Lorsqu’on pousse la porte des ateliers de Dietlin Swiss Showcases à Romanel-sur-Lausanne, l’on tombe immanquablement sur Xavier Dietlin, un quinquagénaire à l’enthousiasme contagieux. L’homme s’est donné pour mission de casser les codes en métamorphosant sa vénérable et centenaire entreprise familiale en un laboratoire de créativité: ses vitrines révolutionnaires ont redéfini la façon dont les montres sont présentées au public dans les salons et les boutiques. Exit les cloches de verre hermétiques, bonjour les expériences interactives qui réenchantent l’acte de découvrir un garde-temps.

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Tout a commencé par un escalier. Pas n’importe lequel: celui qui trône encore fièrement, tournoyant vers le ciel, devant les locaux de l’entreprise. Il symbolise les origines de la maison Dietlin, fondée en 1854 à Porrentruy dans le Jura suisse et dont le chef de file s’appelait déjà Xavier. Spécialisée alors dans la ferronnerie d’art, l’entreprise jouissait d’une telle réputation que Paris fit appel à elle pour participer à la réalisation des escaliers de la gare d’Orsay, devenue depuis un musée. «C’est comme une madeleine de Proust pour nous», lance Xavier Dietlin en désignant cette relique qui rappelle le savoir-faire ancestral de la maison. Cette enseigne historique cache un atelier discret où l’on repousse sans cesse les limites de la technologie.

Du football à l’horlogerie: un virage inattendu

Pourtant, Xavier – l’actuel, pas l’aïeul – n’imaginait pas s’inscrire dans la tradition familiale: son truc à lui, c’était le foot. Il est devenu footballeur professionnel sous les couleurs de Genève-Servette et du FC Sion. Sélectionné trois fois en équipe nationale suisse sous Roy Hodgson, il a vu sa carrière s’arrêter brutalement à la suite d’une blessure à 21 ans. Après sa retraite sportive, il finit par intégrer l’entreprise familiale, sans pour autant vouloir poursuivre dans le même domaine que son père, qui s’était spécialisé dans le bâtiment en participant notamment à l’édification du Musée olympique à Lausanne entre 1991 et 1993. Face à cet ancrage dans la construction métallique, le virage vers l’horlogerie n’était pas évident. C’est un concours pour Cartier qui va amorcer un tournant décisif. «Même si nous n’avons pas remporté l’affaire, ça a été une révélation pour moi, raconte Xavier Dietlin. Mettre autant d’énergie dans un aussi petit objet, devoir imaginer une mise en scène incroyable comme ça, je trouvais ça fascinant.»

Peu après, il fait la connaissance du génial horloger François-Paul Journe. «Nous nous sommes très bien entendus. Et puis il m’a accordé sa confiance et m’a donné ses vitrines à faire pour le monde entier, pour toutes les boutiques.» Mais le véritable coup d’éclat survient avec Jean-Claude Biver, alors à la tête de Hublot. «Je crois que c’est l’école Biver qui m’a fait», explique-t-il. Ensemble, ils conçoivent la Raptor en 2005, une vitrine sans verre de protection, faisant disparaître le garde-temps dès qu’une main s’en approche trop.

«Le but était de surprendre et de se rapprocher du client en permettant aux amateurs de mieux apprécier le produit qui, pour la première fois, n’était pas enfermé dans sa prison de verre», explique-t-il. Révolutionnaire, voire magique, le procédé fait grand bruit dans le monde feutré de l’horlogerie. «Les vitrines sans verre protecteur représentent près de 80% de mon chiffre d’affaires maintenant. Cela démontre la volonté qu’il n’y ait plus de barrières entre le visiteur et le produit», explique Xavier Dietlin.

Dietling Swiss Cases

Grâce à ses systèmes rétractables, 80% des vitrines fabriquées par Xavier Dietlin se passent de vitres de protection, supprimant les barrières entre le spectateur et le produit.

© Dietlin Swiss Showcases

Réinventer la vitrine : du show à l’émotion

«Mais dis voir, le client, il peut quand même pas partir avec la montre, ou bien?» se sont pourtant sans doute exclamés les dirigeants des marques traditionnelles en découvrant le dispositif. Depuis, ce côté disruptif et ludique est devenu sa marque de fabrique. A rebours des tendances, Xavier Dietlin a compris avant beaucoup d’autres que le nerf de la guerre n’était pas la sécurité maximale – bien que nécessaire – mais l’émotion. Chaque vitrine est pensée comme une expérience en soi. Comme la Pulsograph qui permet d’amplifier le son naturel d’une montre en captant les vibrations transmises par la couronne. «Pour présenter à la jeune génération un produit aussi traditionnel qu’un garde-temps, il faut le faire de façon ultra-contemporaine et se mettre dans la peau du client de demain, analyse-t-il. Le spectateur doit rester la seule préoccupation d’un créateur de vitrines.»

L’innovation se poursuit en 2017 avec les espaces privés d’Audemars Piguet, qui ne sont plus des boutiques traditionnelles mais des «AP Houses» (Maisons AP). Le client s’y retrouve en tête à tête avec le système Captur, qui expose quatre produits en libre accès, que l’on peut faire apparaître d’un simple mouvement de la main.

Si Xavier Dietlin est le visage public et créatif de la maison, c’est dans l’ombre que son frère et associé Nicolas joue un rôle tout aussi crucial. Ensemble, ils ont définitivement repris en tant que cinquième génération les rênes de l’entreprise familiale des mains de leur père, en 2010. Discret et méthodique, Nicolas Dietlin dirige l’atelier de fabrication. Cette complémentarité est l’un des secrets de la réussite de Dietlin Swiss Showcases: d’un côté l’innovateur flamboyant qui imagine les concepts révolutionnaires, de l’autre le technicien perfectionniste qui transforme ses idées en réalités fonctionnelles grâce à son équipe d’artisans spécialisés. «Nous faisons presque tout ensemble, en équipe», explique Xavier.

Rapidement, les vitrines et présentoirs de l’entreprise inondent les boutiques de plusieurs dizaines de marques horlogères, et ce dans le monde entier, de New York à Tokyo, en passant par Paris et Dubaï. L’entreprise, qui compte une quinzaine de personnes, pourrait facilement s’agrandir. Mais Xavier Dietlin a une vision très claire: «Quand je dis que je maintiens la demande plus forte que l’offre, à 12 ou 15 personnes, ce n’est pas compliqué à faire. Supposons maintenant que nous montions à une cinquantaine de collaborateurs, cela deviendrait un peu plus problématique.» Combien d’entreprises grandissent pour se restructurer ensuite? «Notre taille actuelle nous oblige à rester dans la peau d’une start-up. Nous sommes contraints de nous réinventer sans cesse.» Une vision économique contre-intuitive mais totalement adaptée au monde de l’horlogerie de luxe, un secteur fonctionnant par cycles et dont les affaires fluctuent au gré des aléas de l’économie mondiale. Cette philosophie à contre-courant lui a permis d’acquérir une position enviable car unique sur son marché. «Plusieurs grandes marques horlogères qui ont l’obligation selon les règles d’entreprise de demander trois offres comparatives sont embarrassées avec nous. Il n’y a pas de produits concurrents sur le marché», sourit-il, non sans une certaine fierté.

Dietling Swiss Cases

De New York à Tokyo en passant par Genève et Dubaï, Dietling Swiss Cases imagine les vitrines et présentoirs pour une cinquantaine de marques horlogères, ainsi que pour des détaillants et des salons.

© Dietlin Swiss Showcases

Aujourd’hui, Xavier Dietlin continue d’innover avec la même passion. Il court les musées, les expositions, est curieux de tout. «Toujours un carnet plein d’idées dans la poche», comme il le dit lui-même. Cette soif insatiable lui a permis de créer des vitrines de plus en plus sophistiquées, comme la Carrousel pour Dubail, la première boutique phygitale (physique et digitale) pour TAG Heuer à Tokyo, ou le présentoir ondulé et minimaliste conçu pour exposer les montres sélectionnées pour le Grand Prix d’horlogerie de Genève (GPHG).

«Nous n’avons plus réellement besoin d’une montre pour nous donner l’heure alors que nous avons en permanence notre smartphone à portée de regard. L’aspect émotionnel devient donc primordial. C’est là que le digital s’arrête et que la mécanique commence», philosophe-t-il.

A l’heure où le monde horloger, parfois engourdi par ses propres traditions et l’incertitude économique actuelle, s’interroge sur son avenir et sur les moyens de séduire les nouvelles générations, Xavier Dietlin désigne une piste prometteuse: redonner à la montre, ce petit objet de quelques dizaines de millimètres de diamètre, toute sa dimension poétique et artistique.

A l’avenir, il s’imagine déjà… cacher les produits. «C’est-à-dire ne pas tout dévoiler tout de suite. Lorsque l’on entre dans une boutique aujourd’hui, tous les produits sont immédiatement visibles. Peut-être qu’il faudrait que certains se méritent… qu’il faille agir pour les découvrir», observe-t-il. Une approche qui se calque sur les plus belles œuvres des grands ébénistes des XVIIe et XVIIIe siècles. «Le meuble à secret constitue une source d’inspiration extraordinaire: tu tires la bobinette et la chevillette… et le truc s’ouvre, dévoilant un petit compartiment insoupçonné. Il y a là tant de magie!»

Le luxe, mode d’emploi

Personnification
Donner de sa personne, incarner et personnifier son entreprise, afin que le client sache à qui il a affaire; créer une vraie relation, vivante.

Unicité
Développer une signature pour ses produits, les rendre reconnaissables et uniques, les rendre incomparables dans le sens propre du terme.

Créativité
Utiliser ce mot souvent galvaudé dans le sens de ne pas avoir peur de se mettre en danger, s’exposer dans la prise de risques lors des décisions à prendre ou des produits à concevoir.