mondial a généré un chiffre d’affaires de 13,6 milliards de dollars dans le monde en 2017, grâce à 236 000 membres. D’abord timide en Suisse, notamment en Suisse romande où les secrets d’alcôve et la peur de la concurrence sont encore très présents dans le monde des affaires, le BNI a conquis la Suisse alémanique en premier. Une accélération de sa croissance est cependant visible dans tous les cantons romands.

Expansion en Suisse romande

«En trois ans, nous sommes passés de 100 membres à 803 pour la Romandie et le Tessin, souligne Hugues Steyner, directeur Suisse Sud-Ouest au BNI. Le Jura bernois-Bienne va ouvrir en mai, tout comme Echallens sous l’impulsion de deux femmes entrepreneurs, suivi de Sierre et de Lavaux-Lutry.» Actuellement, la Suisse compte 75 «chapters» et 2300 membres. Celui de Neuchâtel-Littoral a été le premier en Suisse à dépasser les 50 membres en 2017, ce qui lui a valu une récompense de l’organisation faîtière.

«Le nombre de membres n’est pas un but en soi, relève le directeur du groupement neuchâtelois, François-Vincent Pradervand. Nous souhaitons établir des liens de confiance et donner envie aux gens de faire du business avec nous. Nous avons d’ailleurs à chaque séance plusieurs invités qui peuvent eux aussi présenter leur entreprise.» Trêve de bavardages, le chrono s’affiche et la séance commence. Le rituel est préformaté. Bientôt, le premier tour de table démarre. Chacun a 20 secondes pour présenter un aspect de son activité, sachant que dans la salle, il n’y a qu’un représentant par profession, un autre principe de base du BNI.

Ainsi, le patron d’une entreprise de luminaires évoque un retour d’expérience positif dans la Riviera, puis un responsable d’une société d’informatique enchaîne avec les questions de sécurité, avant qu’un fabricant d’absinthe ne lui emboîte le pas, suivi du notaire, de l’avocat, de la manager d’une société de nettoyage, de la banquière, de la courtière en immobilier et ainsi de suite.

Le premier round se poursuit avec les recommandations et les remerciements. C’est là que l’ambiance monte. Les applaudissements retentissent à chaque témoignage. On remercie et articule le montant des deals conclus grâce à une recommandation d’un membre BNI.

«Les sommes sont très variables. Cela va de quelques dizaines de francs pour une couturière à des centaines de milliers de francs pour des transactions immobilières par exemple, explique Claude Burgdorfer, trésorier du BNI Neuchâtel-Littoral et fondateur de ReviXpert. En moyenne, notre bilan est de 100 000 francs par rencontre. L’an dernier, nous avons enregistré 4,7 millions de francs de chiffre d’affaires en 48 séances. Ce n’est qu’un indicateur et cela dépend beaucoup des professions représentées dans le «chapter». Le nombre de recommandations est tout aussi important.» Tenir les comptes au BNI est un moment apprécié, une forme de motivation commune. En Suisse, l’organisation a enregistré 77 796 recommandations en 2018, pour un chiffre d’affaires de 278 millions de francs.

Objectif: faire du chiffre d’affaires

Pour obtenir ces montants, les participants ont préalablement annoncé de vive voix des requêtes précises. Il s’agit très souvent de recherches de contacts dans telle ou telle société, de mises en lien avec des offices juridiques ou financiers ou de commandes spécifiques de travaux ou de produits. En un tour de table, un membre à lui seul peut récolter le numéro de téléphone d’un chef d’entreprise qu’il souhaite joindre, le nom d’un prospect, glisser le numéro d’une connaissance qui veut refaire sa porte de garage et engager un prof de musique pour sa fille. Des échanges plutôt hétéroclites, comme la vie, en somme. «Le BNI a énormément ouvert mon réseau et nous avons la possibilité de rendre visite à d’autres «chapters» en Suisse, s’enthousiasme Laurence Schmutz, fondatrice de ViaTerra immobilier et successions. Je fais aussi partie d’autres structures de réseautage, mais ici, la situation est claire, on est là pour faire du chiffre d’affaires. Ce n’est pas le cas ailleurs. En trois ans, j’ai enregistré une croissance de 20% de mon activité. Par ailleurs, il y a une bonne représentation de femmes.»

On parle de business humainement, deux mots rarement associés et qui reviennent pourtant souvent dans ce cercle. «Je suis plutôt timide et j’ai appris à m’exprimer devant une assemblée», apprécie le directeur de Deagostini, estimant avoir réalisé quelque 200 000 francs de mandats grâce aux recommandations du BNI. Administrateur chez Batigestion, Christophe Maradan a, quant à lui, rejoint le groupe il y a six mois. Il n’a pas encore formalisé de deal, mais des discussions sont en cours. «Très souvent, le réseautage se fait le soir, à l’apéro, observe-t-il. Ici, c’est le matin, l’approche est très frontale et ensuite, on a sa journée et sa soirée. Par ailleurs, dans l’équipe BNI, tous sont des partenaires potentiels.»

Hôte du «chapter» depuis le début, Elian Bacouet, tenancier du Lobby Bar, a pu lancer un service traiteur grâce à ses relations BNI. Cette diversification de son activité représente aujourd’hui 40% de son chiffre d’affaires. «Du business, j’en ai fait depuis le début, mais c’est aussi devenu un groupe d’amis, à force de les voir chaque semaine», assure-t-il. Ce mélange des genres ne convient pas forcément à tous et demande du doigté. «On s’entend bien, mais c’est du travail, remarque Ariane Dassi, coordinatrice BNI et responsable de projet chez Orma, spécialiste d’ameublement de bureau. Les séances BNI se préparent pour avoir de bons retours. On ne peut pas arriver ici et attendre que les offres tombent. C’est un échange.»

Présence obligatoire

L’accès au BNI se monnaie quelque 4000 francs par an. La présence chaque semaine et en personne est obligatoire – seulement trois remplacements possibles par semestre. Cette routine, qui peut rebuter de nombreux entrepreneurs, est l’essence du lien. Menant les séances où tout le monde se tutoie avec une empathie non feinte, le notaire François-Vincent Pradervand tient la partition. En définitive, la musique et les applaudissements à l’américaine – qui ne plaisent pas à tout le monde, osons le dire – s’installent assez naturellement. «On refuse des personnes car la profession est déjà représentée ou parce qu’elles ne sont pas fiables, note-t-il. La philosophie est celle du «qui donne reçoit». Et si on a besoin d’un plombier ou d’une entreprise de communication, on le trouve au sein du BNI.» Il est 8h30, la séance est levée, chacun se rend à son travail avec quelques numéros de téléphone en plus ou tout au moins dynamisé par l’énergie du groupe.

TB
Tiphaine Bühler