Il y a deux ans, les acheteurs pouvaient débourser des millions pour les NFT. Aujourd’hui, ces actifs numériques uniques – qui font référence par exemple à un fichier image, à un jeu ou à un contrat – ne valent plus grand-chose. «Après avoir connu un essor fulgurant, les NFT sont dans une période de désillusion, mais ce n’est qu’une phase provisoire avant une reprise qui sera forte, estime Patrick Mimran, fondateur de NFTon, une plateforme d’art en NFT. Nous sommes actuellement dans un creux, mais il n’y aura pas de retour en arrière.» Le marché est en effet à la peine: la capitalisation boursière des NFT évaluée en ethers (la cryptomonnaie utilisée dans ce secteur) est en baisse d’environ 40% sur l’année 2023, selon la plateforme d’analyse NFTGo.
Marché en forte baisse
En septembre 2023, les NFT subissaient un nouveau dégât d’image avec la publication d’une étude stipulant que «95% des NFT ne valent plus rien». Le collectif d’experts en cryptomonnaies DappGambl a analysé plus de 73 200 collections de NFT et, sur ce corpus, plus de 69 700 ont une capitalisation de 0 ether. «Cette étude est trompeuse et sensationnaliste, réagit Antoine Sarraute, cofondateur de Wakweli, un protocole de certification de NFT. Elle ne mesure que la valeur de revente d’un type de NFT spécifique. Certains ont effectivement disparu, c’est normal puisque le marché évolue, mais cela ne signifie pas que les NFT n’ont intrinsèquement plus de valeur.»
Souvent associés au monde de l’art, les NFT peuvent être utilisés comme des certificats d’authenticité. Pour des produits physiques, le certificat sera par exemple un autocollant sur un sac à main ou un tampon sur un document papier. Pour les NFT, ce certificat est numérique et stocké sur une blockchain. Le réseau étant sécurisé, personne ne peut en modifier les droits de propriété ou en créer une copie. Le potentiel économique de ces actifs apparaît donc prometteur pour de nombreux secteurs.
«Les NFT sont les titres de propriété du futur. Indivisibles et complètement traçables, ils permettent d’être totalement souverain de ses biens», ajoute Antoine Sarraute. A noter que Wakweli est un spin-off de l’entreprise EverdreamSoft, basée à Genève. EverdreamSoft a été la première entreprise à développer un jeu vidéo où il est possible d’acheter des items (objets) du jeu, appelés assets, comme des armes ou des personnages, en tant que NFT. «C’étaient les premiers au monde à vendre des cartes de gaming uniques, sécurisées dans la blockchain, explique Chantal Läng, experte et advisor de Wakweli. Ce n’était pas encore des NFT, puisque le terme n’existait pas encore, mais c’était l’équivalent à l’époque. Leur ancienneté leur confère une grande valeur aujourd’hui.»
Ces assets sont cependant victimes de scammers, des arnaqueurs vendant de faux produits, qui attaquent leur marché et dévaluent leurs produits. «Nous avons donc compris le potentiel de sécuriser les échanges et commencé les travaux sur Wakweli, un protocole de certification sur la blockchain, en 2021», raconte Antoine Sarraute, cofondateur avec Shaban Shaame et Markéta Korteová. Le principe: des utilisateurs anonymes deviennent juges et valident ou non des assets NFT contre rémunération. En utilisant le principe de la théorie des jeux – qui stipule que toutes les parties ont intérêt à choisir la solution la plus bénéfique –, les juges peuvent vérifier un asset puis être défiés par d’autres utilisateurs. «S’il a été mal vérifié, le juge recevra une pénalité, alors qu’un travail bien fait est rémunérateur.»
La start-up, qui a levé 1,1 million de dollars lors de son premier tour de table au début de l’année, vise désormais à s’étendre à différents domaines d’activité. «En immobilier pour valider un titre de propriété, en assurance pour établir des polices personnalisées, pour les droits d’auteur, pour certifier des crédits carbone, etc. A terme, notre objectif est d’accompagner les marques dans la certification et la protection de leurs biens et de leurs propriétés intellectuelles notamment.» L’entreprise de huit employés finalise aujourd’hui son protocole qui devrait être lancé au printemps 2024.
L'art, terrain de jeu privilégié des NFT
Les NFT ont d’abord connu une vague de popularité dans le monde de l’art. Un nouvel univers s’ouvrait aux professionnels comme aux passionnés, qui se sont rapidement emballés. En 2021, l’œuvre Everydays: The First 5000 Days de l’artiste américain Beeple était par exemple vendue 70 millions de dollars. «Un montant démesuré, commente Patrick Mimran, fondateur de la plateforme de vente et d’achat d’art NFTon, lancée en 2022. Ce prix était déjà largement au-dessus du marché à l’époque. L’acheteur aura aujourd’hui grand mal à revendre son achat au même prix!»
