Le problème, après avoir parlé durant près de deux heures avec Henry Nidecker et Thierry Kunz, c’est de savoir par où commencer. Le flot d’informations déversé par l’aîné de la fratrie aux commandes de Nidecker Group et son directeur marketing est si abondant et parfois si réjouissant qu’il faut les hiérarchiser puis procéder par élimination. Mais s’il n’y avait qu’une phrase à retenir de ce long entretien en ce jour d’octobre, ce serait celle d’«Henry V» puisque, tout comme l’entreprise séculaire, ce prénom se transmet de père en fils au sein de la dynastie: «Nous n’avons jamais autant vendu de snowboards, de boots et de fixations qu’aujourd’hui.»

Contenu Sponsorisé
 
 
 
 
 
 

Une petite bombe lâchée sans triomphalisme entre deux gorgées de café, qui fait exploser l’amas d’idées préconçues qui parasitaient notre cerveau en roulant vers Rolle. Du genre: avec le réchauffement climatique, le manque récurrent de neige et la crise du covid, Nidecker Group doit sans doute affronter de sacrés vents contraires. Eh bien pas du tout. Au contraire, jamais, au cours de sa longue et riche histoire, l’entreprise ne s’est aussi bien portée. Le chiffre d’affaires du groupe – que ce dernier ne communique pas – a été multiplié par huit au cours de la décennie écoulée ou, mieux, par 200 (!) en ce qui concerne son segment américain. De 200 000 dollars il y a quinze ans à 40 millions!

Le covid, accélérateur de changement

Une région Amérique du Nord qui ne cesse de surcroît de «casser des résistances», comme dirait un trader: +30% la saison écoulée, +100% pour celle en cours, «puisque tous nos détaillants ont déjà été livrés», précise Thierry Kunz. «Nous vendons plus de snowboards milieu-haut de gamme que n’importe quelle autre marque sur le marché américain. Des surfs payés entre 600 et 1500 dollars», se délecte le duo, convaincu que l’avenir n’appartient pas aux plus puissants mais aux plus agiles et aux plus rapides à… surfer sur les tendances. Alors, Nidecker Group, un nid d’acrobates?

Le fruit d’une stratégie et d’un état d’esprit, répondent-ils en chœur. Exit, par exemple, l’excuse du manque de neige et de la chute des ventes de planches depuis 2010 qui, au goût d’Henry Nidecker, a trop longtemps servi à la fois d’alibi et d’œillères pour justifier le déclin de l’entreprise, au bord de l’asphyxie en 2007. «Quand il n’y a pas de neige en Europe, il y en a aux Etats-Unis ou en Asie et vice-versa.» Quant à la crise du Covid-19, le frère aîné de Xavier et de Cédric, les deux autres mousquetaires de la grande aventure, en retient surtout les aspects positifs. «Elle a permis d’accélérer la mutation dans nos manières d’appréhender le travail et la communication au sein de l’entreprise. Des changements de paradigmes qui s’avéraient de toute façon inéluctable.»

Et ce n’est pas tout. Si, à l’instar des entreprises helvétiques, Nidecker a pu s’appuyer sur les RHT pour joindre les deux bouts, elle a aussi pu compter sur des aides venues de Hollande et des Etats-Unis, où le groupe est implanté. Un million de dollars reçus à fonds perdu. Du beurre dans des épinards, qui a notamment permis à la société de muscler son département recherche et développement, basé à Rolle. Quinze postes créés ces douze derniers mois, faisant culminer l’effectif du groupe à 150 personnes.

«Il y a dix-huit mois, cet argent représentait un matelas de sécurité. On livrait de la marchandise à 1000 magasins sans savoir s’ils allaient nous payer. Heureusement, aux Etats-Unis, contrairement à l’Europe, les domaines skiables n’ont jamais été fermés. La gestion de la crise a même fait exploser les sports outdoor», se réjouissent nos interlocuteurs, avant de rendre un hommage appuyé à leurs équipes. «Comme nous ne pouvions pas nous déplacer, notre salut était entre leurs mains. Elles ont fait preuve d’un engagement et d’une loyauté à toute épreuve. C’est aussi ça, Nidecker Group. Une gouvernance horizontale où tout le monde peut s’exprimer et développer ses projets. Aujourd’hui, nous sommes confiants, avec l’espoir que les stations européennes ouvriront cet hiver.»

