La réflexion ayant conduit à la création de The Unnamed Society est née lors d’une soirée de bombance. Amis de longue date, les participants se sont penchés sur la question suivante: quel présent peut-on bien donner à ceux qui possèdent tout ce que l’argent peut acheter? Que leur manque-t-il? Futile en apparence, cette question confine pourtant à la philosophie. Antonyme de l’excès ou de l’abondance, le manque renvoie à ce que l’on n’a pas, mais aussi à ce que l’on est ou ce que l’on n’est pas. De Platon à Sartre en passant par Spinoza, le constat est le même: le désir est manque.

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Une conclusion s’impose alors à nos bambocheurs: il va falloir imaginer de nouveaux objets de désir. L’un d’entre eux, actif dans la fabrication et la distribution de montres haut de gamme, joint le geste à la pensée en fondant The Unnamed Society. Cette appellation renvoie à la volonté d’anonymat de son fondateur afin de s’effacer devant les maîtres artisans qu’il identifie et à qui il souhaite confier la matérialisation de ses idées. Erigé en leitmotiv, ce choix se reflète jusque dans les cartes de visite des collaborateurs de l’entreprise, simplement identifiés par un prénom pseudonyme.

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En 2022, le Québécois Yann Lamarche s'est lancé dans une folle aventure: quitter sa terre natale pour inaugurer la filière suisse d'Emovi.

Expertise horlogère

Notre interlocuteur désigné, appelons-le Monsieur TUS, peut se targuer lui aussi d’une longue expérience à des postes en vue dans l’horlogerie. Il nous explique: «Il s’agit de regarder un objet familier et de voir au-delà de ce que les autres voient, puis de mettre au défi concepteurs et artisans qui, grâce à leur vision et à leur maîtrise des matériaux et des techniques, vont le transformer en une œuvre d’art rare.» La société a pris pour emblème le hibou, «un animal sensible d’une discrétion absolue, capable de voir ce qui est invisible avant de se fixer sur son objectif».

Le premier objet présenté en 2019 fut une horloge de table se présentant sous la forme d’un Colt 45. Pourquoi un revolver? Il s’agissait d’une «reconnaissance du passage du temps, parce qu’une vie est précieuse et qu’elle peut disparaître en une seule seconde», nous éclaire Monsieur TUS. «Sans le savoir, Samuel Colt a révolutionné l’impact du temps en conférant à son revolver le pouvoir de l’arrêter en éliminant le processus de rechargement manuel – et donc en éliminant la vulnérabilité, trop souvent fatale, qui accompagne le fait de devoir chambrer une nouvelle cartouche.»

The Unnamed Society

En faisant appel aux meilleurs artisans pour la réalisation de ses singulières créations, l’entreprise peut se permettre de proposer une finition personnalisée à chacun de ses clients et rendre ainsi chaque objet unique, bien qu’il soit déjà produit en édition limitée.

© The Unnamed Society

Pour sa réalisation, il a d’abord fait appel à L’Epée 1839, un fabricant d’horloges basé à Delémont, dont les équipes ont passé près de deux ans à mettre au point ce qui allait devenir le Colt Pancho Villa. La gâchette et le marteau fonctionnent, et l’heure est réglée à l’aide d’une clé qui fait tourner le canon, comme s’il s’agissait de nettoyer l’arme. Aux 50 pièces initialement prévues, toutes exécutées dans des matériaux et des finitions voulus par les clients, s’est ajoutée une version unique sertie de 2518 diamants de 21 tailles différentes, pour un poids de 75 carats. Un travail confié à Salanitro, une entreprise de sertissage travaillant pour les plus grands noms de l’horlogerie tels que Patek Philippe ou Audemars Piguet.

Selon les finitions, le prix du Colt Pancho Villa s’échelonne entre 30'000 et 300'000 francs. Un an plus tard, The Unnamed Society lançait la carabine Golden Boy 1866, encore un garde-temps inspiré d’une arme à feu, le fusil Winchester. Utilisée à la fois par les gentils tels que Buffalo Bill et les méchants Billy the Kid et Butch Cassidy, elle incarnait la lutte entre les représentants de la loi et les bandits. Muée en objet de contemplation, le système d’armage de la carabine devient le mécanisme de remontage de la pendulette, un système ingénieusement développé par L’Epée 1839. Selon son CEO Arnaud Nicolas, «il n’a jamais été question de boulonner une horloge à un fusil, mais penser que l’ingénieux mécanisme à levier de la carabine originale pouvait être utilisé comme calibre d’horloge semblait être un challenge irrésistible». Le Golden Boy a les mêmes dimensions que le vrai fusil et pèse 3,8 kilogrammes. Là aussi, les 50 exemplaires produits ont tous rapidement trouvé preneur, pour un prix oscillant entre 60'000 et 80'000 francs.

