La numérisation accélérée de l’économie accroît la pression sur les entreprises en matière de modernisation et d’automatisation de leurs procédés de production, et donc leurs besoins en investissements. Cette révolution, dite 4.0, crée aussi des opportunités pour les fonds de capital-investissement spécialisés dans l’accompagnement de cette mutation. Tel est, du moins, l’objectif affirmé d’Oak Universe, basée à Stockholm, où elle a été fondée en 2019 par deux spécialistes du financement de la transformation numérique, John Franklin et Odysseas Christofi, et au conseil de laquelle siège Pierre Kladny, fondateur de Valley Road Capital à Préverenges (VD) et ancien président du Réseau.

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Selon sa documentation, elle ambitionne d’investir 1 milliard d’euros dans des entreprises familiales via des prises de participation minoritaires. Elle vise un retour sur investissement de 20% par an. Calculé sur la durée de l’investissement, cela correspond à un triplement de la somme investie, toujours selon sa présentation. Elle a levé environ le tiers de la somme visée. Membre de l’équipe de gestion responsable pour la Suisse, Tatjana de Kerros, ancienne responsable des placements en capital-risque de Ricola, détaille les objectifs et les méthodes de cet investisseur.

Pourquoi ciblez-vous particulièrement des sociétés familiales?

Tatjana de Kerros: Les sociétés familiales constituent l’épine dorsale de l’économie suisse. Elles sont souvent détenues par les mêmes familles depuis plusieurs générations et ont accumulé d’importants savoir-faire. Mais, en dépit de leurs réserves, elles ont parfois besoin de soutien pour franchir des étapes de leur développement, que ce soit en matière de transfert d’innovation et de savoir-faire ou de capital. Nous y voyons d’énormes potentiels de développement, surtout concernant l’industrie 4.0.

L’arrivée d’un actionnaire externe dans une société familiale peut générer des tensions. Comment les identifiez-vous et les surmontez-vous?

Le plus important est de voir comment l’actionnaire familial perçoit l’investisseur extérieur. Historiquement, ce dernier tente de s’emparer de la société de manière hostile, la réorganise pour la rendre plus immédiatement rentable en éliminant sa culture. Il est vrai que certains investisseurs travaillent toujours comme cela. Or, le point le plus important, lorsque l’on veut travailler avec des entreprises familiales, c’est d’en comprendre la culture, l’histoire, le parcours. Il faut être respectueux, même avec un regard neuf. Il faut se positionner en tant que partenaire, comprendre les besoins, les objectifs, et apporter savoir-faire et financement: ces éléments font partie de notre ADN.

Comment travaillez-vous?

Nous voulons aider les entreprises à s’adapter à l’industrie 4.0 en apportant nos compétences dans le capital-investissement. J’ai personnellement travaillé dans les énergies renouvelables et les medtechs. Certains de mes collègues ont travaillé dans les télécommunications, les satellites ou encore l’industrie. Nous sommes donc des entrepreneurs. C’est cette expérience que nous pouvons apporter à nos partenaires, car nous comprenons leurs secteurs.

De même, celui d’entre nous qui siégera au conseil d’administration de la société dans laquelle nous allons investir n’est pas forcément celui qui a apporté l’affaire, mais celui dont les compétences sont les plus utiles. Nous cultivons aussi nos relations avec les associations professionnelles – Swissmem en Suisse, par exemple – pour comprendre l’évolution du secteur, développer les complémentarités et apprendre les uns des autres. Nous visons des entreprises dans certains secteurs clés: les medtechs, l’agroalimentaire, les semi--conducteurs et les énergies renouvelables.

Les sociétés de capital-investissement peuvent avoir des objectifs, notamment de rentabilité, fort éloignés de ceux des actionnaires familiaux. Comment les alignez-vous?

Nous devons travailler main dans la main. Nous tentons dès le premier jour de concilier la vision des actionnaires historiques avec les nôtres, qui exigent une certaine profitabilité: nous cherchons à créer des plus-values par un facteur de vingt après cinq à dix ans, selon l’entreprise et le secteur d’activité.

Exigez-vous que les entreprises s’endettent pour accroître leurs dividendes, qui gonfleront votre profitabilité?

Absolument pas. Au contraire, nous aidons les entreprises à réduire leur dette là où cela est nécessaire. La plupart des entreprises ont des modèles d’affaires sains et sont peu endettées. Mais leur croissance s’essouffle, et elles doivent investir pour se relancer. C’est à ce stade que nous pouvons apporter quelque chose.

Pourquoi une entreprise vous choisirait-elle plutôt que de contracter un emprunt bancaire?

Elle se priverait du savoir-faire, de l’accès à des technologies clés et du regard extérieur que nous pouvons lui apporter sans qu’elle doive dépenser des fortunes en mandats de consultants.

Comment vous financez-vous?

L’essentiel de nos apports sont les fonds de nos investisseurs.

Qui sont-ils?

Ce sont des investisseurs qualifiés dont les avoirs sont dûment vérifiés, essentiellement des fonds de fonds et des privés avec leur propre expérience industrielle.

La hausse des taux d’intérêt et la fin des politiques monétaires ultra-expansives vont-elles ralentir les levées de fonds?

C’est une tendance qui se fait déjà sentir dans le marché. Les incertitudes sur l’inflation ralentissent les affaires. Cependant, l’Europe est moins touchée que les Etats-Unis, car son marché est moins complexe. Les placements qui vont souffrir le plus sont ceux qui sont construits sur les hypothèses de croissance et de rendement les moins étayées et les moins transparentes. L’environnement devient plus incertain.

Comment atteindrez-vous vos objectifs, notamment de performances des placements, dans ce contexte rendu plus difficile?

Nous évitons les sociétés dont les valorisations sont les plus spéculatives, notamment celles qui sont actives dans les technologies numériques ou les start-up trop courtisées par les fonds d’investissement, ou encore celles qui sont très exposées aux défis actuels, comme les interruptions de chaînes d’approvisionnement. Nous visons les placements de longue durée dans des entreprises qui ont besoin de smart capital, de capital intelligent.

Dans combien de sociétés suisses êtes-vous déjà investis?

La Suisse est l’un de nos marchés clés européens aux côtés de l’Allemagne, de l’Autriche, du Royaume-Uni et de la France. Chaque marché fait l’objet d’une approche particulière. Nous visons deux ou trois sociétés dans lesquelles investir dans chacun de ces pays. Nos investissements débutent à 20 millions d’euros et peuvent se monter à 150 millions.