Alors qu’il n’est encore qu’un apprenti mécanicien électricien âgé de 18 ans, Jean Maurer découvre Jean-Sébastien Bach. «Cette passion de la musique classique m’a donné envie de travailler par et pour la hi-fi, et j’ai poursuivi mes études afin de devenir ingénieur.» Rapidement, l’ambition de produire ses propres enceintes grandit, à tel point qu’il vend ses premières réalisations à ses condisciples. Après l’obtention de son diplôme (avec une moyenne de 6 sur 6), il décide de se lancer directement en tant qu’indépendant, au grand regret de ses professeurs qui l’encouragent à se confronter d’abord au marché du travail. «J’ai eu peur qu’en retardant l’échéance, je ne m’engage dans d’autres responsabilités qui pourraient ensuite m’en décourager. Et puis je ne voulais pas produire les modèles conçus par quelqu’un d’autre, je voulais créer les miens.» 

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Ainsi naquit Jean Maurer Swiss Audio Manufacture. «C’est le 1er avril 1971 que notre société a été officiellement créée, faisant de nous, après Nagra, la plus ancienne société suisse encore active dans l’audio.» Cinquante-trois ans plus tard, Jean Maurer, aujourd’hui âgé de 77 ans, se prépare à passer la main à son fils Marc. Une transition tout en douceur: elle a débuté il y a plus de dix ans, lorsque Marc a rejoint l’entreprise familiale après des études d’ingénieur et un début de carrière chez Bobst.

Les origines du projet

Reprenons le cours de l’histoire, depuis 1971. Jean reprend la première enceinte qu’il avait créée en 1969, pendant sa formation. Elle lui sert de base au développement de la première enceinte à trois voies de la marque, la JM240. Il fait la rencontre de sa femme Christine en 1975, qui le rejoint une année plus tard dans l’entreprise. Le couple choisit de vendre directement ses produits aux clients finaux, en se passant de distributeurs, afin de pouvoir offrir les tarifs les plus compétitifs possible, au vu de la qualité proposée. 

Rapidement, les audiophiles se passent le mot; le travail de Jean Maurer, qu’il a choisi d’ancrer, selon ses mots, dans «la fiabilité, la robustesse et la capacité d’innovation», se fait connaître à travers toute la planète, notamment en Asie. «Depuis la fondation de notre société, nous avons toujours voulu concevoir et fabriquer nous-mêmes nos enceintes. Le résultat de cette volonté est une complète maîtrise de nos produits, qui se traduit par des performances et une longévité hors normes.»

 
Du calibrage des membranes des haut-parleurs (ci-contre, Christine Maurer) en passant par les soudures, tout est minutieusement exécuté dans les ateliers d’Aubonne.

Du calibrage des membranes des haut-parleurs (ci-contre, Christine Maurer) en passant par les soudures, tout est minutieusement exécuté dans les ateliers d’Aubonne.

 
© Jean Maurer

Au fil des ans, Jean Maurer et son épouse transforment les cinq étages de leur maison familiale d’Aubonne: un auditorium d’écoute est installé au premier, tandis que la jeune famille emménage dans un appartement au deuxième. Le reste est occupé par les ateliers, le laboratoire et les stocks. Année après année, ils s’équipent progressivement de nouveaux instruments de mesure ou de machines CNC. De son côté, Jean collabore avec la marque de platines Thorens, l’EPFL ou encore auprès de la division enceintes professionnelles de Sonosax. Des rencontres et des expériences qui lui permettent d’imaginer de nouvelles solutions et de perfectionner ses propres enceintes. 

A noter que la maison Maurer s’ancre dans une tradition très ancienne. L’histoire d’amour de la Suisse pour la haute-fidélité remonte aux origines même de la restitution du son. Lorsque Thomas Edison conçoit le premier phonographe en 1877, il en confie la réalisation à Johann Kruesi, un Suisse émigré aux Etats-Unis. Quelques années plus tard, la première «machine parlante» voit le jour dans le canton de Vaud. Elle est fabriquée par la maison Paillard, à Sainte-Croix. Propice au développement de cette industrie grâce à son savoir-faire en termes de mécanique de précision, la Suisse s’est imposée en tant que leader mondial des systèmes audio de qualité. Des firmes pionnières telles que Nagra, Revox ou Thorens ont ouvert la voie à la création d’un réseau d’entreprises actives dans l’enregistrement ou la restitution du son. 

Offrir la meilleure expérience sonore possible

Revenons au puriste du son qu’est Jean Maurer. Son objectif consiste à concevoir et construire des enceintes offrant la meilleure restitution du son possible aux fréquences se situant entre 700 et 2800 Hz. L’oreille humaine, formatée à être sensible à la voix, dispose en effet d’une acuité auditive supérieure à cette plage. Plutôt que de multiplier une gamme de haut-parleurs de tailles, de puissances ou de designs différents, il préfère se concentrer sur une vision évolutive de sa production. Dont acte: la marque ne maintient qu’un catalogue au nombre de références limité concentrant tout le savoir-faire et les technologies développées en interne. Tout est fait maison, des filtres aux haut-parleurs, en passant par les boîtiers en bois. «La hi-fi, c’est un truc de pinailleur», sourit Marc Maurer.

