C’est une simple aiguille, mais ce petit curseur attire tous les regards, celui de l’athlète tout comme ceux de son public. Suspendues au rythme d’Omega, les respirations s’arrêtent, le souffle se coupe. Une tension et une vibration que l’on retrouve lors de chaque épreuve sportive. Et pour l’entreprise horlogère biennoise, des décennies sportives marquées par une multitude d’innovations.

Cette quête de la précision se conjugue avec l’exigence de la vitesse. Lors des compétitions, des hommes et des femmes de l’ombre n’ont en effet que quelques secondes pour livrer leur mesure du temps et fournir des classements et des images à une audience planétaire dans l’expectative. Tous courent après des poussières de secondes, soit rien et tout à la fois. Entre le chronométreur et l’athlète, la communion est totale.

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L'innovation au service de la précision

Aujourd’hui, cette capture du temps se matérialise encore un peu plus grâce aux datas, ces millions de mesures de la performance. Le partenaire historique du Comité international olympique (CIO) les fait en quelque sorte parler, grâce à l’intelligence artificielle. Dans le laboratoire de Swiss Timing, filiale du groupe Swatch active dans le chronométrage sportif, à Corgémont (BE), Alain Zobrist, son CEO, nous dévoile une nouvelle puce qui sera portée par les athlètes. «Tout est capté: l’angle de rotation lors d’un saut, la portance des skis dans l’air, le poids d’impulsion dans les starting-blocks… Cela permet de mieux comprendre où la victoire se joue exactement», explique-t-il. Le chronométreur offre désormais une cartographie temporelle de la course parfaite.

«Tout est capté: l’angle de rotation lors d’un saut, le poids d’impulsion dans les starting-blocks...»

 

On est très loin des 30 chronographes manuels transportés dans quelques valises, en 1932, à Los Angeles. «Omega a décroché ce contrat avec le CIO car on était les seuls à proposer une série de chronographes fonctionnant de manière identique au 10e de seconde», explique le dirigeant. Nonante-deux ans plus tard, aux Jeux olympiques de Paris de cet été, plus de 350 tonnes de matériel voyageront en train, ainsi que 550 collaborateurs de la marque, en plus de 900 bénévoles, dont la plupart se rendront sur place une dizaine de jours avant les Jeux pour installer l’infrastructure.

Retour dans le temps. En 1848, à Saint-Moritz, le passage au chronométrage moderne, avec des cellules photoélectriques, avait fait polémique. Comment la machine peut-elle être meilleure que la main de l’homme, se disait-on. En 1964, l’Omegascope introduit les résultats en temps réel, incrustant les chiffres sur un écran lumineux. A Mexico, en 1968, pour la première fois, les nageurs stoppent le chrono eux-mêmes grâce à une plaque de touche, un dispositif repris ensuite par l’escalade sportive.

Pour les JO de Los Angeles en 1932, 30 chronographes manuels avait été transportés. Depuis, Omega n’a cessé d’innover: plaque de touche pour les nageurs dès 1968.

Pour les JO de Los Angeles en 1932, 30 chronographes manuels avait été transportés. Depuis, Omega n’a cessé d’innover: plaque de touche pour les nageurs dès 1968 et pistolet électroniques pour les coureurs depuis 2010, à Vancouver.

© DR

Omega n’a cessé de repousser ses propres limites. A Vancouver, en 2010, l’horloger déploie un pistolet électronique, technologie toujours actuelle. «Le son arrive aux oreilles de chaque athlète exactement en même temps, qu’il soit au couloir 1 ou 8», note Alain Zobrist. Deux ans plus tard, la marque introduit le chronométrage au millionième de seconde. Ces innovations concernent alors principalement les instruments de mesure.

Pourtant, une autre révolution se prépare dans les laboratoires de Corgémont: celle des capteurs conçus par Swiss Timing et introduits en 2018 pour les Jeux de PyeongChang, en Corée du Sud. On peut désormais avoir une comparaison en temps réel entre deux compétiteurs. Les courses de ski s’emparent très vite de cette technologie. Chronométreurs, ingénieurs de l’image, analystes des données, développeurs de logiciels travaillent continuellement avec des athlètes pour proposer des technologies toujours moins immersives, mais capables de donner des informations extrêmement précises.

Pistolets électroniques pour les coureurs depuis 2010 à Vancouver.

Pistolets électroniques pour les coureurs depuis 2010 à Vancouver.

© Ian Schemper

L'IA entre dans la danse

A Paris, cet été, trois innovations directement liées à l’IA feront leur entrée. La première, l’analyse de performance, mesurée grâce à des capteurs dans le dossard et des caméras, permettra à l’athlète de connaître sa réactivité, son accélération, sa vitesse, son nombre de pas… Les données pourront ensuite être croisées et analysées. Deuxième innovation: la gestion des images et des graphiques sera automatisée par une interface multi-scripturale maîtrisant sept écritures, du chinois à l’arabe. Elle offrira un séquençage avant, pendant et après la course. «C’est un outil unique au monde qui a été développé intégralement par nos équipes», souligne le dirigeant de Swiss Timing, qui connaît très bien le poids des diffuseurs. Rappelons que les Jeux olympiques d’été sont de loin l’événement le plus regardé au monde, avec plus de 4 milliards de téléspectateurs.

