Un agenda de recherche pour la Biocity

Dans la visée des objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU, de nombreuses initiatives ont déjà été lancées sur différents thèmes pour repenser la ville : Smart City, Biophilic Cities, Carbon Neutral Cities Alliance, etc. Le concept de Biocity (ou Bio-based city) fait le pari d’apporter une vision foncièrement holistique et systémique, permettant de réunir les idées fortes d’autres initiatives à travers le prisme d’une ville basée sur le vivant, et plus spécifiquement inspirée de la forêt.

Cette nouvelle vision a été lancée en 2020 par l’Institut Européen des Forêts (European Forest Institute, EFI), avec un appel à contributions débouchant sur un double projet mené avec des groupements de recherche parallèles. Le premier, basé en Italie, achève de publier un « Green Book of Biocities » sous la forme d’un manifeste intitulé « Transforming Biocities. Designing Urban Spaces Inspired by Nature » (à paraître en anglais chez Springer Link en juin 2023). Le second groupe, réunissant sept partenaires internationaux dont la Haute école spécialisée de Berne et l’institut WSL, a établi un agenda de recherche sur les recettes pour les « Biocities ». Celui-ci est pensé comme le document fondateur pour des recherches et pour les initiatives ultérieures qui seront entreprises par l’EFI via sa nouvelle « Biocities Facility » lancée en 2022 à Rome.

La Biocity en 10 principes

La définition de la Biocity proposée dans l’agenda de recherche se décline en 10 principes de base, orientés selon des perspectives différentes. Leur formulation vise à donner une idée de ce à quoi une future Biocity devrait ressembler, et comment elle devrait fonctionner. Chaque principe se base sur des éléments-clés issus de la recherche dans les champs associés.

1. La Biocity comme une forêt
2. La Biocity auto-suffisante
3. La Biocity multi-échelle
4. La Biocity vivante et en santé
5. La Biocity de la bioéconomie circulaire
6. La Biocity de la faible mobilité connectée
7. La Biocity équilibrée entre urbain et rural
8. La Biocity de la culture locale
9. La Biocity intemporelle
10. La Biocity universelle

1. La Biocity en tant que forêt
La Biocity ne produit pas d’émissions nettes de dioxyde de carbone (CO2) et d’autres gaz à effet de serre (GES), mais plutôt une absorption nette, à l’instar d’un écosystème forestier (Harris et al. 2021). La Biocity interagit intentionnellement avec les arbres et les forêts à l’intérieur et à l’extérieur du périmètre urbain pour bénéficier des biens et des services qu’ils fournissent de manièr durable, à la fois pendant leur vie et lorsqu’ils sont incorporés dans les matériaux de construction.

2. La Biocity autosuffisante
La Biocity produit localement les ressources dérivées dont elle a besoin pour son fonctionnement. Elle produit de l’énergie grâce à ses propres systèmes renouvelables, extrait l’eau de ses propres bassins ou sous-sols naturels et cultive de la nourriture et de la biomasse (dans la Biocity ou la Biorégion associée) pour sa propre population (Guallart 2014).

3. La Biocity multi-échelle
La Biocity doit être organisée de manière à ce que chacun de ses niveaux, du sous-sol au sol, du bâtiment principal aux toits, puisse développer différentes fonctions qui se renforcent mutuellement et fournir des ressources en utilisant des éléments d’infrastructures vertes, bleues, brunes et grises pour desservir la Biocity dans son ensemble (Silva et al. 2020).

4. La Biocity vivante et en santé
La Biocity n’est pas seulement un ensemble d’établissements humains, mais les gens font partie d’un écosystème. Étant donné que les Biocities sont nécessairement des zones urbaines qui favorisent un large spectre de vie (bios), le bien-être humain et la biodiversité sont favorisés par les mêmes stratégies multi-scalaires comme dans les écosystèmes naturels. Pour ce faire, la biodiversité est utilisée pour faciliter la fourniture de services écosystémiques (SSE) (Brockerhart). (Brockerhoff et al. 2017).

