«C’est dans les start-up qu’on observe les plus gros déficits en matière de management, observe Claire-Lise Rimaz, la codirectrice de Swiss Leaders. Les dirigeants et les cadres sont le plus souvent des jeunes gens fraîchement diplômés des hautes écoles. Ils sont brillants, mais ils ne connaissent rien de la vie en entreprise.» Entendez: s’ils peuvent être parfois brusques, voire toxiques, ce n’est pas qu’ils sont malintentionnés, mais ils sont inexpérimentés, souvent marqués de manière caricaturale par la culture de la Silicon Valley, l’excellence et la performance avant tout. Ils viennent en nombre croissant, conscients de leur manque, chercher auprès de Swiss Leaders un complément de formation. Ou, quand ils sont victimes de burn-out ou de harcèlement, un appui psychologique, un lieu où échanger leurs expériences, un conseil juridique.

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L’une des fonctions de l’ancienne Association suisse des cadres (ASC), rebaptisée Swiss Leaders il y a deux ans, consiste justement à soutenir, parfois de manière quasi syndicale, des dirigeants dont les intérêts n’intéressent personne. Exemple, ce directeur d’une PME, lâché par son conseil d’administration et viré après vingt-cinq ans de bons et loyaux services. «Il était en pleurs quand il est entré dans mon bureau», se souvient Claire-Lise Rimaz. Autre cas révélateur d’un nouveau trend: cette cheffe d’un service étatique épuisée par un cahier des charges irréaliste et une organisation sclérosée. Les cadres du secteur public ne sont pas mieux lotis que ceux du privé. Souvent bien au contraire. Nombre d’administrations publiques en sont encore à l’âge de la pierre managériale.

La codirectrice de Swiss Leaders explique comment l’association est surtout en passe de devenir une espèce de think tank et de laboratoire du monde du travail de demain. On lui demande pourquoi elle, la milléniale fonceuse, a rejoint cette organisation corporative, fondée il y a 130 ans dans la région zurichoise par les contremaîtres du secteur de la construction. «C’était une vieille dame endormie dont la raison d’être consistait à représenter ceux qui sont entre le marteau et l’enclume, comme les cadres aujourd’hui. Une mission qui m’a parlé d’emblée. Les entreprises sont passées à des modes de fonctionnement moins hiérarchisés, mais les responsabilités et la charge mentale qui vont de pair demeurent.»

Vie professionnelle bien remplie

A 43 ans, Claire-Lise Rimaz a derrière elle une vie professionnelle déjà bien remplie dans la presse, l’événementiel et le tourisme. Entrepreneuse dans l’âme, elle a, pour cette association de 10 300 membres si typiquement helvétique, de grandes visées. «Nous voulons être encore actifs dans trente ans et, si le travail pour assurer notre pérennité est immense, je suis convaincue que nous sommes sur le bon chemin.» Ambitieuse, elle l’est. Et timide, nous confie-t-elle. Elle ajoute: «Je suis la preuve vivante qu’on peut être timide et posséder les capacités de diriger.»

«Elle est curieuse et très cultivée. Elle pense aussi de manière méta, stratégique. On se challenge sans cesse, en toute franchise.»

 

La formation constitue désormais la colonne vertébrale de Swiss Leaders avec pour objectif de booster l’«Employ Agility» de ses membres. Le slogan est malin, mais l’offre qu’il recouvre n’en est pas moins substantielle: des cours en présence, en ligne ou hybrides; des séminaires et des événements (quelque 200 en 2023). Des certifications de compétences de conduite comme celle offerte aux membres des exécutifs communaux ou aux officiers des sapeurs-pompiers. Car les exigences en matière de leadership sont aussi pressantes dans le public que dans le privé. Plus largement, Swiss Leaders veut contribuer à ce que les dirigeants d’entreprise acquièrent les connaissances et les outils du management durable. «C’est ma priorité, affirme Claire-Lise Rimaz. Le besoin est immense, en particulier à la tête des PME.» Nous y reviendrons.

On sent chez la codirectrice de Swiss Leaders une soif inextinguible de connaissances. «Elle est curieuse et très cultivée, confie la spécialiste en communication Sarah Turin, qui la connaît depuis vingt ans. Elle pense aussi de manière méta, stratégique. On se challenge sans cesse, en toute franchise. Elle est pour moi une amie, mais aussi une sorte de coach de vie et de mentor.» Président de Swiss Leaders, Dominique de Buman, ancien conseiller national du Centre, président de l’Assemblée fédérale et syndic de Fribourg pendant dix ans, renchérit: «Une femme d’action, elle bouillonne d’idées, mais elle possède aussi la capacité à les mettre en œuvre. Elle fait preuve en toutes circonstances d’une grande honnêteté intellectuelle.» Et parle cash.

