Aujourd’hui, le vent a tourné dans l’univers bancaire. L’essor des réseaux sociaux et la prolifération de sites gratuits ont permis de démocratiser l’accès à la recherche financière. Les banques ne sont plus la seule source de recommandation pour le client. Elles ont donc tout intérêt à s’ouvrir, à échanger et à jouer la transparence. LinkedIn, X (ex-Twitter) et YouTube sont devenus mainstream. La qualité s’est améliorée et les audiences ne cessent de croître, si bien que certains ont réussi à créer des communautés de dizaines de milliers d’abonnés.
Effet boule de neige
Responsable des investissements pour la Banque Syz, Charles-Henry Monchau compte plus de 130 000 followers sur LinkedIn. Tout a débuté en 2016, lorsqu’il travaillait à Dubaï pour une structure locale spécialisée dont il cherchait à améliorer la visibilité. «J’ai commencé avec mon réseau de quelques centaines de personnes. Ma chance est que le taux de pénétration de LinkedIn aux Emirats arabes unis figure parmi les plus hauts du monde. Plus de 60% de la population dispose d’un profil.»
Il commence à publier régulièrement des analyses et des commentaires. Un effet boule de neige s’enclenche et son audience se développe de manière exponentielle. «Mon objectif n’est pas vraiment d’influencer, mais plutôt de partager des informations pertinentes et percutantes. En plus, cela m’aide dans mon travail quotidien. On dit souvent que le meilleur moyen d’apprendre, c’est d’expliquer. Or, sur LinkedIn, les feed-back sont immédiats.» En d’autres termes, son activité au sein de la plateforme fait partie intégrante de sa fonction.
Liberté d'expression en jeu
Sa liberté d’expression reste élevée. Il s’interdit uniquement de parler de politique ou de certains sujets trop sensibles. «Nous ne faisons pas de la vente agressive, mais du soft marketing, dit-il. Ma communauté est là pour le contenu, pas pour acheter des produits. En plus, ce serait contre-productif: l’algorithme de LinkedIn favorise les individus et non les entreprises. La concurrence est rude. L’audience recherche la qualité et la différenciation.» Au sein de la banque familiale genevoise, il n’est plus le seul, aujourd’hui, à être influent sur le réseau social professionnel: sa collègue Valérie Noël, Head of Trading, compte notamment 52 000 abonnés. En termes d’image, ces présences sont utiles aussi bien pour obtenir de nouveaux clients qu’en matière de recrutement, de networking et d’interactions avec les médias traditionnels.
D’autres financiers préfèrent s’exprimer sur X. C’est le cas de Frederik -Ducrozet, chef économiste chez Pictet Wealth Management, qui compte plus de 64 000 followers. Ce réseau social, qui a vu éclore une communauté spécifique liée à la finance il y a une dizaine d’années, est devenu son outil de travail et de communication principal. «Les choses se sont enchaînées progressivement. J’ai toujours essayé d’apporter une valeur ajoutée en termes de contenu. Aujourd’hui, je suis notamment suivi pour mes analyses liées aux banques centrales, en particulier la Banque centrale européenne.»
Lorsqu’il a commencé à travailler chez Pictet, en 2015, la question concernant sa liberté d’expression sur Twitter s’est bien sûr posée. Ce n’était pas dans l’ADN de l’établissement genevois. Il a été convenu que cet outil devait être utilisé de manière «intelligente et responsable». Un rapport de confiance s’est institué et, aujourd’hui, les deux parties en tirent profit en termes de réputation. «Evidemment, je fais très attention à tout ce que je poste. Par exemple, je ne parle jamais de politique. Cela dit, il peut m’arriver de recourir à l’humour ou d’adopter un ton plus léger.»
Si LinkedIn est parfois considéré comme très «corporate», des voix s’élèvent également pour critiquer le niveau de pollution qui aurait augmenté sur X depuis la reprise de Twitter par Elon Musk. Qu’en pense le banquier? «Pour moi, cela reste l’outil ultime. Je peux prendre de l’information de tout le monde en permanence, où que je me trouve. L’important est d’avoir les bons filtres: lorsqu’on s’entoure de la bonne communauté, y compris des gens avec lesquels on n’est pas d’accord, les propagateurs de fake news sont vite identifiés dans la finance.»