La troisième innovation, l’estimation de pose 3D, analysera la biomécanique des compétiteurs au plongeon, en gymnastique et dans les sports de balle. Ce système donne une vision en trois dimensions de l’athlète, sa rotation, l’angle de sa tête, la hauteur de son bras, sa distance par rapport à un élément. En tennis ou en beach-volley, un mapping de sa position après le service sera disponible. «Nous avons mené beaucoup de tests et les retours des sportifs, des entraîneurs et des juges sont très positifs. Ces données seront en libre accès et gratuites. Elles feront évoluer la manière de s’entraîner», souligne Alain Zobrist.

Défis constants à relever

A la fin de la présentation, notre hôte du jour s’arrête devant 31 cloches fondues à La Chaux-de-Fonds (NE): «C’est un clin d’œil. Il y en a une pour chaque année olympique. On les utilise parfois pour signaler le dernier tour de piste.» Une autre ère, mais toujours le même esprit, celui du gardien du temps, profondément attaché à son art tout en restant dans l’ombre, bienveillante, du sportif de haut niveau.

Cette longévité n’est pas exempte des nombreux défis à relever, comme dans n’importe quelle aventure entrepreneuriale. Coupure d’électricité à Atlanta en 1996, tempêtes glaciales à Sotchi en 2014 ou pression sécuritaire à Rio en 2016, les équipes d’Omega sont entraînées à vivre dans un environnement différent à chaque fois et toujours sous haute tension. «Nous testons le matériel dans une salle dont la température varie de -40°C à +80°C, dans un simulateur de foudre et d’anti-magnétisme», confie le dirigeant. Système électrique autonome, batterie de secours et multiples backups physiques ou virtuels pour l’infrastructure informatique font ainsi partie de la routine.

Relation win-win

Raynald Aeschlimann, le grand patron d’Omega, vivra ses huitièmes Jeux olympiques. Un partenariat presque sans nuage avec le CIO. Aucun montant ne filtre sur la transaction, estimée à plusieurs dizaines de millions de dollars. Le CEO relève cependant que cette collaboration suscite bien des convoitises. «Certains aimeraient s’acheter le chronométrage des Jeux, pour se faire un nom. Mais cela demande un savoir-faire et tout n’est pas à vendre, glisse-t-il. Pour durer, on doit se montrer innovant.»

Le dernier contrat avec le CIO a été signé en 2018 et court jusqu’en 2032. Dans quelle mesure la marque leader du Swatch Group observe-t-elle un effet sur les ventes de montres après les Jeux? «On ne peut pas parler de retour immédiat, comme après la Coupe de l’America que nous chronométrons, note le CEO biennois. L’héritage des Jeux se ressent toute l’année chez nous. C’est un vrai exercice de marque pour nos équipes, car nous devons rassembler une multitude de sports, des femmes et des hommes autour d’une montre.»

«Certains aimeraient s’acheter le chronométrage des Jeux, pour se faire un nom. Mais cela demande un savoir-faire et tout n’est pas à vendre.»

Omega est le chronométreur des Jeux olympiques depuis 1932

Fondé en 1848 à la Chaux-de-Fonds, Omega a rejoint le groupe Swatch en 1998. En 2024, quatre garde-temps de la famille Speedmaster sont édités pour les JO de Paris.

© Omega

L’incroyable saga entre Omega et le CIO ne se résume donc pas aux milliards dépensés et gagnés chaque année. Certes, les frais en R&D, en logistique, en personnel, voire en invitations sont colossaux. Mais c’est surtout un exercice d’équilibrisme. A quel point ce contrat est-il bénéficiaire pour la marque du groupe Swatch qui affiche 7888 millions de francs de chiffre d’affaires en 2023?

«Le partenariat englobe la notoriété et le sponsoring. Au moment où l’on signe, on ignore à combien vont se chiffrer les développements technologiques, qui prennent des années. Prenez les sports paralympiques, ce sont des athlètes prodigieux et je conseille à tous d’aller voir ces compétitions qui dépassent la performance sportive. Cela dit, c’est un défi en visibilité qui a un coût important pour la marque. Pour un chronométreur, il est extrêmement complexe de paramétrer nos installations, car celui qui réalise le meilleur temps n’est souvent pas le gagnant. On doit inclure les aspects liés au handicap. Parfois, le public pense qu’on s’est trompé. Cela implique un exercice de communication constant», relève le CEO, qui soutient le handisport depuis près de trente ans.

Entre le 26 juillet et le 11 août, il y aura donc un peu du Jura bernois dans la capitale française.

Le luxe, mode d’emploi

Innovation: penser le futur
Omega développe entre 200 et 300 innovations par an. Parmi les axes principaux: recherche de matériaux durables, miniaturisation des dispositifs, durée de vie des produits et traçabilité des composants.

Partenariats: tisser des liens durables
Outre le lien avec le CIO, Omega cultive des partenariats historiques dans d’autres sports et avec des athlètes et des célébrités telles que Cindy Crawford depuis 1995 ou encore George Clooney. Près de 1000 invitations sont envoyées pour les Jeux.

Racines: se souvenir de son héritage
Le fondateur d’Omega, Louis Brandt, créa un comptoir d’établissage en 1848 à La Chaux-de-Fonds, produisant ainsi de manière économique. En 1880, la marque s’implante à Bienne et cultive son lien avec l’Arc jurassien où elle a de nombreux ateliers.