En 2017, le groupe Lombard Odier annonçait son intention de s’installer en 2025 à Bellevue (GE), à une dizaine de kilomètres de son site actuel. Le Crédit Agricole a franchi le pas en 2018, en s’installant dans un quartier alors à peine sorti de terre à Genève Pont-Rouge. A quelques kilomètres du centre, la zone est idéalement située en matière de transports: une gare, le tramway et plusieurs lignes de bus. Ces déménagements visent souvent à quitter le centre-ville pour pouvoir construire ou emménager dans de grands espaces modernes péri-urbains. «Nous voulions offrir davantage d’espace à notre siège social et installer une nouvelle agence pour continuer à développer notre filiale, présente en Suisse depuis 2000, explique Pierre Fortis, directeur du développement de Crédit Agricole Next Bank. A l’époque, c’était un pari sur l’avenir du quartier.»
Lorsqu’ils entrent dans leurs nouveaux bureaux, les grues s’activent encore pour construire les autres tours. A l’époque, c’est une centaine d’employés qu’il faut déplacer. Cinq ans plus tard, l’entreprise compte 225 collaborateurs, dont 120 à Pont-Rouge, dans son siège de 2000 m². «Nous avons désormais un espace sur deux étages, avec 400 m² de toit-terrasse végétalisé.» Pour le directeur, ce départ du centre-ville a été rendu possible par l’évolution des modes de travail. «Les habitudes ont changé avec le développement du télétravail pendant la crise sanitaire. Les collaborateurs sont d’accord de travailler plus loin de chez eux, à condition qu’ils puissent passer un ou deux jours à la maison.»
Des déménagements qui ne font pas toujours l'unanimité
D’autres déménagements sont plus débattus, comme celui du pôle actualités de la Radio Télévision Suisse (RTS). Pour la direction de l’entreprise publique, le projet s’est décidé en deux temps. La première amorce date de 2014, lorsque la radio historiquement installée à La Sallaz (VD), dans les hauts de Lausanne, doit envisager un déménagement face à l’impossibilité de rénover ses locaux à cause de la présence d’amiante dans la construction. En 2018, le projet est agrandi pour relocaliser l’ensemble des équipes de l’information sur le campus de l’EPFL, à Ecublens (VD). Un projet qui prévoit le déménagement d’environ 250 postes de travail vers un bâtiment nouvellement construit pour un crédit de construction s’élevant à 120 millions de francs.
«Le nouveau bâtiment apportera des économies de surface d’environ 25 à 30% et une réduction des charges d’exploitation immobilières du même ordre. Le site actuel de la radio à La Sallaz ainsi que les grands studios de télévision à Genève et à Meyrin (GE) ne sont plus adaptés à nos besoins et nos études montrent qu’une rénovation nous coûterait bien plus cher», détaille Marco Ferrara, porte-parole de la RTS.
Pour les employés, ce projet passe mal. En 2020, le Syndicat suisse des mass media (SSM) a réalisé une enquête qui montre que «plus de la majorité des employés avait un avis négatif sur ce projet», relate Valérie Perrin, secrétaire syndicale régionale. «C’est un changement qui provoque une grande anxiété: certaines personnes vont devoir déménager et d’autres modifier radicalement leurs journées en y ajoutant de longs trajets pendulaires.»
Peu de marges de manœuvre pour les employés
Les collaborateurs d’une entreprise n’ont cependant quasiment aucun moyen de s’opposer à un déménagement de leur entreprise. «La seule voie de recours serait d’invoquer un licenciement collectif – un déménagement nécessitant la signature d’un nouveau contrat et donc la résiliation d’un ancien contrat, précise le syndicat. Cette situation impose alors à l’employeur une procédure réglementée de consultation et peut possiblement être retoquée comme licenciement abusif.» Un processus long, qui nécessite une masse critique d’employés mobilisés pour fonctionner et dont l’issue reste incertaine, dans lequel les employés de la RTS ont décidé de ne pas s’engager.
La syndicaliste du SSM reproche à la direction de la RTS son manque de concertation avec le personnel. Ce n’est qu’en 2023 qu’une consultation a finalement été mise en place par l’entreprise, recueillant l’avis de 120 personnes. Pour Annika Månsson, fondatrice de Happy at Work, cabinet genevois spécialisé dans la gestion des risques psychosociaux et du bien-être au travail, «il est important d’informer et de discuter avec ses collaborateurs dès que les premières décisions sont prises». Journaliste à la RTS depuis 2015, Joanna* partage ce sentiment d’inquiétude. «Je comprends qu’il faille déménager, mais tout le projet s’est construit sans réellement écouter les avis et les contre-propositions qui ont émergé du personnel.» Des mesures compensatoires – notamment sous forme de primes temporaires liées à l’éloignement au domicile – vont être mises en place, mais leurs critères d’attribution sont jugés «déconnectés de la réalité» par la journaliste de 36 ans. «Avec l’actualité, beaucoup de gens ont des journées découpées en deux avec des amplitudes de travail conséquentes. Ajouter à cela des trajets rallongés aura de lourdes conséquences sur la vie des collaborateurs.»
Pour Annika Månsson, «changer de bureau, travailler plus loin de chez soi, ne plus être assis à côté des mêmes collègues, perdre le privilège d’une bonne place dans l’open space: tous ces éléments ont de nombreuses implications sur les conditions de travail d’un employé. Si l’information lui tombe dessus sans concertation, il ressentira une perte de pouvoir et d’autonomie et se sentira donc lésé, victime d’une injustice.» Pour la directrice de Happy at Work, la clé consiste donc à intégrer le plus vite possible les employés dans le processus de décision.
* Prénom d’emprunt