Dernière nouveauté en date, l’enceinte JM370F, haute de plus de 1 mètre et d’un volume de 70 litres. Concrètement, le système à trois voies se présente sous la forme de trois boîtiers superposés comprenant des haut-parleurs à fréquences basses, médium et aiguës. Il se distingue par ses pentes très rapides. 

Bien qu’il faille sans doute les connaissances d’un technicien qualifié pour appréhender ces termes, il s’agit en somme d’un dispositif répartissant le son entre les trois voies. Celles-ci reproduisent les différentes fréquences: le woofer les basses de 25 à 650 Hz, le haut-parleur des médiums de 650 à 2800 Hz, et enfin le tweeter les aigus de 2800 à 30 000 Hz. «Les filtres sont chargés d’aiguiller les fréquences vers chacune des trois voies, en retenant les sons aigus d’aller dans le haut-parleur médium, ou les sons médiums de passer dans les basses. Or il est impossible de faire une coupure distincte à la fréquence près. Par exemple, un son à 2800 Hz sortira à la fois par les haut-parleurs médium et aigu. Mais plus nous arrivons à être précis, soit à raccourcir au maximum le piétinement d’un haut-parleur sur l’autre, meilleur sera le rendu sonore», explique Jean Maurer. Très novateurs, ces filtres développés à l’interne figurent parmi les premiers de classe en termes de performance. 

Sur les enceintes Jean Maurer, tout est mis en œuvre pour absorber les vibrations indésirables. «L’enceinte doit être le plus inerte possible. Son but est de reproduire des instruments. Si elle se met à vibrer, elle devient elle-même un instrument et ne reproduit plus le son original.» Ces ondes sonores sont maîtrisées grâce à des masses amortissantes, dont notamment du sable de quartz inséré dans les parois des enceintes. Le fond de l’enceinte est également doublé de laine de pierre. Encore amélioré sur le modèle JM370F, le «résidu vibratoire» est ainsi diminué de 97% par rapport aux enceintes classiques. Une prouesse technique qui a fait passer le poids d’une seule enceinte à 61 kg, dont 25 de sable de quartz!

 
La dernière nouveauté: l’enceinte JM370F, plus de 1 mètre de haut et un volume de 70 litres.

La dernière nouveauté: l’enceinte JM370F, plus de 1 mètre de haut et un volume de 70 litres. Le système à trois voies se présente sous la forme de trois boîtiers superposés comprenant des haut-parleurs à fréquences basses, médiums et aiguës. Ici, un modèle en ébène blanc.

 
© Jean Maurer

Conscient que le résultat musical d’une enceinte acoustique dépend aussi de l’amplificateur, Jean Maurer se tourne vers Lectron, une fabrique française créée en 1986 par Edouard Pastor. Conquis par la musicalité de ses produits, il devient distributeur de la marque pour la Suisse puis, en 1995, il rachète les actifs de la société Lectron. Mais en 2003, patatras: le sous-traitant qui fabrique Lectron à Annecy est absorbé par un grand groupe, qui décide de mettre fin à cette activité. Qu’à cela ne tienne: Jean rapatrie alors la production à Aubonne.

Avec des prix situés entre 7700 et 14 500 francs la paire, les enceintes Maurer s’adressent à des audiophiles connaisseurs et passionnés. Une vidéo décrivant le processus de fabrication cumule déjà 3,6 millions de vues sur YouTube. «Nous ne faisons pas de pub. Les gens viennent par bouche à oreille. Certains clients sont si satisfaits de leur matériel qu’ils accueillent chez eux d’autres audiophiles pour faire connaître nos produits!» A l’heure des enceintes Bluetooth et de la musique en streaming, Jean Maurer conseille aux nouvelles générations… d’écouter! «Le bon son, ça s’apprend. Aujourd’hui, certaines marques de haut-parleurs jouent sur l’esbroufe pour faire croire à de la qualité, en distordant le son et en jouant sur les basses. Il suffit d’une session d’écoute dans un auditorium équipé de bonnes enceintes pour prendre conscience de la différence. En fermant les yeux, les musiciens apparaissent là, devant vous. On peut même visualiser leur position sur la scène!»

Alors que Jean et son épouse Christine remettent les clés de l’entreprise Jean Maurer Swiss Audio Manufacture à leur fils Marc, l’histoire se répète: à son tour, celui-ci s’apprête à accueillir l’arrivée de son épouse Lorie dans ses ateliers. La continuité est assurée: «Nous fabriquons environ 45 paires de haut-parleurs par année. Cela nous suffit pour bien tourner. Augmenter la production nous obligerait à céder un peu de la maîtrise complète de la fabrication de nos produits.»