Cette passionnée de formation a préféré la voie duale à un parcours académique (maturité, brevet et diplôme fédéral). Son père est issu d’une lignée d’agriculteurs, mais c’est l’aîné, Raphaël, devenu plus tard conseiller d’Etat fribourgeois, qui a repris le domaine familial. Le père de Claire-Lise Rimaz va donc gagner sa vie comme conducteur de poids lourds. Sa mère, elle, travaille à plein temps à l’usine. La petite fille, sa sœur et son frère doivent très tôt se débrouiller seuls. «Je suis ce qu’on appelle un enfant clé autour du cou.» Mais c’est le décès, à l’âge de 1 an, d’une sœur qu’elle n’a pas connue qui l’a marquée au plus profond. «Depuis toujours, je ressens cette pulsion de vivre pleinement chaque instant. J’ai aussi voulu entrer dans la vie active aussi vite que possible pour gagner mon indépendance.»

A 14 ans, elle rêve d’être journaliste, mais choisit finalement de s’investir côté commercial (au sein de Publicitas, à La Liberté, pour le magazine Générations…), convaincue de l’importance de promouvoir les médias et de leur assurer une base économique solide, elle qui, depuis des années, lit religieusement Le Monde, Le Figaro et Le Point en plus de titres suisses. A 19 ans, elle rejoint le Conseil des jeunes du canton de Fribourg… où s’envolent ses illusions et l’envie de faire de la politique partisane. Après une dizaine d’années dans le monde des médias à Fribourg puis à Zurich, elle est engagée par Forum Fribourg/Expo Centre pour organiser, entre autres événements, le Salon des énergies renouvelables, une thématique qu’elle suit donc de longue date.

Claire-Lise Rimaz à Locarno, avec Carla Del Ponte.

A Locarno, avec Carla Del Ponte. Claire-Lise Rimaz voue une grande admiration pour l’ex-procureure du Tribunal pénal international, tout comme pour Dick Marty, récemment décédé.

© DR

Sensibilité pour les questions climatiques

Mais c’est à Paris qu’elle découvre de nouveaux horizons et approfondit par la même occasion la connaissance de son propre pays. Trois semaines après son arrivée au bureau de Suisse Tourisme comme responsable marketing, elle se lance dans un projet qu’elle va piloter de A à Z et qui fera date: le film La Suisse vue du ciel tourné par Yann Arthus-Bertrand, à qui on a donné carte blanche. Soufflé par la beauté des paysages, mais aussi par ce qu’il apprend, vu d’en haut, de la pauvreté historique d’un pays qui n’en est sorti que récemment, le photographe et cinéaste star sort des codes habituels de la promotion touristique. Il dira de sa collaboration avec Claire-Lise Rimaz qui ne le quitte pas d’une semelle: «Je ne suis pas facile, mais elle a compris ma manière de travailler et j’ai pu œuvrer en toute liberté grâce à elle.» Pour celle qui est bientôt nommée directrice adjointe de Suisse Tourisme dans la capitale française, c’est une rencontre cruciale.

Fière de contribuer à faire connaître ce qu’elle appelle la «vraie Suisse», elle comprend lors de ce tournage les impacts du dérèglement climatique sur le pays, la fonte des glaciers, le mitage du territoire… Le long format réalisé par Yann Arthus-Bertrand aura des retombées dans le monde entier et vaudra à la jeune femme une belle reconnaissance professionnelle au sein de Suisse Tourisme. Elle s’est aussi tissé un impressionnant réseau de contacts dans les médias français. «J’adorais mon job, on m’offrait toutes sortes d’opportunités, mais je m’étais donné cinq ans au maximum avant de passer à autre chose. Et, surtout, j’avais besoin de renouer avec un mode de vie plus proche de la nature et de mes racines.»

Elle s’étonne du qualificatif «boule d’énergie» souvent utilisé pour la décrire. Elle se voit plutôt comme une bosseuse idéaliste qui ne choisit jamais la facilité, qui œuvre, souvent en coulisses, avec pour but de faire une vraie différence. En professionnelle de la communication, elle sait comment séduire et convaincre, mais elle n’aime pas trop courir les cocktails. Sauf quand il le faut. Son besoin d’apprendre et les idées qui fusent expliquent ce punch communicatif – elle lit au moins trois livres par semaine, écoute bon nombre de podcasts. «Je ne possède plus de poste de télévision depuis longtemps et encore moins un abonnement à Netflix.»

Claire-Lise Rimaz a choisi de travailler à 80% et encourage les membres de son équipe à suivre son exemple. Plusieurs des 15 membres de son équipe sont ce qu’on appelle des slasheurs et cumulent plusieurs occupations. Ce collaborateur, par exemple, qui, en plus de son poste chez Swiss Leaders à 60%, a créé une agence qui promeut le VTT de manière durable et coordonnée avec les différents acteurs de son canton d’origine. «Si nous voulons être crédibles dans ce rôle de tête chercheuse et de formateur, nous nous devons d’expérimenter nous-mêmes les nouvelles formes de travail.» Bien avant la pandémie, Swiss Leaders pratiquait le télétravail et en a du reste tiré un guide à l’usage des entreprises. «Pendant le covid, observe-t-elle, les employeurs ont été contraints d’improviser. La plupart n’étaient pas préparés.» Claire-Lise Rimaz s’est également intéressée au portage salarial, qui combine les avantages du travail salarié et du statut d’indépendant, bien avant que le sujet ne soit à la mode.

