Depuis trente ans, le CIFI (ou IAZI en allemand) travaille avec les banques, les institutionnels, les fonds immobiliers et les pouvoirs publics pour affiner l’estimation des villas et des appartements. Sa méthode hédoniste, qui évalue l’immobilier selon les principes statistiques modernes, s’est depuis imposée. Son président, Donato Scognamiglio, décrypte la situation actuelle et explique pourquoi si peu de Suisses sont propriétaires.

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M. Scognamiglio, comment expliquez-vous que, malgré l’envie d’être propriétaire, la Suisse compte toujours environ deux tiers de locataires?

La raison est simple: les terrains sont rares et chers. En Roumanie, beaucoup de gens sont propriétaires car les surfaces sont abondantes et relativement avantageuses. En outre, nous n’avons pas de terrains là où nous en aurions besoin. En plus, nous accueillons 80 000 à  100 000 immigrants par an, car notre économie en a besoin, mais nous ne nous donnons pas les moyens d’augmenter les logements car on ne veut pas d’extension des zones à bâtir. Densifier ou surélever? Oui, mais pas chez soi! La Suisse restera donc un peuple de locataires, mais contents de leur situation, comme le prouvent les sondages.

Quels sont les facteurs qui retiennent les Suisses d’accéder à la propriété ?

Tout d’abord, le manque de fonds propres. Ensuite, la pénurie de terrains disponibles dans la région où l’on travaille. Des terrains à La Brévine (NE) n’aident pas quelqu’un qui travaille à Lausanne. Depuis le covid, on a constaté qu’il était possible de télétravailler. Cela a conduit à envisager de plus grands trajets entre domicile et emploi. Mais il faut toujours des fonds propres, des revenus suffisants et un terrain. Pour beaucoup, le rêve de propriétaire restera un rêve.

La Confédération a souvent pris des mesures pour favoriser l’accès à la propriété. Au vu des taux de propriétaires, doit-on considérer que ces actions sont des échecs?

Promouvoir la propriété est un but inscrit dans la Constitution. Le conseiller fédéral Guy Parmelin vient d’organiser une table ronde sur le sujet. Résultat: une trentaine de propositions telles que densifier, construire plus haut, accélérer les procédures, etc. Mais presque tout est au conditionnel et n’aura un impact qu’à moyen ou long terme. Et il faudra encore décliner ces mesures au plan cantonal et communal…

Pire encore: on n’agit que sur l’offre. On n’ose pas parler de la demande. Dans les villes, la moitié des gens habitent seuls. En outre, il y a toujours plus de divorces, de célibataires ou de jeunes qui veulent quitter le logement familial et habiter dans un centre. Or si on ne construit pas plus, car il faudra aussi loger les employés immigrés que les entreprises réclament, les prix vont continuer de monter. Et si rien n’est fait rapidement, ce sera encore pire.

Quelles mesures pourraient être profitables pour que les Suisses deviennent plus nombreux à acquérir leur chez-soi?

Pour devenir propriétaire, il y a en allemand la règle dite des trois G: gewonnen, geerbt, gestohlen. Il faut avoir gagné, hérité ou volé. En clair, il faut les fonds propres et les revenus nécessaires. Sinon, cela reste une illusion. Surtout que ceux qui sont déjà propriétaires n’ont aucun intérêt à ce que les prix soient plus bas ou les terrains plus avantageux. Des baisses de prix dilueraient leur investissement. Si vous êtes membre d’un club privilégié, vous n’avez aucun intérêt à ce que tout le monde y adhère.

Sans compter que vouloir agrandir les zones à bâtir se heurte à des oppositions écologistes. Par ailleurs, la proposition d’augmenter le taux d’avance de 80 à 95% de la valeur du bien entraîne d’énormes risques supplémentaires.

Pour les jeunes, c’est dur de se dire qu’il faut économiser toujours plus afin de ne pas perdre l’illusion d’acquérir son logement. La seule possibilité pour que leur fortune augmente passe par des salaires plus élevés ou par une activité professionnelle des deux membres du couple. Et, en tout cas, il faut une conjoncture très porteuse, ce qui ne se décrète pas d’un clic.

Une autre chance pourrait venir des baby-boomers qui vont prendre leur retraite et ne voudront peut-être plus entretenir leur beau jardin ou nettoyer leur grande maison. Il est possible qu’ils vendent leur villa au profit d’un appartement plus petit en ville. Mais est-ce motivant de penser devoir attendre quinze ans pour réaliser son rêve?

En Suisse, il y a de grandes disparités entre les cantons. Pourquoi le Valais ou le Jura ont-ils massivement plus de propriétaires que Vaud, Fribourg ou Neuchâtel?

Parce qu’il y a (ou il y avait) plus de terrains disponibles, à des prix plus ou moins abordables. Plus le site est urbain, plus le terrain coûte et plus il faut de fonds propres.

Et que peut-on dire de Genève, qui est en queue de classement?

Le canton est coincé entre le lac et la France, avec des surfaces limitées. C’est l’une des régions les plus attractives et donc les plus chères du pays. N’importe quelle maison individuelle – si on la trouve – coûte près de 3 millions. Il faut donc 600 000 francs de fonds propres et 360 000 francs de revenus.

La Finma et la BNS relèvent souvent l’importance de la dette hypothécaire en Suisse. Doit-on effectivement s’en inquiéter?

En Suisse, le volume des dettes hypothécaires s’apprête à franchir le cap des 1000 milliards de francs. Pour une population d’environ 9 millions de personnes, cela représente quelque 110 000 francs par tête. Si l’on tient compte que moins de 40% sont propriétaires, cette dette monte à 275 000 francs par personne… Mais, comme dans un bilan, il ne faut pas regarder que le passif. A l’actif, il y a de l’immobilier qui vaut beaucoup plus!

Le problème ne serait effectif que si une crise immobilière faisait chuter les prix de 10% ou plus. Ce qui toucherait surtout les nouveaux propriétaires. Mais je ne crois pas à une telle baisse. Car la forte immigration soutient la demande et la Suisse reste attractive. La BNS et la Finma jouent un rôle d’arbitre, c’est leur devoir de prévenir. Cependant, elles ne sont pas le risque principal. Pour les propriétaires, le danger majeur, c’est le divorce et la politique!

Acheter ou louer: la propriété redevient plus intéressante!

Dans l’immense majorité des communes romandes, il devient plus attrayant d’acheter son logement que de le louer. Mais l’accès à la propriété reste un rêve pour beaucoup de Suisses. Découvrez notre grand dossier: