Un parcours singulier dans l'univers de l'horlogerie

«Il faut briser cette croyance que certains savoir-faire sont inaccessibles. C’est en sortant ces artisanats de leur sérail qu’un plus large public les verra sous un nouveau jour», lance Alcée Montfort. Cette vision audacieuse trouve ses racines dans son parcours atypique. Ingénieure de formation avec une spécialisation en physique fondamentale, la jeune femme découvre d’abord l’univers du luxe chez Hermès. Elle y est immédiatement envoûtée par «la noblesse des matières et une manufacture tout aussi altière». De ces étoffes de soie sublimées par des couleurs qui ne s’évaporent jamais au cuir tanné et marqué à la feuille d’or, la jeune cheffe de projet ancre là ses fondations d’esthète: il s’agit de pourchasser le beau.

Son chemin la mène ensuite chez Cartier et Richemont, où elle participe à la restauration de pièces historiques d’horlogerie et de joaillerie. C’est là qu’elle fait ses premières rencontres marquantes avec les horlogers, ces artisans d’exception dont la patience et la précision la fascinent. Sa carrière prend un tournant décisif lorsqu’elle rejoint TAG Heuer en Suisse, où elle gravit rapidement les échelons pour devenir responsable d’un atelier d’assemblage de mouvements.

De retour en France, à Reims, où elle suit son mari ingénieur dans l’industrie automobile, elle mûrit son projet avec la volonté de repenser l’expérience du luxe pour l’adapter au faire soi-même, en y ajoutant les valeurs du haut de gamme. «Dans ce monde connecté où tout s’estompe, je veux qu’on réapprenne à faire. Et le mieux pour cela, c’est de retrouver ce plaisir de construire et d’assembler qui nous anime enfant.»

La pendulette Persée: un défi technique et esthétique

En 2019, Alcée Montfort fonde Maison Alcée. En cumulant fonds propres, prêts et subventions étatiques, son mari et elle parviennent à détenir la totalité de l’entreprise. Trois ans seront consacrés au développement de la première création, la pendulette Persée. Le concept est aussi ambitieux qu’unique: proposer aux passionnés d’horlogerie d’assembler eux-mêmes une pendulette mécanique haut de gamme, avec le même niveau d’excellence que les plus grandes maisons.

Pour garantir cette qualité irréprochable, chaque composant est conçu et fabriqué à plus de 95% dans l’Arc jurassien, berceau historique de l’horlogerie, auprès d’une trentaine de partenaires, répartis de chaque côté de la frontière franco-suisse. Alcée s’entoure d’experts reconnus: Thierry Ducret, l’un des rares Meilleurs Ouvriers de France en horlogerie, Jean-Marie Desgranges, professeur d’horlogerie à la très renommée école de Morteau, ainsi que le designer suisse Antoine Tschumi, qui a œuvré notamment pour Breguet, Harry Winston ou Greubel Forsey. Cette équipe pluridisciplinaire de haut vol travaille pendant des mois pour développer un mouvement horloger spécifique, conçu pour être assemblé par des non-initiés tout en respectant les codes de la haute horlogerie.

La pendulette Persée est livrée dans un élégant coffret en bois massif qui révèle, dès son ouverture, le soin du détail apporté au concept. A l’intérieur, un livre de 150 pages richement illustré explique dans le détail les différentes étapes de la construction de la pendulette. Il est pensé pour accompagner l’horloger en herbe dans la compréhension et l’assemblage de son garde-temps, pièce après pièce. Sous celui-ci, le coffret renferme les 233 composants – dont 169 à assembler soi-même – et tous les outils horlogers nécessaires au projet. Ceux-ci ont été spécialement développés pour les débutants. Ainsi, ils sont forgés dans un métal moins dur que celui utilisé pour les vrais horlogers, afin de diminuer le risque de rayer les pièces par inadvertance. Cette attention aux détails est poussée à l’extrême: les tournevis sont fabriqués en alliage cuivre-béryllium non recuit pour éviter, à nouveau, toute rayure sur les composants, une première dans l’industrie.

Les finitions respectent les plus hauts standards de l’horlogerie: étirage sur les platines et les ponts, cerclage sur les roues et le barillet, chanfreins sur les pieds cylindriques, polis miroir sur les équerres, sablage et microbillage sur la cloche et les aiguilles. Le mouvement mécanique, similaire à celui d’une montre-bracelet mais à plus grande échelle, offre une réserve de marche de deux semaines et intègre une sonnerie au passage des heures, complication horlogère traditionnelle qui peut être activée ou désactivée selon les préférences.

La marque épaule chaque client via un groupe d’échange privé, assurant la réussite du projet. Les équipes de Maison Alcée sont ainsi en mesure d’accompagner le montage à distance et de répondre à toute question à travers une messagerie regroupant texte, images et voix. Il est adapté aux adolescents dès 13 ans ou aux enfants accompagnés d’un adulte dès 10 ans. «C’est un beau challenge personnel qui nécessite de se mettre dans sa bulle», précise Alcée Montfort. Une fois la pendulette montée, l’équipe vérifie avec l’apprenti horloger les réglages finaux, le son de la sonnerie, la réserve de marche, l’avance-retard.

Ultime coquetterie imaginée par le designer Antoine Tschumi: la pendulette peut être exposée et fonctionnelle en étant posée à la verticale comme à l’horizontale, évoquant tantôt un sablier traditionnel, tantôt une interprétation plus contemporaine de l’affichage du temps. Les témoignages des clients révèlent l’impact profond de cette expérience. «Entendre pour la première fois le tic-tac de la pendule est un moment très spécial, confie David, chef d’entreprise. L’objet inerte prend vie, le cœur de la pendule se met à battre, ce sont vraiment des secondes très émouvantes.»

Lors du lancement à l’automne 2022, soit pile une année avant de remporter son prix au GPHG, Alcée Montfort vend 25 de ses coffrets. Un chiffre qui sera plus que doublé en 2024. Seule au début de son aventure, la jeune femme a vu son entreprise passer à six personnes, à commencer par son mari, Benoit, qui l’a rejointe à la direction de Maison Alcée. En avril de cette année, la marque a ouvert un espace au sein de la M.A.D.Gallery à Genève, une initiative de Maximilian Büsser où l’art horloger rencontre l’expression créative. Cette première étape internationale est suivie par une expansion stratégique à Singapour, où Maison Alcée s’associe au prestigieux détaillant The Hour Glass, référence incontournable en Asie du Sud-Est.

Pour marquer son expansion internationale, l’entreprise présente désormais sa pendule en plusieurs finitions, le prix de chaque coffret s’échelonnant entre 6900 et 11 600 francs. Maison Alcée propose également sur son site un écrin doté d’un dôme de verre en option, ainsi qu’un établi d’horloger démontable à installer chez soi. A l’avenir, de nouvelles complications horlogères devraient être proposées. Celles-ci pourront également être installées a posteriori dans les pendulettes déjà assemblées, permettant ainsi aux clients existants de prolonger leur expérience. De quoi permettre à Maison Alcée de fixer les objectifs de vente pour l’année prochaine à 200 coffrets.