«Nous venons d’un héritage, mais en réalité nous sommes une start-up, dans une multinationale.» Alessia Ferronato, dirigeante de Ferronato, fabricant de maroquinerie à blindage électromagnétique, n’aurait pas pu mieux le formuler. La pousse est jeune, mais les racines sont profondes: le terreau a été ensemencé il y a plus d’un siècle par l’arrière-grand-père d’Alessia, la marque a éclos fin 2021, lors de l’exposition universelle de Dubaï – où Alessia Ferronato est basée.

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Une sart-up en pleine expansion

Depuis, la start-up grandit. En dix-huit mois, la structure est passée de trois collaborateurs à une vingtaine de personnes, couvrant toutes les fonctions vives, stratégie, création, vente et même le retail depuis l’ouverture d’une première boutique à Lausanne en mai 2023. Le catalogue se construit lui aussi à belle vitesse, butinant toutes les niches de la protection personnelle, coffre, pochette, étui ou coque de smartphone. Le positionnement, quant à lui, se situe entre maroquinerie segment supérieur et produit technologique.

La première collection a été finalisée et commercialisée début 2022. La production est encore confidentielle – un peu plus de 3000 exemplaires réalisés à ce jour. La confection est en deux temps. Première étape en Suisse, à Châtel-Saint-Denis (FR), pour les tissus à blindage. Seconde étape en Italie du Nord, où les collections sont finalisées dans divers ateliers de maroquinerie. La distribution est en construction, sur un mode multicanal, boutique propre, e-commerce et distributeurs – les discussions sont en cours à Genève, à Zurich, à Londres, aux Etats-Unis. La cible est hybride, entre B2C et B2B, comme l’explique la dirigeante: «Il ne s’agit pas de luxe pur. La technologie intéresse aussi le collectif.»

Entreprise familiale

Pour l’actionnariat, c’est très simple, ils sont deux, Alessia et son père, Sandro Ferronato, qui dirige et possède également le vaisseau amiral, la maison mère, le groupe KGS (contrôlé par le holding Ferronato KGS), spécialiste de l’abrasif et du tissu métallisé. Avec siège administratif à Hergiswil (canton de Nidwald), site de production historique à Châtel-Saint-Denis, plus six autres répartis dans le monde, présence commerciale dans 16 pays, 500 collaborateurs (dont 15 à Châtel-Saint-Denis, 25 en Suisse). Et une position de tête sur sa spécialité (l’abrasif diamant sur substrat souple), comme l’illustre le portefeuille clients panaché d’entreprises de pointe – dont les noms restent confidentiels – dans des secteurs de pointe, comme l’électronique, la défense, l’aéronautique, l’aérospatiale.

L’identité corporate de Ferronato n’a pas été une grande question. Le patronyme s’est naturellement imposé, pour sa sonorité luxe à l’italienne et ses résonances avec le principe actif des créations, le tissu métallisé qui assure la protection électromagnétique. Avec la touche logo, reprise en fermoir sur les accessoires dame: les facettes d’un diamant inscrites dans le «O» de Ferronato, en référence à l’activité d’origine du groupe (l’abrasif diamant).

Le MetaFab, un tissu métallisé breveté bloquant toutes les ondes électromagnétiques

Le MetaFab, un tissu métallisé breveté bloquant toutes les ondes électromagnétiques, peut être utilisé aussi bien pour des sacs, des malles que des coques de téléphone

© Ferronato

L’objectif est d’inscrire la marque sur tous les agendas. La mode, avec le lancement de deux collections par an et la proximité avec les grands événements de la branche, showroom à la Fashion Week de Paris, passages sur le catwalk à Dubaï et à New York. La technologie, en couvrant tout le spectre de la protection électromagnétique personnelle, jusqu’à la santé, avec des coques de smartphone qui en atténuent et canalisent le rayonnement. Dans les deux cas, le groupe père, KGS, sert de guide. Parfois jusqu’au cœur du design, puisque certains motifs décoratifs sont directement repris des abrasifs maison.

Et même si la direction insiste sur la séparation nette des deux activités, la marque endosse naturellement le rôle de démonstrateur pour KGS. La complémentarité était d’ailleurs un prérequis, comme le souligne Sandro Ferronato: «S’il s’agissait de faire autre chose, ma condition était que ce soit lié à nos compétences technologiques.» Avec l’avantage d’une ouverture non négligeable pour la notoriété de la technologie de blindage, dont l’usage industriel est le plus souvent confiné derrière d’épais accords de confidentialité.

Secrets de production bien gardés

Mis à part qu’il s’agit de tissu métallisé, la technologie elle-même ne s’expose pas. Une visite au centre de production de Châtel-Saint-Denis suffit à s’en rendre compte: les secrets de la production sont précieusement gardés, aucun visiteur externe n’est autorisé à voir les installations, pas d’exception pour PME. Sandro Ferronato donne toutefois quelques indications: «La production est très automatisée. Ici, elle tourne avec quatre personnes.» L’automatisation, explique-t-il, est un élément clé, «pour la rentabilité comme pour la qualité». La R&D fait aussi partie de l’équilibre: «KGS est une machine à innovation.» Il en va de la compétitivité de l’entreprise, qui doit conserver son positionnement de pointe sur un secteur «extrêmement compétitif» et dans un «environnement dynamique». L’Asie, sans surprise, tient tout le monde en joue en pressant «sur les prix» et de plus en plus «sur l’innovation aussi».

Sur le terrain, KGS évolue en fonction des mandats que le groupe reçoit de ses grands clients – dont KGS est le plus souvent un partenaire industriel agréé – et la recherche est très proche du développement. D’ailleurs, «il n’y a pas vraiment de centre de R&D, mais des pôles de compétence». La Hongrie est focalisée sur le frittage. Le Portugal et les Emirats sur les résines liquides. Châtel-Saint-Denis est centré sur la production des tissus métallisés, qui serviront de substrat au dépôt de diamants, réalisé sur un autre site spécialisé, aux Pays-Bas.

L’extension vers la maroquinerie et la protection électromagnétique grand public s’inscrit dans cette logique de décentralisation autour d’une technologie de pointe. Avec l’avantage cette fois de pouvoir communiquer – sans Ferronato, sans doute que cet article n’aurait jamais vu le jour.

L’idée de se lancer dans les accessoires personnels était dans l’air depuis un moment. Sandro Ferronato avait commencé à y penser au moment de l’affaire Snowden: «Les écoutes, la cybercriminalité, le piratage des données privées… et depuis ça n’a fait qu’empirer.» Certains clients se fournissaient déjà auprès de KGS directement en tissus métallisés, sans abrasif, pour assurer le blindage de cabines de pilotage d’avions de ligne, par exemple: «Pourquoi ne pas transposer le principe dans des produits commerciaux?» Les questions de santé liées au rayonnement des téléphones mobiles se sont ajoutées à l’équation, transformant l’idée en conviction.

La concurrence à distance

A partir de là, la créativité a pris le relais. L’affaire d’Alessia, qui entend bien avancer sans fermer l’horizon: «Le spectre de ce que l’on peut faire est large.» La preuve par le catalogue, qui s’étend déjà de la pochette de gala à la grande boîte blindée pour salle de réunion – où les appareils électroniques seront déposés en cas de séance confidentielle, par exemple.

Ferronato n’est bien entendu pas seul sur cette spécialité, mais Alessia fait valoir quelques atouts. La double touche techno suisse éprouvée et finish à l’italienne, en particulier, devrait permettre de garder la concurrence à distance: «La plupart des autres produits sont minimalistes et bas de gamme.» Elle mise surtout sur l’esprit d’entreprise et la réactivité chers à la famille Ferronato depuis au moins quatre générations: «Le plus important est de s’adapter à la demande.»

Prenons l’histoire à témoin. L’arrière-grand-père quitte l’Italie pour le Tessin au début du XXe siècle, monte un atelier de polissage qui deviendra un centre de production d’abrasifs à Zurich, que Sandro Ferronato reprendra des mains de son père à 19 ans, premier pas d’une carrière d’entrepreneur autodidacte qu’il mène maintenant depuis quarante-trois ans. Le parcours, sculpté de ces «coups durs qui vous font avancer», le mènera de l’abrasif conventionnel au tissu métallisé conducteur (d’où son effet cage de Faraday anti-électromagnétique) et de Zurich à Châtel-Saint-Denis. C’est là qu’était installé l’inventeur du fameux tissu, un ancien cadre de Tetra Pak, dont Sandro Ferronato reprendra l’usine et les brevets, et fera de l’entreprise en quasi-faillite un opérateur global de l’abrasif diamant sur substrat souple. Avec maintenant une start-up épinglée au pectoral, tenue par l’un de ses cinq enfants, sa fille Alessia, formée à la psychologie, puis à l’économie, et entrepreneuse autodidacte par conviction, elle aussi.