Relocalisation en Suisse?

Cela étant, Henry et ses frères n’ont pas attendu que le ciel vienne à leur secours pour empoigner les problèmes. «Plutôt que de nous décourager et de nous enfoncer, les tonnes de difficultés qui nous assaillaient à l’époque nous ont poussés à innover et à nous réinventer.» Leur recette? A la mort, Henry and Co. ont préféré la révolution. «Le renouvellement perpétuel» disent-ils. Via le rachat ou la création de marques susceptibles de vivre sous le même toit que l’enseigne fondatrice. A commencer par YES, un consortium d’anciens athlètes qui, dès 2009, vante les mérites de la marque et loue son expérience. Une collaboration gagnante qui met le pied à l’étrier du trio. «Ça nous a donné une bouffée d’air frais et surtout une grosse confiance. Du coup, on a continué sur cette voie.»

Un pari que beaucoup qualifiaient de fou, évalué à l’aune de la crise financière. Douze ans plus tard, Henry, Xavier, Cédric et Thierry ont multiplié le nombre de «voies» par neuf. Parmi elles, des perles comme Flow, Now (fixations), Jones (snowboards) ou encore Bataleon, Lobster et Romet. Au point que, à ce jour, la marque Nidecker ne participe qu’à hauteur d’une petite dizaine de pour cent au chiffre d’affaires global du groupe. «Chaque marque est indépendante. Mieux, elles s’aiguillonnent et se tirent la bourre. Et toutes sont traitées sur un pied d’égalité. Il n’y a pas de parents pauvres au sein du groupe. On met les gaz partout», assurent Henry et Thierry, qui ne jurent que par la diversification.

Diversification des marchés certes, mais également des fournisseurs et surtout des régions de production. Chine, Taïwan, Cambodge, Vietnam, Pays-Bas, Etats-Unis, etc. Et la Suisse? «On y songe très sérieusement. Pour preuve, nous sommes sur le point d’installer une machine de production dans nos locaux de Rolle. Fabriquer ici fait partie de l’ADN de l’entreprise, qui a dû y renoncer à cause de ses difficultés, en 2014. Mais nous irons gentiment», préviennent les boss, précisant que le marché helvétique ne représente que 3 ou 4% de leur chiffre d’affaires, réparti entre les Etats-Unis (45%), l’Europe (40%) et l’Asie (15%).

Mais le compte-tours de «l’empire» vaudois n’a pas fini de grimper puisque celui-ci annonce l’arrivée d’une révolution dans le domaine du snowboard pour la saison 2022-2023: la Drop-In. Une fixation entièrement automatique, comme sur des skis alpins. A la différence qu’elle s’adaptera à différents types de chaussures. Fabriquée dans la région de Wuhan, la Drop-In, installable sur n’importe quelle planche, est d’ores et déjà promise à un succès foudroyant. Anything else? «Nous sommes déjà à fond sur les assortiments 2023-2024», note Thierry Kunz. Avec d’autres surprises? «No comment sur ce coup-là.» Ouf!


La location, nouvel eldorado

Le «locker». Une armoire à six casiers où sont rangés autant de paddles que leurs utilisateurs peuvent louer et payer par internet.

Beaucoup y ont pensé, Nidecker l’a concrétisé. Le «locker». Une armoire à six casiers où sont rangés autant de paddles que leurs utilisateurs peuvent louer et payer par internet. Pour une heure ou plus (prix dégressif). Sur place, la porte se déverrouille au moyen de son smartphone et une puce électronique vérifie la pression du stand-up. Le tout premier exemplaire sera inauguré en grande pompe à Sydney, en novembre. Puis, en avril, la société en installera au bord du Léman.
A Rolle, of course, Gland et Nyon.

«L’objectif est d’en poser 1000 en Suisse à terme. Dans le monde? Il y a 25 millions de lacs», s’esclaffe Henry Nidecker. On voit déjà des «lockers» à VTT, à kayaks, à skis, à snowboards, bien sûr, et à toute sorte de matériel permettant d’utiliser plus largement les terrains et les places de sport publics, dit-il. «Aujourd’hui, les gens ne veulent plus charger leur voiture avec tout ça. Le système existe déjà dans d’autres domaines et paraît simple. Mais il y a une foule de détails à régler pour qu’il fonctionne à la satisfaction de tous. Nous, on y est!»