5. La Biocity de la bioéconomie circulaire
Les bioéconomies circulaires et évolutives font de la Biocité un système vivant et régénérateur, doté d’approches de gouvernance dynamiques qui renforcent les hiérarchies d’activités interconnectées. Celles-ci sont en constante réinvention et génèrent de nombreuses opportunités d’emploi grâce à l’utilisation et au développement de matériaux locaux biosourcés et recyclés pour fabriquer, entretenir et améliorer les produits nécessaires au bon fonctionnement de la Biocity (Silliman et Angelini 2012).

6. La Biocity connectée à faible mobilité
La Biocity à faible mobilité favorise les changements d’habitudes de sa population. Grâce à la réorganisation fonctionnelle d’une zone urbaine, tous les services de base nécessaires à la vie sont rendus facilement accessibles dans un rayon de 15 minutes à pied ou à vélo (Moreno et al. 2021). La Biocity connectée permet aux individus d’échanger des biens et des informations et permet à la société de fonctionner, de circuler et de progresser ensemble de la manière la plus durable, la plus efficace et la plus efficiente possible. (Simard et al. 2012).

7. La Biocity équilibrée entre urbain et rural
Des frontières douces, floues, graduées, fluides et réciproques entre des écosystèmes naturels distincts (écotones) optimisent la santé et la fonction. De même, des symbioses et des dialogues impartiaux entre la biocité urbaine et la biorégion rurale correspondante permettent aux systèmes urbains de travailler en harmonie avec les systèmes naturels de leurs environnements territoriaux. Cet équilibre alimente donc les économies urbaines et rurales, grâce à la croissance de chaînes de valeur biosourcées régionales florissantes (Yahner 1988).

8. La Biocity de la culture locale
La Biocity est non seulement adaptée au climat et à l’environnement locaux, mais elle promeut également une identité matérielle, culturelle et sociale fondée sur son histoire et ses traditions locales uniques, grâce à des échanges continus avec le reste du monde par l’intermédiaire de réseaux physiques et d’information. Grâce à un écosystème de gouvernance intégré comprenant un processus décisionnel ascendant et descendant avec des droits communaux, les résidents locaux et les communautés s’engagent de manière proactive dans l’autodétermination des réalités et des réseaux d’influence de leur Biocity.

9. La Biocity intemporelle
Dans une Biocity mature, les espaces bleus urbains accessibles au public et la nature verdoyante (sous forme de forêts, de prairies, etc.) offrent des opportunités de vie à une population diversifiée de citoyens. Ces lieux publics et accessibles offrent des espaces démocratiques conformes aux perceptions de justice de toutes les parties prenantes concernées et aux normes mondialement acceptées en matière de droits de l’homme. Ce faisant, ils perpétuent la valeur du patrimoine humain et naturel passé et garantissent les infrastructures qui seront nécessaires pour relever les défis de demain.

10. La Biocity universelle
Au sein de la Biocity, la priorité est donnée à la biodiversité, non seulement pour abriter une variété d’espèces, mais aussi pour maximiser l’accessibilité à tous les citoyens, quels que soient leurs capacités, leur âge, leur race, leur appartenance ethnique, leur religion, leur profession, leur sexe, leurs revenus ou leur niveau d’éducation, tout en limitant les déplacements forcés dus à l’embourgeoisement. L’implication des citoyens est naturelle à tous les niveaux. En fin de compte, la Biocity universelle éliminera les inégalités et les injustices environnementales systémiques et structurelles.

Les 10 principes de la Biocity (traduit de l’anglais par l’auteur)

 

Jerylee Wilkes-Allemann, chercheuse à la Haute école spécialisée bernoise et autrice principale de l’agenda de recherche, reconnaît que les principes sont très nombreux et pour certains presque utopiques. Pour elle, les villes devraient intégrer au moins une partie de ces principes pour devenir des Biocities. L’idée est surtout d’aider à forger une vision d’ensemble, et de stimuler la réflexion.

