Si vous connaissez le point commun entre Mike Horn et la rue du Rhône, l’America’s Cup et la Pierre-à-Bot, le GIGN et Interlaken, les Navy SEALs et Madison Avenue, c’est très certainement que vous êtes piqué de passion horlogère. Car c’est un fabricant de montres qui tend ces ponts entre ces univers que des mondes séparent.

Cette marque se nomme Panerai, patronyme de l’officine florentine de Guido Panerai née en 1860. Les premières montres Panerai remontent à 1935, créées sur demande de la marine militaire italienne, qui cherchait à équiper ses plongeurs. Panerai fabriquait déjà des instruments de visée militaires et avait mis au point un mélange luminescent à base de radium – qui donnera son nom aux montres: Radiomir. Pour l’étanchéité, le Florentin se tournera vers Rolex, qui livrera les premières têtes de montres, boîtier et mouvement. La production reste la chasse gardée des armées pendant plusieurs décennies. Les premières apparitions sur le marché ouvert remontent au début des années 1990, en toute confidentialité, jusqu’à ce qu’elle entre dans le périmètre du groupe genevois Richemont, en 1997. Panerai monte alors dans le train du luxe, d’abord en seconde classe, puis en première. La marque a même été équipée de sa propre manufacture en 2014, rejoignant le sérail de la haute horlogerie.

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Une marque en bonne santé

Quelques chiffres rendent compte de la bonne santé de Panerai: 870 collaborateurs (ils étaient 700 en 2019), dont 250 à la manufacture de Neuchâtel, 40 au siège de Genève, 70 à Milan, centre de la création; une présence dans le monde entier; un réseau de près de 200 boutiques en nom propre (pour un tiers tenues en direct, le reste à travers des partenaires, comme Bucherer), dont 45 ont été ouvertes cette année, et des surfaces de vente qui ne cessent de s’étendre (la Casa Panerai de Milan vient de tripler de taille, celle de New York est passé de 40 à 400 m2).

En revanche, Panerai étant propriété du groupe Richemont (coté en bourse), la marche des affaires n’est pas chiffrée, mais on peut toujours se reporter aux estimations. Morgan Stanley table sur une production de 70 000 montres, une valeur retail de 832 millions de francs et un chiffre d’affaires de 570 millions – soit un prix moyen de près de 12 000 francs.

Et alors, direz-vous, quel lien avec Mike Horn, l’America’s Cup, le GIGN et les Navy SEALs? La réponse tient sur les lèvres de Jean-Marc Pontroué, qui a pris la direction de Panerai en 2019. C’est lui qui a l’idée d’ajouter quelques galons au mindset de Panerai. Le terme consacré est Xperience et, comme cela l’indique, il s’agit d’accompagner la clientèle dans des expériences hors du commun. Une dizaine d’Xperience ont été organisées depuis 2019 et près de 150 clients y ont participé.

Fin octobre, quelques volontaires ont passé trois jours avec l’équipage du Luna Rossa, l’un des concurrents sérieux de la 37e America’s Cup. Ils se sont rendus à Cagliari, en Sardaigne, où l’équipage s’entraînait, et ont suivi cet entraînement au plus près, sur mer et jusque dans la salle de sport, histoire de bien mesurer ce que peut être un athlète. Les participants sont rentrés la tête pleine, le corps lessivé et la Panerai édition exclusive qui leur était réservée. Cette Xperience Luna Rossa, dernière en date, est classée niveau deux, «plutôt physique», où «il faut être fit», sur une échelle qui en compte trois. Dans la même catégorie, une équipe est partie explorer le Svalbard avec Mike Horn, en mars dernier. D’autres sont allés plonger avec Guillaume Néry à Bora-Bora ou longer les côtes amalfitaines à bord du voilier historique Eilean. Le niveau trois est plus calme, plus «hédoniste», découverte, culture, «les lieux secrets d’Italie», par exemple – Florence en 2023, Rome en 2024.

Luna Rossa Panerei

En 1935, la marine italienne s’adresse à l’officine florentine de Guido Panerai pour équiper ses plongeurs. Il avait mis au point un mélange à base de radium pour pouvoir lire l’heure dans la nuit. Pour l’étanchéité, Guido Panerai se tourne vers Rolex. Un mythe est né. En 1997, le groupe Richemont rachète Panerai et fait d’un label réservé à un club de connaisseurs une marque signature de l’horlogerie haut de gamme tout-terrain. La production actuelle est estimée à 70 000 montres par an (chiffres Morgan Stanley 2022).

© Mattia Aquila/Panerei

Et puis… il y a la catégorie une. Attention, frileux s’abstenir. Deux ou trois jours en immersion dans des lieux complètement fermés au public. Des mois d’entraînement. Briefing le soir. Contrôle médical le matin. Et parcours du combattant entre les deux. Sans transition du Four Seasons à la base militaire, du peignoir au treillis, du service de chambre aux mains d’instructeurs bien carrés. Septante-deux heures avec le GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale française), les Navy SEALs (forces spéciales de la marine américaine) ou la Marina Militare (marine militaire italienne).

