Camille F. a été pour le moins surprise par la méthode: diplômée en 2022 de l’Ecole hôtelière de Lausanne (EHL), la jeune femme de 24 ans a déposé fin 2023 sa candidature auprès du groupe néerlandais CitizenM, pour un poste d’Assistant Manager. Tout a commencé normalement, avec une discussion autour de son CV. Elle est ensuite recontactée pour une nouvelle étape, cette fois à Paris. Les quelques informations qu’elle reçoit sont limitées: «La responsable m’explique qu’il s’agit d’un casting day d’une demi-journée, que nous serons plusieurs mais que cette étape ne nécessite aucune préparation particulière.»
Processus collectif
Sur place, elle découvre une salle de conférences équipée d’un écran large, d’une vaste table et 20 autres candidats, assis face à trois recruteurs du groupe hôtelier. La demi-journée doit permettre d’embaucher deux personnes à des postes différents. «Nous avons enchaîné les ateliers pendant trois heures et sans véritable mise en situation, alors que la nature des postes en jeu était très différente.»
La démarche surprend Camille, pourtant habituée aux méthodes de sélection collective: «Nous sommes passés par ce type de processus pour intégrer l’EHL. Je comprends que ce caractère collectif permette de faire ressortir une personnalité ou une manière d’être, mais nous avions aussi eu des entretiens individuels.» Surprise, Camille adopte une attitude prudente avant d’apprendre quelques jours plus tard qu’elle n’est pas retenue.
Elle ressort de l’expérience avec le sentiment d’avoir joué à un jeu dont elle ne connaissait pas les règles: «On s’est contenté de m’indiquer que les recruteurs n’avaient pas pu voir qui j’étais ce jour-là. Mais quand on nous demande de choisir une photo au milieu d’une pile ou de dire ce que l’on emporterait sur une île déserte, c’est difficile de montrer ce qu’on peut donner…»
Méthode déstabilisante
Déstabilisante, la méthode a pourtant ses mérites, estime Alain Salamin, consultant RH à Lausanne. «En concentrant le recrutement sur une journée, on peut recevoir davantage de candidats qu’en entretien individuel. Ce n’est évidemment pas une raison suffisante: il faut que ce mode de recrutement corresponde aux besoins du poste. S’il s’agit de mesurer les capacités d’inter-action, la créativité ou la spontanéité d’un candidat, le recrutement collectif est un des moyens les plus efficaces.»
Surtout quand les postulants commencent leur carrière. «Choisir entre des jeunes diplômés n’est pas simple, poursuit l’expert. Leur historique professionnel est encore très mince et leur profil souvent relativement semblable. L’exercice collectif permet d’aller au-delà des notes obtenues dans leur école.»
Quant au sentiment de gêne exprimé par certains, il fait partie du jeu. «En étant un peu provocateur, j’y vois justement la preuve que la méthode fonctionne. Ceux qui n’apprécient pas ce type de processus risquent de ne pas se sentir à l’aise plus tard dans l’entreprise. L’entretien collectif fonctionne dans les deux sens: les sociétés peuvent choisir les candidats, mais ces derniers peuvent aussi jauger leurs employeurs potentiels.»