L’épidémie de Covid-19 continue de semer la panique sur l’économie mondiale. Les marchés décrochent, les entreprises sont à l’arrêt, les demandes de chômage partiel explosent. De quoi voir resurgir le spectre d’une nouvelle récession.
Dans ce contexte, est-il encore envisageable d’investir? Et, si oui, quels sont les meilleurs placements à envisager? Les plus risqués? Faut-il privilégier l’Asie, qui semble plus proche de la sortie de crise que l’Europe ou les Etats-Unis?…
Les experts de la BCV René-Pierre Giavina, stratégiste financier, et Patrick Botteron, directeur du Private Banking Onshore, ont répondu à vos questions lors d’une discussion en ligne. Leurs réponses sont à consulter ci-dessous.
Si la situation actuelle perdure, que va-t-il se passer au niveau des taux d’intérêt? (CF_dwd)
Il faut distinguer les taux d’intérêt à court terme, qui dépendent essentiellement des politiques monétaires des banques centrales, et ceux à long terme, plus dépendants de la situation conjoncturelle, de l’évolution de l’inflation et de la solvabilité des débiteurs obligataires.
Les taux courts resteront très bas durablement. Les taux longs devraient graduellement remonter lorsque la crise s’estompera et que les banques centrales réduiront leurs achats de dettes sur les marchés.
On lit et on entend que l’on va éviter la dépression. Qu’est-ce qui fera qu’on l’évitera ou pas? (CF_dwd)
Stay at home! En effet, le respect des mesures de confinement permettra de freiner la propagation de la pandémie et donc de reprendre graduellement une activité économique. Et ainsi éviter que la courte récession attendue ne se prolonge et finisse en dépression.
L’endettement des Etats qui se creuse de manière exponentielle avec les actions de soutien de l’économie à coups des centaines ou de milliers de milliards va-t-il avoir un impact sur les monnaies et sur les notations de certains Etats à long terme? (Jul)
Oui, clairement. Ces plans de relance ne sont pas gratuits, ils vont fortement creuser les déficits publics, affaiblir davantage certains Etats déjà passablement endettés. Cela va se traduire au cours des prochains mois par des pressions haussières sur les rendements à long terme. Concrètement pour la Suisse, solide financièrement, le franc va rester fort.
Pouvez-vous nous citer deux ou trois entreprises clairement malmenées sur les marchés US et suisse qui pourraient être intéressantes à acheter maintenant? (Eore)
Nous ne pensons pas que de sélectionner deux ou trois entreprises soit l’approche la plus pertinente. La prise de risque reste aléatoire et ne sera pas forcément récompensée. Des produits largement diversifiés sont à privilégier pour investir dans ces deux marchés. De par leurs caractéristiques défensives, ils constituent, selon nous, la base de la part en actions d’un portefeuille investi en francs suisses.
Est-ce que l’analyse des fondamentaux de l’entreprise fait encore sens dans la situation actuelle ou, au contraire, la situation est-elle si exceptionnelle qu’il ne faut même plus s’y intéresser pour choisir ses actions? (Vincent)
A court terme, l’évolution des marchés répondra essentiellement à des facteurs émotionnels et à l’actualité. A plus longue échéance, l’analyse des fondamentaux des entreprises et des secteurs reste un des piliers de la discipline nécessaire à tout investissement.
Quels seront les marchés et les secteurs qui vont sortir grands gagnants de la crise sur le plan des marchés? (Zo)
Les gagnants devraient être, comme souvent lors de crises, les sociétés au modèle d’affaires solide, flexible, durable et présentant des bilans financiers sains. Ainsi armées, ces sociétés devraient être capables de s’adapter à toutes nouvelles situations. Elles pourront profiter de compléter leur portefeuille d’activités en rachetant des sociétés moins solides.
D’autre part, la crise devrait renforcer les tendances structurelles déjà existantes avant le coronavirus, comme la digitalisation, l’e-commerce et peut-être une économie de proximité.