Au menu de l’expérience de septembre 2019, Marina Militare, base de Comsubins, La Spezia: tir depuis l’hélicoptère, jeu de rôle sous-marin, combat, tyrolienne à 80 mètres du sol entre deux pics rocheux, discipline de caserne, sans ménagement. Et pas de traitement de faveur, les commandements non respectés se paient, certains ont goûté à la baignoire froide à 5 heures du matin. «Ils nous traitent mal. Et quand je dis mal, c’est mal», témoigne Jean-Marc Pontroué, après avoir personnellement testé le niveau un, à deux reprises. «C’est tellement émotionnel que certains clients pleurent à la fin.»

Pourtant, tout le monde est volontaire. Les participants ont même payé pour ça. Cher. Mais ils ne repartent pas qu’avec des émotions. Ils repartent aussi avec une montre, leur montre, une édition originale, réservée à ceux qui ont vécu la même expérience, signe d’appartenance aux communautés qui se créent spontanément autour de ces moments de vie. «Tellement plus qu’une montre», enchaîne Jean-Marc Pontroué.

Une marque qui a pris du galon

Panerai aussi, c’est plus que des montres. Au-delà des chiffres, Panerai a gagné sa place dans le paysage de la haute horlogerie suisse, avec sa propre manufacture depuis 2014, ses calibres maison (mouvements mécaniques), son centre d’homologation (tests aux chocs, à la chaleur, à la pression, etc.) et son propre laboratoire de R&D. Une image stylée, urbaine, unisexe. Quand Richemont rachète la marque en 1997, on est très loin de tout ça. Personne n’attend une telle marque dans la montre de luxe et Panerai déboule comme un tank sur un green: les montres sont massives, les codes sont militaires, de grandes aiguilles, de gros chiffres, surtout pas de complication (ce que les horlogers ajoutent à l’indication heure et minute), tout dans la lisibilité, rien dans la sophistication. L’antithèse de l’élégance parisienne qui domine l’horlogerie classique.

Dans les années 1990, Panerai est d’ailleurs une petite affaire confidentielle, une spécialité de connaisseurs, pré carré d’un petit club, plus qu’un club d’ailleurs, une famille, un clan, une confrérie: les Paneristi. La communauté existe toujours et les rangs ont gonflé, il y aurait 30 000 Paneristi dans le monde. Ils savent tout, se connaissent, se réunissent par centaines chaque année lors du P-Day, palabrent, échangent, dissertent, traquent les évolutions à un niveau de détail que personne d’autre n’est capable de percevoir. De quoi surprendre, car, vu de l’extérieur, Panerai s’est longtemps développée comme une marque monoproduit: toujours le même design (deux types de montres, Radiomir et Luminor), le même style, le même boîtier coussin (carré galbé), la même couronne, le même cadran sandwich (deux couches superposées pour augmenter la luminosité), les mêmes aiguilles, le même esprit.

Quand Jean-Marc Pontroué reprend la direction de Panerai, il rencontre les Paneristi, il les écoute, il découvre l’épaisseur de l’histoire, il cogite, s’interroge: «Quand vous héritez d’une marque aussi forte, comment faites-vous pour entretenir le mythe? Comment recréer l’environnement qui a justifié la création de Panerai? Comment entretenir la différenciation? C’est ça qui occupe nos jours et nos nuits.» Qui cherche trouve: proposer des expériences en lien avec l’histoire de la marque, le militaire, l’exploration, la découverte. L’idée s’impose, naturellement, sans brainstorming, et le brief se cale, naturellement: «Une expérience doit répondre à trois critères. Primo, on ne peut pas se la payer. Secundo, elle n’est pas animée par Panerai. Tertio, elle est accompagnée d’une série limitée.»

Panerai organise l’expérience. Le client paie sa montre. La montre paie l’expérience, plus ou moins, précise Jean-Marc Pontroué: «Nous ne gagnons pas d’argent avec les expériences. On ne peut pas tout ramener tout le temps à du business, tout ne peut pas être traduit en chiffre d’affaires. Il y a toujours une dimension relationnelle.» C’est cette dimension relationnelle, dit-il encore, qui «continue à entretenir l’imaginaire de la marque», et mène au climax: «la dimension aspirationnelle». Expérience un jour, ambassadeur toujours.

Le luxe, mode d’emploi

Enraciné: Mettre l’accent là où l’on est fort
C’est en discutant avec les Paneristi – une communauté d’admirateurs – que le dirigeant, Jean-Marc Pontroué, a eu l’idée de miser sur les origines militaires de la marque pour se différencier, en les rendant vivantes à travers des expériences clients musclées.

Relationnel: Entretenir le mythe de la marque
Tout ne peut pas être traduit en chiffre d’affaires, souligne le dirigeant. La vente est un résultat, pas une fin en soi. L’objectif principal est de rendre la marque «aspirationnelle», et cela se construit dans la relation directe avec la clientèle.

Extrême: L’exclusivité impossible à se payer
Parvenir à ouvrir les portes de bases aussi fermées que celles du GIGN, de la Marina Militare et des Navy SEALs est un message clairement plus porteur que tous les slogans publicitaires du monde. En retour, avoir un pied dans l’extrême renforce l’image lifestyle de la marque.