The Unnamed Society

 

 
© The Unnamed Society

En 2022, The Unnamed Society s’est associée de nouveau à Pierre Salanitro à travers sa seconde société, S by Salanitro, qui propose des objets rares tels que masques décoratifs ou éventails sertis. Ensemble, les deux partenaires ont imaginé une collection de bijoux, baptisée Talisman,
déclinant le thème de l’œil protecteur et réalisés en or jaune, en or rose ou en titane, sertis des pierres fines et d’un iris – choisis par les porteurs et développés à l’aide de technologies d’impression 3D. Cette édition de 20 pièces uniques au prix variant de 10'000 à 50'000 francs est également épuisée.

Revenant au thème de l’Ouest, The Unnamed Society se met au défi en 2023 de créer la plus belle collection de couteaux jamais réalisée. Pour mener à bien cette idée, la direction du projet a été confiée à Tashi Bharucha, un coutelier français à la réputation mondiale. Au final, 26 artisans représentants de plusieurs générations et nationalités ont créé 50 pièces différentes interprétant un même design, celui du couteau Bowie. Il doit son nom à Jim Bowie, figure légendaire à la réputation de bagarreur. Lors d’un duel, Jim, pourtant déjà blessé par une balle et un coup de poignard, réussit à tuer un shérif à l’aide de son grand couteau. Cet épisode, ainsi que son décès cette même arme à la main lors de la bataille de Fort Alamo aux côtés d’un certain Davy Crockett, résulta sur l’adoption de son nom pour qualifier ce type de couteau. La collection, à laquelle le nom de The Jim Bowie Project a été donnée, a fait grand bruit sur les réseaux sociaux. Un amateur s’est offert les 50 couteaux – chacun accompagné de son coffret spécifique – pour près de 1 million de dollars.

Sous la direction du coutelier français Tashi Bharucha, 26 artisans ont créé 50 inter- prétations du couteau Bowie, achetés pour près de 1 million de francs par un amateur.

Sous la direction du coutelier français Tashi Bharucha, 26 artisans ont créé 50 interprétations du couteau Bowie, achetés pour près de 1 million de francs par un amateur.

© The Unnamed Society

La même année, Monsieur TUS décide de remettre l’ouvrage sur le métier en offrant une nouvelle mouture de sa carabine Winchester présentée trois ans plus tôt. Sous le thème Reimagined, il s’agissait d’explorer la juxtaposition de matériaux, de textures et de couleurs à travers une nouvelle série de 80 pièces. Certaines versions fabriquées ont été dotées par le maître ébéniste Cédric Vichard de crosses en bois d’if, d’olivier, de palmier ou de palissandre.

Cette année, la barre a été placée plus haut, puisque The Unnamed Society a développé son propre mouvement horloger, dont la mise au point a été confiée à la société Maclef. Son fondateur, Emmanuel Bouchet, et ses équipes ont ainsi passé plus d’un an à parfaire ce mouvement mécanique à 205 composants et 100% Swiss made. L’heure, exprimée en heures sautantes et minutes traînantes, est lue à partir de deux disques situés à 6 heures. La réserve de marche est de 155 heures. Bien qu’il se destine à être installé dans des pendulettes, les finitions de ce Calibre One sont dignes de la haute horlogerie. Il a été conçu spécifiquement pour être intégré dans une sphère. «Il s’avère que les membres de notre société secrète sont tous des mordus de football. Il nous a donc semblé naturel de donner à notre nouvel objet la forme d’un ballon, que nous avons appelé The Champion», précise Monsieur TUS. La fabrication de cette merveille d’artisanat-
horloger est confiée à Aurélien Bouchet et son usine ABConcept, tandis que Cédric Vichard se charge d’exaucer les vœux des clients en termes de marqueterie et gainage. Selon ce dernier, «les peaux utilisées proviennent de fermes certifiées par l’accord international CITES pour la protection des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction».

D’ailleurs, tous les artisans concourant à la réalisation de la pièce se trouvent dans un rayon de 35 km autour de Neuchâtel. Un exploit salué par la communauté horlogère puisque The Champion a été sélectionné en tant que finaliste dans la catégorie horloge mécanique du GPHG. De grands clubs de football ainsi que certaines fédérations internationales auraient déjà passé commande de leur exemplaire personnalisé. Le mouvement Calibre One fait déjà l’objet de nouvelles recherches de la part de The Unnamed Society, qui compte à l’avenir l’installer dans une gamme d’objets moins onéreux ainsi que dans un humidor à cigares.

Le luxe mode d’emploi

Discrétion: me marketing du silence
En conservant l’anonymat de ses dirigeants et collaborateurs, The Unnamed Society utilise les mêmes ficelles que les grandes sociétés secrètes afin d’attiser la curiosité.

Artisanat: mettre les métiers d’art en lumière
Réunir par projet le meilleur du savoir-faire en confiant aux maîtres artisans des missions à contre-emploi et en tablant sur leur imagination et leur ingéniosité.

Interprétation: redéfinir la fonction des objets
Parvenir à voir les objets familiers sous un angle nouveau avant de leur offrir de nouvelles fonctionnalités alliées à l’excellence des finitions.