Burgol Racing Technologie. Genève-Bellevue. Un carré de campagne sous le train d’atterrissage de Cointrin. Un bâtiment blanc dans une chicane de la route cantonale. Deux rampes. Deux étages. Des voitures. Partout. Carrosseries sans roues, châssis nus, moteurs à cœur ouvert et, entre deux, quelques serpents de sol pour circuler. Allard, Lotus, Cobra, Cunningham, Jaguar, Lotus, Capri, Spice, Lola, Aston Martin. Celui qui n’y connaît rien est scotché. Celui qui sait décolle.
Chacune de ces voitures a son histoire, et son palmarès, décroché sur les circuits d’Europe ou du monde. Chacune de ces voitures marque un moment de l’histoire contemporaine, génie mécanique, technologie, philosophie, de l’après-guerre aux années 2000. De quoi tenir un musée. Sauf que ces voitures-là ne risquent pas de prendre la poussière. Elles sont taillées pour la course et elles sont ici pour la compétition.
Un atelier unique dans le paysage automobile
Burgol Racing Technologie n’est pas un garage non plus, les apparences peuvent tromper: l’huile, la graisse, le parfum acide du métal brut, les outils, les pièces détachées un peu partout. La nuance est de taille, les voitures ne sont pas là pour être réparées: l’atelier est celui d’un préparateur pour les courses de séries historiques. Un préparateur qui compte dans la spécialité, sans concurrence directe en Suisse, peut-être même pas aux Etats-Unis, troisième plus grand team à l’échelle européenne.
Ici, on s’occupe principalement des voitures, un peu de leurs pilotes, qui en sont souvent propriétaires. Essentiellement des privés, amateurs, passionnés, professions libérales, indépendants, entrepreneurs, en quête de sensations fortes. Il n’en faut pas moins pour franchir la porte de l’atelier, ce loisir est aussi exclusif que coûteux; les places chez le préparateur sont rares et elles se paient avec un supplément d’éthique, un état d’esprit, car le préparateur a «une philosophie», dont le gardien se nomme Benjamin Monnay, 38 ans, dirigeant et créateur de Burgol Racing Technologie. Cette philosophie, c’est le respect de la mécanique, telle qu’elle a été pensée à l’époque.
La genèse de l'atelier
Les courses de voitures historiques commencent à se développer dans les années 1980. Didier Burgisser crée Burgol en 1990 – avec une grue sur le logo, hommage à sa Gruyère natale et à Loulou Morand, autre Gruérien, préparateur de légende des années Jo Siffert. Benjamin Monnay arrive en 2004, Burgol ne compte qu’un seul employé. Il a 20 ans. Il vient de boucler ses études, mécanicien de précision et ingénieur. Il développe une entité dédiée à la compétition – Burgol Racing Technologie –, dont il prend la direction en 2014, puis développe en indépendant.
Pendant une décennie, Benjamin investit tout dans la croissance de son entreprise, poste par poste, métier par métier, pas à pas. Aujourd’hui, Burgol Racing Technologie s’occupe d’un parc de 25 voitures, en fait rouler 16 en compétition, dispose de deux ateliers, compte 12 collaborateurs et couvre un spectre de compétences assez large pour lui assurer toute l’autonomie nécessaire.
Expertise et maîtrise
Tout se fait de manière organique: «Ça passe par les gars.» Les compétences viennent de partout. Le carrossier sur aluminium – matériau privilégié des années 1950-1960 – était boulanger, un autre était serrurier. La plupart sont de purs mécaniciens. «C’est logique»: il n’y a pas de circuit en Suisse et pas de filière de formation dédiée à la compétition automobile. Peu importe, ce n’est pas un critère d’embauche: «Le plus important est la capacité d’appliquer la mécanique à la voiture.» Et quand quelqu’un présente une compétence particulière, Benjamin Monnay s’efforce de la développer, «il faut juste trouver quelqu’un pour faire ce qu’il faisait avant».
Le dernier maillon ajouté à la chaîne est «un banc moteur à rouleaux freinés». Une pièce maîtresse pour «tester, régler, développer». Pendant un an, le motoriste de l’équipe – motoriste de compétition, formé sur F1 – a appris en effectuant des cartographies (programmation des moteurs) et en les validant sur d’autres bancs. En parallèle, d’autres collaborateurs l’ont épaulé dans ses fonctions courantes: révision, développement et optimisation des moteurs, vilebrequins, arbres à cames, bielles. Un moteur dure deux saisons, huit moteurs sont travaillés en parallèle, équilibrage, haut moteur, bas moteur, pistons développés sur mesure. Puis il a fallu pousser toutes les étagères, serrer encore un peu plus la surface de travail.
