Personnel de cabine épuisé et absentéisme en hausse chez Swiss International Air Lines, burn-out et départs en série au service pédiatrique du CHUV (lire encadré), conflits à répétition au sein de l’administration municipale nyonnaise, mobbing dans plusieurs institutions culturelles lausannoises… une avalanche d’affaires récentes a mis en lumière une augmentation spectaculaire du stress dans le monde professionnel.

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Tous les cas de dysfonctionnement ne font pas la une des médias et les divers secteurs de l’économie ne sont pas touchés de la même manière. Mais la pandémie exacerbe de manière spectaculaire les enjeux de santé au travail et l’importance de bien les gérer. Confrontées à une incertitude croissante et aux aspirations de leurs collaborateurs, les entreprises seront-elles contraintes de revoir de fond en comble leur organisation? De fait, les tensions et les problèmes existaient avant la crise du covid. Le Bureau international du travail (BIT) tire la sonnette d’alarme depuis des années. Selon ses chiffres, l’absentéisme et la perte de qualité de vie au travail induisent des coûts représentant de 3 à 4% du PIB des pays industrialisés. En Suisse, le Seco a publié en 2017 déjà une enquête qui met en lumière quelles sont les branches les plus touchées (voir graphique ci-dessous).

L’enquête sur la santé menée par le Seco en 2017 sur les secteurs d’activité touchés par le stress pointe déjà le secteur de la restauration et de l’hôtellerie. Les employés de la fonction publique et de l’enseignement le sont alors deux fois moins. Un sondage post-pandémie donnerait probablement des résultats différents.

 

Le constat:  La perte de productivité en Suisse due à des problèmes de santé s’élève à quelque 48 milliards de francs; 16% ont un lien direct avec le stress au travail selon Promotion Santé Suisse (PSS).

Une meilleure prévention des risques dits psychosociaux et des troubles musculosquelettiques représente ainsi un potentiel d’économie estimé à 7,6 milliards de francs par an. Soutenue par la Confédération, cette fondation de droit privé publie tous les deux ans son Job Stress Index qui indique une détérioration constante des conditions de travail. En 2020, près d’un tiers des personnes interrogées se disaient épuisées sur le plan émotionnel. Et si les chiffres synthétiques prenant en compte l’impact du Covid-19 sur la santé en entreprise ne paraîtront qu’en septembre, les experts anticipent une forte augmentation des burn-out.

Cette même organisation effectue également un monitoring systématique de ce que les entreprises entreprennent en matière de gestion de la santé en entreprise (GSE). Résultat: près de 75% des entreprises comptant 50 employés ou plus disent prendre des mesures visant à diminuer le stress de leurs collaborateurs et à améliorer les conditions de vie au travail. Mais de quoi parle-t-on? La GSE se décline sur quatre axes:

  • La gestion des absences et des collaborateurs en arrêt maladie. Elle fait l’objet d’une attention particulière des entreprises, mais se révèle souvent lacunaire et peu performante.
  • La promotion de la santé au sein de l’entreprise. Elle se traduit par l’encouragement des activités sportives, par des actions en faveur d’une alimentation saine, sans oublier la sensibilisation au stress.
  • L’organisation du travail. Plus précisément, l’aménagement de l’environnement et des postes de travail. Sur le plan de l’ergonomie, mais aussi plus généralement l’importance de mesures visant une bonne atmosphère de travail et la culture managériale qui va de pair. Avec un accent particulier sur la conciliation entre vie professionnelle et vie privée.
  • La stratégie générale de l’entreprise. Elle vise notamment à impliquer les collaborateurs et à vérifier l’efficacité des mesures prises, le plus souvent par des outils de sondage.

Toutes les dimensions de la santé en entreprise ne sont pas traitées avec la même intensité et, en comparaison avec 32 autres pays européens, la Suisse reste en queue de classement. Bien notée quand il s’agit de la prévention des accidents et des risques professionnels classiques, elle accumule les mauvaises notes en matière de gestion des risques dits émergents. Les efforts varient selon les régions linguistiques, les secteurs économiques et la taille des entreprises. «Nous faisons actuellement un immense effort à destination des PME qui accusent du retard», résume David Grandjean, le responsable sensibilisation et diffusion chez Promotion Santé Suisse (voir graphique en bas de l'article). Mais les investissements consentis par la majorité des entreprises et des institutions publiques restent clairement insuffisants.

