Quand Leonardo DiCaprio entre dans le champ, l’horlogerie a le souffle court. Nicolas Freudiger a carrément passé les dernières semaines en hyperventilation, puisque c’est de lui qu’il s’agit: ID Genève, start-up dont il est cocréateur et figure de front, vient de franchir un cap en annonçait mi-ocrobre un tour de table auquel le familly office de Leonardo DiCaprio a pris part. Soyons clairs, le plumage est plus modeste que le ramage. Les montants ne sont pas détaillés, mais ils demeurent assurément contenus. Le véhicule de l’acteur n’est qu’une des parties prenantes, aux côtés de plusieurs autres investisseurs, suisses notamment, et la levée totale ne se monte qu’à 2 millions de francs, aux trois quarts convertibles. Plutôt modeste s’agissant d’horlogerie du segment supérieur, habituée aux injections de capitaux plus conséquentes.

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Mais il y a une logique, Nicolas Freudiger l’explique: «C’est une décision financière: 15 millions, je n’aurais pas su quoi en faire, alors que 2 millions couvrent notre plan de route des deux prochaines années.» Un plan de route qui passe par la montée en volume et la distribution en dur, après une première phase tout en ligne et en direct.

Le montant est une chose, le symbole en est une autre, et de ce point de vue, l’étape demeure plus que majeure pour ID Genève, qui entend bien avec ces 2 millions co-estampillés LDC parvenir à dialoguer à longueur de bras avec les caciques du secteur. Car ID Genève a des ambitions qui vont au-delà de ses propres montres: «La présence de Leonardo DiCaprio est une validation, mais j’ai toujours eu l’idée de lever des fonds, et ce que nous voulons, c’est avoir un impact, une influence sur l’industrie.»

La caution Leonardi DiCaprio essentielle

Cette influence, l’équipe entend l’exercer sur un point en particulier, très sensible en ce moment dans le sérail horloger: aligner l’imaginaire de la montre suisse avec les valeurs de l’écologie, de la durabilité et de l’économie circulaire. Avec un point de mire aussi précis que le spectre visé est large: parvenir à changer la perception du luxe en se servant du levier Swiss made.

La montre, dans tout cela, tient avant tout un rôle de démonstrateur. Elle est en acier recyclé, la moins impactante possible, mais pour que la démonstration soit convaincante, elle doit être accompagnée d’un succès irréfutable, entrepreneurial et commercial. La caution de Leonardo DiCaprio apparaît donc, à ce stade, plus essentielle que les capitaux eux-mêmes. Car la première réponse au défi de «rendre le luxe moins nocif» est précisément  d’écrire «un nouveau narratif du luxe» et de faire, in fine, de la durabilité «un critère d’achat», juste «derrière la marque». Un narratif dans lequel le label Swiss made ne sera plus seulement associé à «la qualité, l’élite et la tradition», mais sera synonyme «de circularité et d’écologie».

Interrogé par le New York Times en 2021, Nicolas Freudiger avait appelé DiCaprio à rejoindre la marque. Message reçu.

Interrogé par le New York Times en 2021, Nicolas Freudiger avait appelé DiCaprio à rejoindre la marque. Message reçu.

© Getty Images for Sunshine Sachs

Reprenons depuis le début. Eté 2019, Nicolas Freudiger, jeune trentenaire, est à Zurich, chez Coca-Cola, depuis quatre ans. Il y est entré avec son diplôme de l’Ecole hôtelière de Lausanne et il est l’un des gradués du programme interne de vente et marketing, au terme duquel on lui propose un poste dans le digital; il y fait ses premiers pas parmi les prochains cadres. Mais cet été 2019, il a «un flash», se projette à 65 ans, cogite, démissionne. «La décision a été facile à prendre, le regret de ne pas l’avoir fait aurait été plus grand», dit-il.