De son côté, Thomas Veillet est surtout actif sur YouTube. Après plusieurs années dans le secteur bancaire, principalement chez UBS, où il a exercé différentes fonctions en lien avec la bourse, il constate un manque d’offres en matière d’information financière vulgarisée. En 2006, il commence à écrire des chroniques. Avec la crise des subprimes, l’intérêt pour ses contenus augmente. Il crée le site Investir.ch, puis lance il y a trois ans, avec Swissquote, une chaîne YouTube qui comptabilise aujourd’hui près de 35 000 abonnés. «A l’époque, on disait que je n’étais pas très sérieux. On me considérait comme un trublion. Travailler avec le logo d’une banque en arrière-fond m’a permis de gagner en crédibilité.»
Il y a quelques mois, il a lancé sa propre chaîne, DkodTV, également consacrée à la vulgarisation financière. Grâce au soutien de sponsors, il travaille en indépendant. Il collabore avec Swissquote sous forme de contrat, en publiant une vidéo tous les matins et une autre les week-ends. «C’est un travail collectif pour lequel j’ai carte blanche. Je ne suis pas salarié, mais il est clair que je fais aujourd’hui partie de leur image.»
Des critiques concernant la légèreté de ses contenus continuent de lui parvenir. «Je ne m’adresse pas à des analystes financiers disposant de vingt ans de pratique, mais à des gens peu expérimentés», répond-il. A terme, avec sa nouvelle chaîne, il envisage de proposer des services payants spécifiques. Ce modèle «freemium», où une partie des prestations est partagée gratuitement alors que d’autres plus pointues sont facturées aux clients, gagne d’ailleurs du terrain dans de multiples secteurs. «La finance n’est pas une science exacte, mais on peut fournir quelques outils pour la décoder, ajoute-t-il. Il y a une énorme demande en matière de formation.»
Lien de confiance avec le public
On le voit, les réseaux sociaux peuvent avoir un effet multiplicateur extraordinaire. Mais en termes d’influence, certaines attentes ne changent pas. L’expert en leadership David Fiorucci – qui compte 26 000 followers sur LinkedIn – insiste sur l’importance de créer un lien de confiance avec le public. Celui-ci se renforce à mesure que les validations s’accumulent. Dans cette optique, il peut se révéler intéressant pour tout influenceur d’être perçu dans la réalité, par exemple dans le cadre de conférences ou de tables rondes. «Cela démontre que l’on reste une personne abordable, qui n’a pas pris la grosse tête», dit-il.
En ce qui concerne les questions éthiques, être suivi par une large communauté implique évidemment des responsabilités. Pour le spécialiste, il faut être clair en ce qui concerne ses intentions et laisser de l’autonomie aux auditeurs: «Influencer ne veut pas dire manipuler.» Une auto-analyse se révèle par conséquent nécessaire. «Pour avoir de l’impact, il faut être sincère et cohérent, mais aussi savoir rester simple dans un monde de plus en plus complexe», résume-t-il.
AUCUN CADRE LÉGAL SPÉCIFIQUE
Sur TikTok, de nombreux «influenceurs» expliquent dans de courtes vidéos rythmées, parfois avec des arrière-fonds bling-bling, comment faire fortune rapidement en investissant en bourse. En France, où l’influence commerciale est désormais encadrée par la loi, l’Autorité des marchés financiers (AMF) et l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) ont lancé un certificat de l’influence responsable dans la finance.
En Suisse, selon la Finma, il n’existe pas de «prescriptions prudentielles spécifiques» pour les influenceurs et aucune adaptation spécifique de la réglementation n’est prévue dans ce domaine. Les dispositions générales en vigueur concernant la publicité, le conseil, l’offre de services financiers ou d’instruments financiers, ainsi que l’obligation d’inscription au registre des conseillers qui y est potentiellement liée, sont régies par la loi fédérale sur les services financiers. Par ailleurs, les règles de conduite sur le marché s’appliquent à toutes les personnes.