L’or, en tant que valeur refuge, est-il la solution actuellement? (CF_dwd)
Actuellement, l’or fait partie d’un portefeuille diversifié. Il remplit en effet son rôle de valeur refuge lorsque les incertitudes financières sont grandes. Durant les périodes de turbulence économiques et financières marquées, le métal jaune tend à mieux performer. Par ailleurs, une fois la phase aiguë de stress franchie, l’or pourrait profiter d’une faiblesse du dollar et de la dégradation des finances publiques.
Le bitcoin fait-il selon vous partie des valeurs refuges telles que l’or? (Petchdam)
Le bitcoin n’est pas une valeur refuge telle qu’on l’entend pour l’or ou le franc suisse, par exemple.
Si j’ai potentiellement perdu pas mal d’argent sur une position et que les fondamentaux sont solides, pensez-vous que je devrais racheter? (Lionel)
Les dernières crises financières nous ont appris qu’il ne fallait pas céder à la panique. Dans ces périodes, il est important de vous concentrer sur vos objectifs financiers et de rester investi si votre horizon d’investissement est à suffisamment long terme. C’est d’autant plus important que les rebonds, comme nous venons de le vivre, peuvent être tout aussi violents.
Cette situation prouve que c’est en restant investi que vous arriverez à dégager de la performance dans la durée. Toutefois, vu le rebond récent, nous vous proposons de ne pas compléter vos positions dans l’immédiat et d’attendre une prochaine baisse pour agir. Ces prochains mois présenteront des nouvelles opportunités pour réinvestir.
A quoi faut-il s’attendre sur le marché des changes ces prochaines semaines et mois? Dollar en hausse, franc suisse en hausse, tout comme le yen? Si c’est le cas, est-ce que la BNS va tout faire pour éviter une hausse du franc suisse, ou cette crise est-elle trop profonde pour pouvoir contenir l’aspect valeur refuge du CHF? (Hervé)
Actuellement, la BNS est très active. Elle intervient pour éviter un renforcement exagéré du franc. Ses moyens ne sont pas illimités dans un contexte de crise économique aiguë et persistante. Ainsi, il faut encore privilégier les investissements en francs suisses et protéger (hedger) ces prochains mois les investissements en monnaies étrangères.
Les entreprises cotées qui versent des dividendes importants vont avoir de la peine à justifier ce versement si elles bénéficient d’aides publiques ou de chômage partiel pour leurs employés. Est-ce que les marchés anticipent déjà ce point-là dans les valorisations actuelles des actions? (Hervé)
Une question très actuelle, le débat faisant rage. Les pressions sont fortes, notamment de la part des régulateurs nationaux. Prenons l’exemple concret de la Suisse, où les deux grandes banques ont annoncé ce [jeudi] matin une adaptation de la distribution de leurs dividendes.
La pression n’est pas la même dans tous les secteurs. Elle dépend du niveau d’aide reçu dans le cadre des plans de relance. Comme pour la révision des bénéfices, le marché ne semble pas avoir totalement escompté ces réductions, voire suppressions de dividendes. La prudence reste de mise sur les secteurs concernés.
Je suis une nouvelle investisseuse, j’aimerais profiter de la chute des marchés mondiaux pour investir une partie de mes économies. Que me conseillez-vous? (Marie)
Bonne idée que de profiter ces prochains mois d’opportunités d’achat qui vont se présenter. Le véhicule le plus adéquat dépend du montant que vous avez à investir et du style de gestion qui vous correspond. Concrètement, un fonds de placement ou un fonds indexé est optimal pour diversifier à moindres coûts un investissement dès quelques milliers de francs. Le recours à des actions individuelles ne devrait se faire que pour un investissement de plusieurs millions de francs.
Par des fonds indexés, vous bénéficierez de la performance des marchés en réduisant les risques liés à la sélection de titres et les frais. D’autre part, il existe une multitude de fonds indiciels (sectoriels, géographiques, etc.) permettant de refléter votre philosophie d’investissement.
Les banques peuvent vous fournir une sélection de produits vous correspondant. Vous pouvez en discuter avec votre conseiller.
