Pour l’instant, en Suisse, la culture en matière de transparence des salaires reste minoritaire au sein des entreprises. Mais avec une pression croissante, aussi bien au niveau réglementaire qu’en termes d’attente des candidats, les choses pourraient évoluer ces prochaines années. Les explications de François Brianchon, responsable pour les petites entreprises chez JobCloud, qui possède notamment les plateformes jobs.ch et jobup.ch.
En Suisse, le salaire reste un sujet tabou. Peu de gens en parlent ouvertement. Observez-vous un changement dans les mentalités?
Si l’on considère l’angle de la transparence salariale dans le contexte de la publication d’offres d’emploi, on observe une évolution assez lente en Suisse, puisque dans les faits, seules 8,5% des annonces publiées durant la dernière année sur nos plateformes d’emploi contiennent la mention d’une fourchette salariale.
Pour autant, la Suisse ne fait pas exception à la règle et le sujet de la transparence salariale devient de plus en plus prégnant. Il y a une pression double sur les entreprises. D’un côté, la pression réglementaire, plutôt indirecte en Suisse, avec la loi fédérale de 2020 sur l'égalité entre les femmes et les hommes, qui oblige les entreprises de 100 employés ou plus à réaliser régulièrement des analyses de l'équité salariale. Elle est beaucoup plus directe ailleurs, notamment en Europe, avec le plaidoyer de la Commission européenne en 2021 pour une directive quant à l’égalité de rémunération grâce à la transparence. Dans certains États américains, il est même devenu obligatoire depuis plusieurs années de communiquer sur la fourchette de salaire prévue pour le poste à pourvoir dans les annonces.
De l’autre côté, la pression de la part des candidats se fait également ressentir. Ils aspirent à davantage de transparence et favorisent logiquement les annonces faisant mention explicite de la rémunération proposée pour le poste. Dans un marché où il est parfois difficile de trouver les bons talents, il semble évident que les difficultés à recruter vont s’accentuer pour les entreprises les plus réticentes à communiquer sur les salaires.
Comment cela se manifeste-t-il au niveau des annonces publiées par les entreprises?
Les employeurs se déclarent en majorité réticents sur le sujet. Près de 90% d’entre eux annonçaient en 2023 ne pas avoir l’intention de communiquer sur les rémunérations proposées dans leurs offres d’emploi dans le futur. Paradoxalement, on constate que, pour les premières entreprises qui s'emparent du sujet, la performance des annonces est bien supérieure, puisque les offres d’emploi affichant la rémunération obtiennent jusqu’à 86% de candidatures supplémentaires. Par ailleurs, 43% des personnes en recherche d’emploi consultent uniquement les sites d’emploi qui indiquent la rémunération. Ces informations sont cohérentes avec un autre sondage que nous avons effectué, nous indiquant que la volonté d’obtenir une rémunération supérieure est la motivation principale de 44% des personnes en recherche d’emploi.
Quels avantages les entreprises peuvent-elles tirer d’une transparence accrue en matière de salaires?
À long terme, il apparaît que les avantages surpassent les inconvénients. On peut mentionner une plus grande capacité à attirer des talents qui correspondent réellement au poste et à l’entreprise, moins de temps passé à gérer des candidatures inadéquates et à conduire des négociations salariales infructueuses, mais aussi un renforcement de l’image de l’entreprise auprès des collaborateurs actuels et futurs, en démontrant une culture d’entreprise axée sur l’équité et la transparence.
La transparence salariale généralisée devrait également permettre aux entreprises d’avoir accès à de précieuses données de marché sur les salaires pratiqués, en regardant ce qui se passe auprès de la concurrence, mais aussi chez les employeurs les plus attractifs, et éventuellement adapter leur approche pour se positionner plus fortement auprès de leurs candidats cibles.
Quels conseils donneriez-vous à une PME qui souhaite rendre ses grilles salariales plus transparentes?
C’est un véritable changement de paradigme, et chaque entreprise doit bien prendre le temps d’analyser sa politique de rémunération, en effectuant des comparaisons internes et externes, afin de s’assurer d’être capable de la justifier auprès du personnel. C’est une excellente opportunité de comprendre ce qu’intègre le «package» proposé par l’entreprise, au-delà du salaire, pour valoriser au mieux l’offre et l’adapter au besoin.
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