Le projet et sa mesure phare, le report de l'âge de départ à 64 ans, contre 62 aujourd'hui, se heurte à un front syndical uni et une large hostilité dans l'opinion d'après les sondages.
Dans le cortège parisien, des pancartes proclament "Métro, boulot, tombeau" ou "Métro, boulot, caveau".
"C'est pas tant pour moi, parce que je suis cadre, j'ai commencé à travailler à 25 ans donc de toute façon même sans la réforme, j'ai ma retraite à 65 ans. Mais c'est par solidarité parce que c'est une réforme complètement injuste et qui défavorise fortement les classes ouvrières", estime Damien Mathieu, 36 ans, salarié dans l'informatique, manifestant à Toulouse (sud-ouest).
Les manifestants ont battu le pavé jeudi matin dans de nombreuses villes françaises, avant que le cortège parisien ne s'ébranle en début d'après-midi pour dire "non" au recul de l'âge légal de départ à la retraite.
Le ministère de l'Intérieur a recensé 1,12 million de manifestants en France dont 80'000 à Paris, a-t-il annoncé jeudi soir.
Le syndicat CGT a avancé de son côté le chiffre de "plus de deux millions" de manifestants, selon son secrétaire général, Philippe Martinez, pour qui cette réforme des retraites "canalise tous les mécontentements" en France.
Plus de 200 manifestations ont eu lieu à Paris et en régions, très majoritairement dans le calme. Quelques heurts, tensions ou dégradations ont été signalés à Paris, Lyon (est) et Rennes (ouest).
La mobilisation "est au-delà de ce qu'on pensait", s'est félicité le numéro un du syndicat CFDT, Laurent Berger.
Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a admis que la mobilisation avait été "importante". Jugeant "normal" qu'une réforme des retraites "suscite des inquiétudes", il a indiqué qu'il fallait y "répondre" et "écouter les messages".
Une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme est déjà prévue le 31 janvier. Les huit principaux syndicats français se sont accordés sur cette date, selon plusieurs sources syndicales, lors d'une réunion après la manifestation parisienne.
Craintes d'être "usés"
Les cortèges réunissaient beaucoup de travailleurs du public ou du privé craignant d'être "usés" ou "cassés" à 64 ans, comme Nathalie Etchegaray, 48 ans, assistante maternelle à Orléans (centre).
"Ca fait 25 ans que je travaille, je n'avais encore jamais fait grève. Le déclencheur, c'est de voir nos collègues plus âgées qui ont mal partout. Elles ont des sciatiques, des maux de dos, des tendinites aux coudes à force de porter les bébés", explique-t-elle.
Les agents de l'entreprise publique d'électricité EDF ont procédé à des baisses de production d'électricité, atteignant au moins l'équivalent de deux fois la consommation de Paris.
Du côté des raffineries, la CGT TotalEnergies comptait entre 70 et 100% de grévistes, sur la plupart des sites du groupe.
La grève était très suivie dans les transports avec quasiment aucun train régional, peu de trains grande vitesse (TGV), un métro tournant au ralenti à Paris et une grande banlieue très peu desservie.
De nombreux services publics ont fait l'objet d'appels à la grève, en particulier l'éducation, où le principal syndicat, la FSU, a dénombré 70% d'enseignants grévistes dans les écoles et 65% dans les collèges et lycées.
Emmanuel Macron, dont la réforme des retraites est un chantier crucial du second quinquennat, pour lequel il s'était engagé dès la campagne de son premier mandat, joue gros: son parti, qui ne dispose pas d'une majorité à l'Assemblée nationale, pourrait être fragilisé si le mouvement était profond et durable.
Ce test politique pour le président intervient dans un contexte économique et social tendu. Les Français subissent les effets d'une forte inflation, à 5,2% en moyenne en 2022, dans un pays qui a été secoué lors du premier mandat d'Emmanuel Macron par les manifestations des "Gilets jaunes" contre la vie chère.
Jeudi, M. Macron est sorti de son silence sur cette réforme depuis Barcelone - où il s'est rendu dans le cadre d'un sommet franco-espagnol - en disant espérer que les manifestations en France se déroulent "sans débordements", tout en défendant un projet qui a, selon lui, déjà été "démocratiquement validé".
La France est l'un des pays européens où l'âge légal de départ à la retraite est le plus bas, sans que les systèmes de retraite soient complètement comparables.
Le gouvernement a fait le choix d'allonger la durée de travail, pour répondre à la dégradation financière des caisses de retraite et au vieillissement de la population. Il défend son projet en le présentant comme "porteur de progrès social" notamment en revalorisant les petites retraites.