La suite est tracée, dans son esprit il était clair depuis longtemps «qu’un jour [il créerait] une marque de montres», il est passionné; il les collectionne; son meilleur ami est horloger – Cédric Mulhauser, membre d’ID Genève; il enchaîne les stages, chez TAG Heuer, chez Chronoswiss; il monte de toutes pièces une conférence avec Jean-Claude Biver à l’Université de Genève, juste pour pouvoir lui parler; il pose des vacances pour aller travailler dans les salons horlogers; etc.

Premier tirage de 300 montres

Démission en poche, Nicolas Freudiger revient à Genève, avec une conviction, et un peu de nausée: «Coca-Cola m’a dégoûté du plastique!» – la dernière campagne dont il s’est occupé portait sur Valser et le PET… Il prend le contrepied, se forme à l’économie circulaire chez Impact Hub, où il profile une marque de montres dédiée à la durabilité. Son ami horloger, Cédric Mulhauser, n’est pas loin. Ce dernier travaille chez Vacheron Constantin avec le designer Singal Depéry. Un jour, ils se rencontrent tous les trois par hasard. ID Genève prend racine.

L’année 2020 est consacrée aux préparatifs. Trouver les matériaux: tour de Suisse des déchetteries; contact en Italie pour des bracelets en cuir de raisin; sourcing de l’acier recyclé. Choisir un calibre: un mouvement mécanique industriel éprouvé, qui se trouve en quantité sur les marchés parallèles. Développer un design: une affaire d’équilibre, de «balance entre identitaire et durable, pas fashion, mais reconnaissable», pitche Nicolas Freudiger. Singal Depéry détaille: «Nous nous sommes efforcés de montrer que l’on arrive à obtenir des finitions haut de gamme sur un acier 100% recyclé.» La dialectique est complexe, puisque la montre doit à la fois être simple et désirable, elle doit servir de démonstrateur grand public et être susceptible «d’aller mordre sur le haut de gamme».

Interrogé par le New York Times en 2021, Nicolas Freudiger avait appelé DiCaprio à rejoindre la marque. Message reçu.

Interrogé par le New York Times en 2021, Nicolas Freudiger avait appelé DiCaprio à rejoindre la marque. Message reçu.

© DR

 

La montre reste donc techniquement élémentaire, mais exprimée dans un langage formel emprunté au segment supérieur, avec un boîtier modulaire et plein de menus détails qui apportent ce qu’il faut de sophistication. L’environnement de la marque est aussi passé au crible, du style de photographies jusqu’à l’emballage, réalisé en algue thermocompressée, et au carton d’envoi doublé d’un insert de protection compostable. Décembre 2020, tout est prêt. L’équipe choisit la plateforme participative Wemakeit. La pandémie feutrant le monde, il n’y aura que deux événements pour soutenir l’opération, à Zurich et à Genève. Le public répond. Le premier tirage de 300 montres est rapidement écoulé. Cédric Mulhauser, qui était resté un peu en retrait, est maintenant totalement rassuré et rejoint l’équipe à 100%. Les ventes se poursuivent, jusqu’au volume actuel, qui sera proche de 600 montres en 2023.

Avec un prix public actuel de 4380 francs, sur la collection de base, le chiffre d’affaires approximatif se calcule facilement et on en conclut que la microstructure était déjà assurée d’une certaine croissance organique avant le tour de table. Ce que confirme Nicolas Freudiger, ajoutant que la levée de fonds servira d’«accélérateur» pour atteindre un objectif déjà écrit de «5000 montres par an d’ici cinq ans» – peut-être accompagnée par la mise au point d’un calibre maison.

L’affaire semble bien cadrée, mais une question reste ouverte: comment se fait-il que Leonardo DiCaprio ait croisé la route de la start-up genevoise? Il n’a pas fallu trop insister. Une affaire de valeurs communes et de goût, puisque l’acteur trouve la montre «sexy». Nicolas Freudiger avait en réalité tout prévu depuis longtemps, il l’avait même publiquement «vocalisé» dans le New York Times, en 2021. Questionné sur ses ambitions, l’entrepreneur avait répondu, de mémoire: «Que Leonardo DiCaprio nous rejoigne d’ici trois ans. Et s’il lit ça, ce sera parfait.» La star a juste répondu à l’appel avec une année d’avance.