Le banc moteur, 18e poste de l’atelier, a fini par trouver sa place. Tout est à sa place. La halle couverte de voitures en cours d’autopsie. La division carrosserie. Le petit atelier où Sylvain, ici depuis douze ans, s’affaire aux transmissions, tout ce qu’il y a entre le moteur et la roue. Quelques machines plus lourdes pour faire un peu prototypage, usinage, cintrage, soudage, échappements, réservoirs, renforts, arceau, «de la serrurerie de précision». Le seul espace sous-occupé est un futur centre d’usinage, avec tours et fraiseuses, qui attend encore son opérateur, celui qui saura cumuler la production et la mécanique.
Sur la planète Burgol, le mot mécanique a un sens particulier: «On applique la mécanique à la compétition.» Autrement dit, «on ajoute des contraintes», de charge, d’échauffement, de tout, des paramètres en plus, que les constructeurs n’avaient pas prévus. Les moteurs sont poussés aussi loin que possible, tout ce qui peut être optimisé le sera, dans le respect de l’histoire, sans toucher à la structure de la voiture ni au style de conduite.
La ligne directrice tient en un mot: «Autonomie.» «Logiquement, explique Benjamin Monnay. Il n’y a personne autour de nous, nous avons dû monter notre propre pôle mécanique.» Sous-traiter, souligne-t-il, n’est pas une option: «Tu ne maîtrises plus rien.» Se développer est une obligation, il faut évoluer avec la spécialité, et la course de voitures anciennes est devenue un loisir professionnel, toujours plus exigeant et pointu, Burgol a suivi. C’est parfait, tout le monde est là pour ça: «On a choisi ce métier par passion, on a tout construit avec notre passion, sans rien, et on a monté un vrai team de compétition dans un terroir où nous sommes seuls.»
Travail à l'ancienne
Sur la planète Burgol, il n’y a que deux saisons. L’été, qui s’étire de mi-mars à mi-octobre. Après, c’est l’hiver. L’été, c’est la saison des courses. L’hiver, c’est la saison sans course. Durant la saison des courses, «on travaille à l’ancienne», le job, c’est d’accompagner les voitures sur les circuits, de les entretenir, de réparer les casses, d’éteindre les feux, un responsable par voiture et toutes les forces qu’il faut autour. L’hiver, «c’est la même chose», avec une révision complète en plus. «La même chose.» Nouvelle litote, car l’atelier ne carbure pas à la routine: on apprend de chaque geste, chaque geste permet de repousser les limites, etc. Seul le calendrier est imposé, par Peter Auto, l’entité parisienne qui tient quasiment le monopole de la course de voitures anciennes sur les circuits continentaux, Paul Ricard, Mugello, Estoril, Spa-Francorchamps, Dijon-Prenois, Le Mans. A quoi s’ajoutent quelques autres événements, dont la mythique course de Goodwood en Grande-Bretagne. Règles strictes également côté homologation: chaque voiture est assignée à une série selon son année de conception, chaque série étant balisée par des avancées technologiques, et tout est régi par la Fédération internationale de l’automobile (FIA), seul organe habilité à délivrer le Passeport technique historique (PTH), certifiant que la voiture est conforme à sa conception d’origine, préalable indispensable pour devenir éligible à une course de série.
Sur la planète Burgol, les voitures sont classées en deux catégories: celles qui ont été conçues entre l’après-guerre et la fin des années 1960 sont regroupées dans l’atelier du haut, et celles qui ont été construites entre 1970 et 2005, dans l’atelier du bas. L’atelier du haut compte sept collaborateurs, celui du bas cinq. Les véhicules d’avant-guerre, ère des «tacots», sont volontairement écartés. La conception de voitures destinées à la course commence véritablement au début des années 1950, explique Benjamin Monnay, avec l’arrivée de constructeurs comme Jaguar, Aston Martin ou Ferrari, et de pilotes-mécaniciens à tout faire, comme -Briggs Cunningham, Sydney Allard, Carroll Shelby et consorts – ils sont tous présents.
Une fois passé le stock de pneus, l’escalier débouche sur une salle basse et on change d’époque, les bolides sont plus modernes, haute technicité, carrosseries composites, aérodynamisme. Une Aston Martin AMR1 catégorie LMP1, une Lola de 2000, une Spice Groupe C qui a couru quatre fois les 24 Heures du Mans. A l’atelier, on commence à décompter les jours. Le 31 mars, on change de saison, première étape: circuit de Mugello.
2004
Benjamin Monnay a fini sa double formation de mécanicien de précision et d’ingénieur et entre chez Burgol, à Genève.
2014
Il prend la direction de Burgol Racing Technologie, l’entité dédiée à la compétition qu’il a développée, et devient indépendant.
2023
L’adresse compte 12 collaborateurs, couvre tous les métiers et s’impose comme le troisième team le plus important à l’échelle européenne.