Les enquêtes de Promotion Santé Suisse révèlent notamment un désarroi prononcé chez les jeunes. Quelque 42% d’entre eux se trouvent dans la zone dite critique (voir graphique). «Les jeunes générations ont beaucoup plus tendance que leurs aînés à se mettre en arrêt de travail dès lors qu’ils ont un différend avec leur supérieur hiérarchique ou qu’ils éprouvent une trop grande frustration», observe Isabelle Kunze, responsable de Corporate Health Services chez Vaudoise Services.

Selon les derniers chiffres du dernier Job Stress Index, 42% des 16-24 ans se trouvent dans une zone critique et ressentent une intensification du travail exprimée en termes de rythme, mais aussi d’exigences au moment de l’entrée dans le monde professionnel.

Faut-il parler de troubles de l’adaptation? Ou d’un irréversible changement sociétal, voire civilisationnel? Et quel sera l’impact de la pandémie sur les enfants et les adolescents qui entreront dans la vie active dans quelques années? De manière générale et depuis quelques années déjà, les conflits entre personnes restent de loin le premier facteur d’absentéisme. Plus précisément entre les employés et leur supérieur direct, selon les données des assurances sur les arrêts maladie.

Dans l’immédiat, c’est indubitablement le phénomène dit de la «Grande Démission» qui préoccupe en priorité les entreprises. Aux Etats-Unis, cette vague toucherait un employé sur quatre et elle semble s’étendre désormais à l’Europe. Principalement dans les secteurs qui ont le plus souffert de la pandémie, comme la restauration et la santé, mais pas seulement.

L’avis d’expert:  «Ceux qui veulent retourner aujourd’hui au statu quo ante risquent bien de se casser le nez», estime Isabelle Kunze.

Soulignons toutefois que, face au choc du covid, toutes les organisations n’ont pas adopté la même stratégie. Celles qui se sont montrées à l’écoute des souffrances éventuelles de leurs collaborateurs et qui en ont tiré des leçons pour le long terme profitent d’un avantage évident sur leurs concurrents moins attentifs, alors que la pénurie de main-d’œuvre domine. Professeur honoraire à l’Université de Lausanne et pionnier de la santé au travail, Michel Guillemin voit dans la situation actuelle une chance historique de mieux prendre en compte les risques psychosociaux et donc de réduire les maladies liées au travail.

Depuis des années, cet esprit critique s’indigne du peu d’attention accordée à la santé au travail. «Pour dire les choses clairement, tout le monde s’en fiche, résume-t-il. En tout cas jusqu’ici. Le Conseil fédéral et l’Office fédéral de la santé publique refusent de considérer la santé en entreprise comme un enjeu de santé publique et d’élaborer une politique nationale de santé au travail. Ce qui est un comble quand on sait que nous passons près d’un tiers de notre temps au travail. Les syndicats, eux, défendent avant tout les conditions salariales des employés, mais n’ont jamais fait de la santé au travail une véritable priorité.»

Une attention accrue aux questions de santé au travail participerait aussi de politiques plus actives de prévention qui reste, de manière générale, le parent pauvre de la santé publique. «Sur les 80 milliards dépensés chaque année pour la santé dans notre pays, observe Nicolas Caloz, responsable de la cellule Gestion de la santé au travail du Groupe Mutuel, seulement 2% le sont pour la prévention. L’occasion est belle d’amorcer enfin un changement de paradigme.»

Services Le secteur des services investit clairement plus que l’industrie dans la gestion de la santé au travail (GSE), même s’il n’existe actuellement pas d’enquête plus fine par domaines d’activité.

Pays Différence significative aussi entre la Suisse latine et la Suisse alémanique influencée par l’Allemagne qui, comme les Pays-Bas et les pays scandinaves, offre un cadre légal plus propice à des politiques de prévention santé au travail.

Taille Plus spectaculaire encore, le fossé entre les petites entreprises (50-99 collaborateurs), les moyennes entreprises (100-249 collaborateurs) qui restent à la traîne des grandes entreprises. Elles font d’ailleurs l’objet d’une campagne de sensibilisation ciblée de la part de Promotion Santé Suisse. Comme d’ailleurs les jeunes grâce au programme Friendly Work Space Apprentice qui offre une boîte à outils visant à faciliter leur intégration dans le monde du travail. Exemplaire en la matière, l’entreprise informatique lucernoise Opacc Software.