Le premier principe, la « Biocity comme une forêt » est particulièrement évocateur de cette vision inspirée de la nature. Pour Jerylee Wilkes-Allemann, les arbres et les forêts urbaines doivent être considérés comme la colonne vertébrale de la ville. Leurs apports concrets sont nombreux et interconnectés. On peut citer notamment le stockage de carbone, la réduction de l’effet d’îlot de chaleur, le renforcement de la biodiversité, l’amélioration de la qualité de l’air, la promotion de la santé publique, l’encouragement de l’activité physique et la réduction des coûts de santé. Sur ce dernier point, des revues sur les études récentes ont confirmé les effets positifs des arbres et des forêts sur la santé physique et mentale (Nilsson et al., 2019). Une étude de 2015 a aussi montré que la nature urbaine contribue à la cohésion sociale et à une baisse de la criminalité (Wettstein et al., 2015).

La forêt inspire aussi la vision générale sur d’autres aspects connexes. Pensée comme un écosystème, la ville devrait chercher à équilibrer ses flux et les interactions systémiques en son sein, pour se renouveler constamment (principe 2). Dans l’idée d’une transition vers une bioéconomie circulaire (principe 5), les forêts deviennent par exemple aussi une source de bois pour la construction et la production énergétique locale.

La Biocity est-elle déjà une réalité ?

La Biocity s’ancre dans une vision résolument transversale et multithématique. L’agenda de recherche identifie cinq grands champs thématiques à explorer : biodiversité, environnement humain et social, gouvernance, résilience climatique et bioéconomie circulaire.

Bien que de nombreuses villes s’engagent maintenant concrètement sur ces thématiques, cela n’en fait pas encore des Biocities, comme l’explique Jerylee Wilkes-Allemann. Malgré leur ambition, les approches déjà déployées sont encore souvent sectorielles ou dédiées à des thématiques particulières, sans une réelle vision intégrée comme le prône la Biocity.

Dans le domaine de la « reforestation urbaine », les villes romandes comme Genève ou Lausanne se sont déjà dotées d’outils concrets comme les plans climats et plans canopée ambitieux. Ces deux villes se sont notamment lancées dans de grands programmes d’arborisation, et Genève a aussi récemment réalisé des mini-forêts (plantations très denses d’arbres de différentes essences indigènes) et des pépinières urbaines.

Ces initiatives sont salutaires mais Jerylee Wilkes-Allemann rappelle que la Biocity demande une vision plus large, et surtout une collaboration plus étroite entre les acteurs et services concernés. En Suisse, lors de la création d’un nouveau quartier, il est encore rare qu’une coordination se fasse avec les services en charge de la foresterie urbaine. De plus, la valeur des espaces de nature est encore insuffisamment considérée par rapport au bâti. Quand des surfaces libres sont à vendre, la réalisation d’un parc devrait être réellement attrayante en termes de rentabilité, en raison des nombreux services écosystémiques et des effets positifs évoqués précédemment (notamment la réduction des coûts de la santé, la baisse de la criminalité, etc.).

Perspectives en Europe et en Suisse

L’agenda de recherche européen de l’EFI a identifié de nombreuses questions dans lesquelles la recherche doit encore être poussée, et ce de la recherche fondamentale à des aspects opérationnels touchant aux stratégies, aux politiques publiques et à la participation citoyenne. Des projets de mise en œuvre devraient bientôt émerger en partenariat avec des villes européennes, et peut-être en Suisse également. Des exemples de bonnes pratiques seront aussi documentés et communiqués pour inspirer d’autres villes.

Le réseau suisse pour la foresterie urbaine ArboCityNet que dirige Jerylee Wilkes-Allemann est déjà actif pour rapprocher les acteurs concernés par la thématique. Des rencontres, des échanges d’expériences dans le secteur professionnel sont proposés, ainsi que des formations sur la foresterie urbaine, un nouveau champ prometteur pour la transformation des villes vers la Biocity.

Mathieu Pochon

Mathieu Pochon

Ingénieur environnemental

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