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Entouré d’un réseau d’une dizaine de développeurs free-lance, Patrick Mimran vise à mettre les jeunes artistes en lien et à leur offrir une première visibilité. «Je voulais que les artistes puissent s’acheter des œuvres entre eux, et les présenter au public, à des prix accessibles, souvent moins de 300 dollars.» Son modèle d’affaires basé sur la commission imite celui des galeries d’art: le dépôt d’une pièce est gratuit et la plateforme prélève un pourcentage de 2,5% à chaque vente.
Pour l’entrepreneur, qui représente une centaine d’artistes numériques, le modèle des NFT permet une meilleure rémunération de l’artiste. «Dans les modèles classiques, un peintre qui vend son tableau au début de sa carrière ne touchera plus rien même s’il devient célèbre. Avec les NFT, l’artiste peut toucher des royalties toute sa vie, à chaque revente, ce qui est bien plus juste. Ce modèle existe déjà dans la musique en streaming ou pour les films, il est temps de l’appliquer à l’art.»
Réticence
Reste à convaincre. «Les acheteurs peuvent être freinés par les cryptomonnaies. C’est un système encore compliqué, peu connecté aux banques traditionnelles. Beaucoup craignent d’en acheter parce que la réputation des cryptos est très variable d’une cryptomonnaie à l’autre.» Et les acheteurs ne sont pas les seuls réticents. «Les artistes sont aussi frileux face aux NFT. Certains craignent l’arnaque, ne comprennent pas le principe. En 2022, la faillite abyssale de la plateforme d’échange de cryptomonnaies FTX a en outre accentué le dégât d’image.»
Reste que le potentiel du marché des NFT est grand: selon une étude du Boston Consulting Group, plus de 1 milliard de personnes utiliseront des cryptomonnaies d’ici à 2030. Et les projections de revenus sont importantes: le marché pourrait atteindre 3,16 milliards de dollars d’ici à 2027 selon le cabinet d’étude Statista. «Comme au début de l’informatique et du web, il y a tout à créer, c’est passionnant», se réjouit Chantal Läng. Cette cheffe de projets informatiques est active dans la blockchain depuis début 2017 et a créé Crypto Expert en 2020, où elle enseigne les fondamentaux de la cryptomonnaie à plus de 600 élèves. Elle publie aussi pour ses membres – 60 passionnés sélectionnés en fonction de leur formation en la matière et de leur aversion au risque – ses analyses sur 6000 cryptos, grâce à son logiciel LesScoresDeChantal.com.
«Les NFT qui vont garder de la valeur sur le long terme sont ceux qui ont de la rareté (scarcity) – c’est-à-dire qui possèdent un détail que les autres n’ont pas, ce qui constitue un avantage comparatif par rapport à ceux existant en plus grande quantité – et qui sont établis.» La même logique s’applique aux timbres: une édition limitée aura plus de valeur qu’un timbre commun.
Alors pourquoi les NFT continuent-ils d’inspirer de l’incompréhension et de la défiance aujourd’hui? «Parce que comme toute nouvelle classe d’actifs, leur acceptation prend du temps. Mais globalement, les courbes d’adoption des nouvelles technologies s’accélèrent. Internet a été plus rapidement accepté que le téléphone fixe, par exemple. Quand les jeunes se feront découvrir les NFT les uns aux autres et que les fournisseurs n’auront plus besoin de faire du marketing, alors la courbe deviendra exponentielle.»
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Tokens: Les jetons décrivent une unité numérique qui peut être échangée sur une blockchain. Ils peuvent représenter des cryptomonnaies, des biens virtuels, des droits d’accès, etc. Les types de tokens les plus courants sont les «security tokens», qui font référence à une part dans une entreprise – à l’instar des actions dans la finance traditionnelle.
NFT: Les jetons non fongibles (non-fungible tokens, NFT) sont des biens ou des unités de valeur uniques qui font référence à un objectif particulier, comme une œuvre d’art ou un contrat. Ils sont non interchangeables puisqu’ils n’existent qu’en un seul exemplaire.
Cryptomonnaies: Monnaies qui existent de manière numérique grâce à la cryptographie. Ces monnaies sont décentralisées, c’est-à-dire qu’elles se transfèrent directement de compte à compte sans l’intervention des banques classiques. Les deux plus connues sont le bitcoin et l’ether, mais il en existe des milliers d’autres.
OpenSea et Blur: Plateformes de référence pour les NFT avec la quasi-totalité des parts du marché, proposant de l’art numérique ou de l’immobilier virtuel.
Blockchain: Technologie de stockage et de transmission d’informations. Construites comme des chaînes de blocs, les différentes blockchains sont des bases de données transparentes et sécurisées qui contiennent l’historique de tous les échanges effectués entre les utilisateurs depuis leur création.