«L’industrie du parfum connaît une progression spectaculaire depuis la pandémie. Comparativement à 2019, de grandes marques telles qu’Estée Lauder, L’Oréal, LVMH et Puig ont augmenté leurs ventes de plus de 50% en 2023. Et cette croissance s’est poursuivie en 2024», résume Arben Hasanaj, analyste de Vontobel.

Discrète, l’industrie du parfum suisse se concentre presque entièrement à Genève et représente deux tiers du marché mondial. Les principaux acteurs que sont Givaudan et DSM-Firmenich, établis depuis plus d’un siècle dans la Cité de Calvin, détiennent chacun environ 30% des parts. «Historiquement, la Suisse a créé des entreprises extrêmement prospères dans l’industrie chimique et pharmaceutique, explique Arben Hasanaj. Givaudan et DSM-Firmenich ont pu s’appuyer sur ce solide héritage pour devenir les leaders mondiaux qu’ils sont aujourd’hui et faire de Genève une sorte de Silicon Valley de la parfumerie.»

Parfumeurs indépendants

En 2022, l’industrie des parfums et des arômes représentait 12% des exportations réalisées par Genève. Ce chiffre place le secteur parmi l’un des plus importants du canton, aux côtés de ceux du négoce et du transport maritime. En marge des performances réalisées par Givaudan et DSM-Firmenich, on compte plusieurs entreprises de taille plus modeste.

Depuis près de dix ans, la société Aroval fournit des clients venus principalement d’Europe. Fondée en 2013 par Valérie et Jean-Pascal Osmont, auparavant employés des plus grandes sociétés de l’industrie, l’entreprise travaille plus de 400 matières premières afin d’élaborer des formules de parfums, mais aussi de produits de soins et de détergents. L’histoire de cette petite société tient d’un heureux concours de circonstances. «Au départ, nous réalisions exclusivement du négoce de matières premières à Paris, détaille Valérie Osmont. C’est lorsque nous avons eu l’occasion d’acheter nos locaux dans le quartier de Rive, fin 2015, que nous avons eu l’idée de lancer un laboratoire et un service de consulting pour les entreprises.»

Soumise aux mêmes réglementations que des géants comme Firmenich et Givaudan, Aroval – dont les fondateurs constituent les uniques employés – se distingue par la possibilité pour ses clients de bénéficier d’un accès direct au laboratoire de parfumerie, ce qui lui permet de tirer son épingle du jeu. «Le marché est assez vaste pour accueillir tout le monde, estime Jean-Pascal Osmont. Notre petite taille nous permet de garantir une flexibilité et un service sur mesure que les grands groupes ne peuvent pas toujours se permettre. Le fait que nos activités soient exclusivement du B2B nous assure en outre un volume de production rentable.»

Silicon Valley de la parfumerie

Numéro un des créateurs et fournisseurs de parfums dans le monde depuis 2007, Givaudan a réalisé un chiffre d’affaires de 6,92 milliards de francs en 2023. «Depuis 2019, Givaudan a connu une croissance organique moyenne de 12% dans le secteur du parfum, soit le double du taux du marché. La marque a aussi enregistré une hausse de 70% des ventes organiques dans la parfumerie fine durant cette même période.» Depuis 2015, le groupe a acquis 18 entreprises pour un montant de 340 millions de dollars, selon la plateforme mondiale de données sur les entreprises Tracxn. Sa capitalisation boursière a plus que doublé durant cette même période pour atteindre 39 milliards de francs en décembre 2024.

Depuis sa fusion en 2023 avec le groupe néerlandais DSM, leader mondial de la santé, Firmenich a enregistré pour sa part une hausse organique des ventes de 7% et une progression de ses volumes de 10% pour son département parfumerie au premier semestre 2024. Avec 1450 employés à Genève (sur 11 000 au total), l’entreprise a investi plus de 200 millions de francs dans la création d’un campus à Satigny et à La Plaine, qui inclut trois usines de production et des laboratoires dédiés à la création de parfums, d’arômes et d’ingrédients. «En matière de R&D, les investissements réalisés par Givaudan et DSM-Firmenich ont notamment pour but de développer des alternatives biotechnologiques aux matières premières naturelles rares ou aux produits chimiques d’origine fossile, les captifs, ainsi que des techniques d’extraction plus respectueuses de l’environnement», indique l’analyste de Vontobel.

Quatre cents entreprises spécialisées

Aujourd’hui, environ 11% des emplois industriels à Genève proviennent du secteur des parfums et des arômes, selon le Département fédéral des affaires étrangères. Ce chiffre inclut près de 10 000 spécialistes employés par plus de 400 entreprises et start-up actives dans l’industrie chimique, qui se sont développées dans la région au fil des ans autour de Givaudan et de DSM-Firmenich. «La présence de tels géants dans la région bénéficie à l’ensemble de l’écosystème du secteur», précise Arben Hasanaj.

Lancée il y a vingt-cinq ans par Charles Seydoux et Daniel Schupbach, l’entreprise Contexa est aujourd’hui leader mondial dans le domaine de l’ingénierie et de la production de systèmes de dosage automatique pour l’industrie des parfums et des arômes. Sa technologie de dosage volumétrique Colibri constitue une solution inédite sur un marché de niche dominé par quatre acteurs européens. «Au lieu des classiques vannes munies de balance, nous avons mis au point un système qui intègre des seringues indépendantes, capables de doser simultanément tous les ingrédients nécessaires à la production d’un parfum ou d’un arôme. Notre capacité de production est environ cinq fois plus élevée que celle de nos concurrents», explique Daniel Schupbach.

La technologie Colibri, qui peut mesurer de quelques milligrammes à une tonne de matières premières, permet de s’adapter aux productions de petits laboratoires tout autant qu’à celles réalisées par l’industrie. «Beaucoup plus petites que les infrastructures traditionnelles, nos machines garantissent un immense gain de surface. Outre les grands groupes, de plus en plus d’entreprises de taille moyenne décident d’investir dans notre technologie, car elles se rendent compte des économies que cela représente en termes de coûts d’infrastructure et de production, et ce malgré un prix plus élevé que la concurrence.»

Située dans la zone industrielle de Plan-les-Ouates, Contexa exporte la majorité de sa production, ses clients provenant pour un tiers d’Europe, un tiers d’Amérique – principalement du Nord – et un tiers d’Asie et du Moyen-Orient. L’entreprise emploie aujourd’hui 65 personnes et prévoit de doubler son chiffre d’affaires (de l’ordre de 25 millions) dans les cinq prochaines années.

Montée en gamme

En 2023, le secteur de la beauté a généré 446 milliards de dollars de revenu, et pourrait dépasser les 590 milliards de chiffre d’affaires d’ici à 2028, selon un rapport du cabinet McKinsey. Bien qu’il s’agisse de la plus petite catégorie de produits, représentant seulement 17% de ce marché, les parfums ont affiché la plus forte croissance en 2023 (+14%).

En termes de valeur, le secteur monte en gamme, avec une progression de la division du luxe et de l’ultra-luxe. «L’immense succès de petites marques de niche comme Creed, Byredo ou Parfums de Marly a entraîné une augmentation des prix moyens dans ce segment», poursuit l’analyste. Toutes les trois ont déjà été rachetées. Le groupe Kering a acquis Creed pour 3,5 milliards de francs en juin 2023. Le fonds d’investissement Advent International et l’entreprise Puig ont quant à eux obtenu une participation majoritaire dans les marques Parfums de Marly et Byredo pour des montants s’élevant à 700 millions de dollars et 1 milliard d’euros.

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