Cher monsieur, bonjour! Au début de ce cataclysme, j’ai vendu un fonds de pension en imaginant bien la chute de l’économie. J’ai fait de même avec des fonds immobiliers. Je me retrouve maintenant avec pas mal de liquidités. Je n’ai aucune idée aujourd’hui s’il faut reprendre le train des investissements. Il me serait agréable de connaître votre point de vue à ce sujet. (Jean)
Vous voilà dans une position confortable dans le contexte actuel, avec beaucoup de liquidités. Votre priorité devrait être de redéfinir votre stratégie d’investissement. Concrètement, votre répartition d’actifs (asset allocation) doit correspondre à votre acceptation des risques. Puis, avec l’appui de votre conseiller, il s’agit de décider de trois ou quatre niveaux d’achats à mettre en œuvre ces prochains mois. Il ne faut pas aller trop vite dans le contexte actuel, le rebond ayant été probablement trop fort.
Combien de temps avait-il fallu, suite à la crise de 2008, aux principaux marchés pour retrouver leurs niveaux d’avant crise (et en 2001)? (Julien)
Le temps de récupération, c’est-à-dire la période nécessaire pour retrouver les anciens plus hauts du marché à partir des plus bas d’un marché baissier, s’étend en moyenne sur 24 mois. Ce temps de récupération ne dépend pas de l’ampleur de la chute et varie fortement selon les épisodes baissiers. Les crises du début des années 2000 et de 2008 ont mis respectivement 56 et 49 mois pour récupérer. Aujourd’hui, le S&P 500 est encore environ 20% en dessous de son dernier record établi le 19 février, à 3386 points.
Pour retrouver tout le chemin perdu depuis les plus hauts du dernier marché haussier, le marché a en moyenne besoin de 40 mois. Lors des deux dernières crises, il a fallu plus 86 et 66 mois, soit plus de sept et cinq ans pour retrouver les sommets précédents.
Toutefois, il faut faire preuve d’humilité. Cette crise est inédite. Tout comme les mesures de relance qui ont été prises par les gouvernements et les banques centrales.
La crise a un peu d’avance en Asie, est-ce que le redémarrage va commencer aussi par l’Asie? Du coup, faut-il privilégier les marchés asiatiques? (Luc)
La crise a effectivement un temps d’avance dans certaines régions asiatiques, à commencer par la Chine. L’activité reprend, comme l’ont démontré les nouvelles en provenance de Wuhan, épicentre initial de la pandémie de coronavirus. Mais le mouvement est lent et graduel.
Dans d’autres pays de la région, la crise n’est de loin pas encore terminée. Au Japon par exemple, le gouvernement vient de prendre des mesures de restriction de mouvement et de soutien à l’économie.
Les pays dont l’économie dépend en outre du commerce international doivent attendre que les principales économies occidentales sortent de leur confinement.
Comme ailleurs, la réévaluation des perspectives des bénéfices des entreprises n’est pas terminée, élément clé pour toute reprise durable des marchés.
Enfin, les pays émergents doivent compter avec trois autres facteurs: l’évolution du dollar, les prix des matières premières et une possible dégradation de leur qualité d’emprunteur.
Les indicateurs de risques des marchés asiatiques – hors Japon – s’améliorent effectivement. L’Asie du Sud-Est fait partie des marchés à privilégier aujourd’hui.
Les Etats-Unis ont mis un certain temps avant de prendre ce virus au sérieux, est-ce que le Dow Jones et le Nasdaq vont encore descendre beaucoup avant le rebond? (Jpb32)
La chute a été brutale. Pour rappel, en 2008, il a fallu presque 6 mois pour que le marché américain corrige de près de 30%. Là, l’indice Standard&Poor’s 500 a perdu 30% environ de sa valeur en quelque quatre semaines. S’il a rebondi depuis, rien n’indique pour l’heure qu’il ne puisse baisser à nouveau aux environs de ses niveaux du 20 mars. De manière plus générale, ceci a pu être observé lors des crises précédentes, les marchés rebondissent après une forte correction. Dans un deuxième temps, ils repartent à la baisse, pouvant même retester les plus bas précédemment atteints.