Engagement humain

Son équilibre personnel, la codirectrice de Swiss Leaders le trouve dans la lecture, l’écriture et de nombreux voyages – elle ambitionne de se rendre cette année en Sierra Leone pour visiter un refuge pour chimpanzés. Elle s’engage depuis toujours dans le bénévolat et en parle comme l’un des autres fils rouges de sa vie. «J’ai décidé très tôt de ne pas avoir d’enfants. C’est un choix. Je l’assume et je le vis hyper-bien.» Cette disponibilité lui permet de se consacrer à ceux qui en ont vraiment besoin. «Au fond, les autres m’intéressent plus que moi-même», poursuit-elle en citant au passage son admiration pour la grande primatologue et anthropologue Jane Goodall, désormais militante du climat. «Ses découvertes reposent sur l’observation engagée qui a contribué à redéfinir le rapport entre les êtres humains et les animaux. Une méthode et une vision du monde qui m’ont inspirée.» Elle souligne aussi combien son chien Titan, qu’elle emmène presque partout avec elle, l’aide à vivre l’instant présent. Et nous explique en préambule de l’interview pour ce portrait qu’elle ne pouvait pas le laisser à la maison. Avec un zeste d’autodérision: «Je n’ai pas réussi à mobiliser de dog-sitter, désolée.»

Titan, son fidèle shih tzu, l’accompagne (presque) partout.

Titan, son fidèle shih tzu, l’accompagne (presque) partout.

© Sedrik Nemeth pour L’Illustré

Lors de notre prise de rendez-vous au téléphone, Claire-Lise Rimaz nous avait dit d’emblée pourquoi, selon elle, la durabilité est appelée à devenir inséparable de l’activité managériale. Son principal objectif en tant que membre de la direction de Swiss Leaders a donc été d’imaginer comment passer de la pétition de principes à l’action. Lancée en février 2021, l’initiative Sustainable Leaders témoigne des progrès accomplis. Une charte engageant les signataires à faire de la durabilité un objectif prioritaire a été signée par une centaine de dirigeants. L’année suivante, l’équipe de Swiss Leaders a mis sur pied une formation certifiante de huit jours avec Sanu Future Learning, une société spécialisée en durabilité, qui s’inscrit dans le projet européen Sustainable Leaders lancé par la CEC European Managers. Développé avec l’appui de l’organisation B Lab Switzerland, un baromètre du leadership durable en Suisse permet de mesurer la maturité des entreprises en matière de durabilité. Les premiers résultats de ce questionnaire ont été publiés en juin dernier (disponibles sur le site sustainableleaders.ch). Ils révèlent d’intéressantes différences entre secteurs et régions linguistiques. «De manière générale, ce baromètre, qui est aussi un outil gratuit à disposition des entreprises, montre que bon nombre de dirigeants n’ont pas encore pris conscience de l’importance de l’enjeu. Nous avons encore du pain sur la planche.»

Premier axiome, il ne suffit pas de nommer une Madame ou un Monsieur Durabilité pour opérer les changements nécessaires. L’ensemble de la direction, à commencer par le ou la CEO, doit être convaincu de l’importance stratégique de la durabilité. Deuxième axiome, il ne faut en aucun cas la réduire à sa dimension environnementale. Les aspects sociaux et de gouvernance sont d’une égale importance. Les entreprises seront, par exemple, de plus en plus confrontées à la question de l’inclusion de main-d’œuvre peu qualifiée ou formée hors de Suisse, notamment celle issue de l’immigration de pays extra-européens. Un sacré défi. Et de tracer le parallèle avec la digitalisation. «De trop nombreuses sociétés, en particulier des PME, n’ont pas pris la cybersécurité assez au sérieux. Plusieurs casses informatiques récents montrent combien le prix payé pour ce manque d’anticipation peut être exorbitant. Je comprends les dirigeants, ils ont le nez dans le guidon et disent ne pas disposer du temps nécessaire à se projeter dans l’avenir. Comme la digitalisation, la durabilité n’en est pas moins un impératif incontournable.»

Bio express

1980
Naissance à Meyriez, près de Morat, dans une famille d’agriculteurs.

2009
Directrice des salons et responsable R&D de Forum Fribourg/Expo Centre.

2018
Engagée par l’Association suisse des cadres (ASC) comme directrice pour la Suisse romande.

2021
Lancement de l’initiative Sustainable Leaders comme cheffe de projet nationale, rebranding de l’ASC qui devient Swiss Leaders. Nommée codirectrice en 2022.