Aujourd’hui, une forte volatilité devrait se maintenir sur les marchés américains tant que le pic de la pandémie aux Etats-Unis ne sera pas atteint. Les premières statistiques économiques montrent que le coup d’arrêt à l’activité au deuxième trimestre atteindra des niveaux plus revus depuis la Deuxième Guerre mondiale. A titre d’exemple, alors que le taux de chômage restait proche de ses plus bas historiques aux alentours de 3,5%, il devrait rapidement atteindre son pic de 2009 à près de 10%. Lors des deux premières semaines de crise aux Etats-Unis, près de 10 millions d’Américains se sont nouvellement inscrits au chômage.
Les Etats-Unis devront compter avec une forte récession au deuxième trimestre 2020, malgré les moyens déployés par le gouvernement et la Réserve fédérale pour relancer l’économie. Comme ailleurs, la durée de la pandémie – et donc des mesures mises en place pour la combattre – reste l’élément clé pour déterminer l’ampleur de la récession.
Parmi les indicateurs à suivre pour percevoir une stabilisation de la situation, outre l’évolution de la volatilité, figure le mouvement de révision à la baisse des bénéfices des sociétés. Estimé pour l’heure à -20%, son recul ne semble pas encore terminé.
Cela dit, le marché américain reste un des marchés à privilégier dans les portefeuilles.
Certains observateurs pensaient que les marchés étaient bien trop hauts avant la crise, ils attendaient même une correction. Est-ce que la dégringolade actuelle des marchés mondiaux n’est finalement pas une bonne chose? (Marie)
Avant l’éclatement de la crise, les marchés boursiers se traitaient à des niveaux de valorisation qui n’étaient pas excessifs, à en juger l’environnement de taux bas et l’amélioration des perspectives conjoncturelles – et donc des bénéfices attendus des sociétés, élément de référence dans l’une des méthodes d’appréciation du prix des actions. L’arrêt de l’activité d’une grande partie de la planète – chose inédite – pour lutter contre la propagation du coronavirus est intervenu alors que les chiffres en provenance de l’économie réelle confirmaient ce qu’annonçaient les indicateurs avancés de l’activité depuis quelques mois: à savoir que la croissance de l’économie mondiale se reprenait après les doutes de début 2019 (guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis).
Dire que la chute de 30% la plus rapide de l’histoire est une bonne chose est une interprétation très personnelle.
Nous devons distinguer entre les clients qui étaient déjà investis et ceux qui ne l’étaient pas. Pour ceux qui l’étaient déjà, cette baisse est très douloureuse, mais elle rappelle les valeurs fondamentales d’investissement, à savoir la discipline, le respect de son profil de risque et de son horizon d’investissement.
Pour ceux qui n’étaient pas investis, cette situation peut représenter une opportunité pour constituer un portefeuille de qualité et diversifié.
Attention toutefois à ne pas se précipiter et à construire avec son conseiller une stratégie d’investissement qui vous corresponde.
Cette situation force à une certaine prudence, à une nécessaire humilité, mais présente aussi des opportunités.
Conclusion de la discussion:
Nous vous remercions de votre intéressante et forte participation. Nous n’avons malheureusement pas pu répondre à toutes les questions.
Voici quelques messages au terme de notre discussion.
La crise engendrée par la propagation du coronavirus et par les mesures prises pour combattre la pandémie n’a pas de précédent. Elle a contraint la moitié de la planète au confinement et engendré un arrêt quasi immédiat de l’activité économique et sociale. Il faut donc faire preuve de beaucoup d’humilité face à cette situation inédite. Cette période est difficile pour l’investisseur et la récupération pourrait être longue. Cela étant, il existe également des opportunités pour construire un portefeuille de qualité. Il faut savoir rester patient et les fondamentaux de l’investissement sont plus que jamais d’actualité:
- Discipline d’investissement, soit avoir des objectifs financiers clairs, correspondant à sa situation personnelle et à son acceptation du risque.
- Horizon d’investissement, soit n’investir que l’argent dont vous n’aurez pas besoin dans les prochaines années. Le temps est l’allié de l’investisseur.
- Diversification, soit ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
- Monnaie d’investissement, soit la monnaie dans laquelle vous dépenserez l’argent investi – un investisseur vivant en Suisse doit privilégier le franc.
- Compréhension, soit n’investir que dans des solutions d’investissement transparentes, claires et qui vous parlent.
- Echange avec votre conseiller, qui vous connaît.
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