«N’oubliez pas d’écrire que je suis dyslexique et que, à l’école primaire, on me considérait comme une cause perdue.» Professeur de management de l’énergie à la HES-SO Valais, Stéphane Genoud a par la suite fait un apprentissage d’électricien, obtenu un diplôme d’ingénieur, deux masters universitaires, un doctorat et fondé deux bureaux de conseil. En Suisse romande, il est aussi l’un des esprits les plus innovants lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre la transition énergétique. Et la preuve vivante que ceux qui passent pour des cancres sont, au final, ceux qui peuvent faire la différence.

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«Face au défi climatique, nous ne pouvons pas nous permettre de nous planter, ajoute Stéphane Genoud. L’avenir de l’humanité est en jeu.» Chaleureux, il n’est pas du genre à faire des concessions quand il s’agit de faire passer ses idées. «On m’aime ou on me déteste, mais je ne laisse personne indifférent.» Et avec un sourire désarmant: «C’est en tout cas ce que j’entends régulièrement.»

Pour atteindre les objectifs des Accords de Paris et ceux fixés par la Suisse dans sa stratégie climatique 2050, il faudra accélérer le mouvement, c’est l’évidence. Et si la guerre en Ukraine alerte les gouvernements et les populations sur l’urgence énergétique, encore faudra-t-il que cette prise de conscience se concrétise par des progrès sur le terrain. Stéphane Genoud cite volontiers les chiffres donnés par le conseiller d’Etat valaisan Roberto Schmidt, le chef des Finances et de l’Energie. Aujourd’hui, ce sont 850 bâtiments qui sont assainis chaque année dans le canton. Ce nombre devrait être multiplié par trois si l’on veut être dans les temps. Et il faudra, en plus, remplacer chaque année quelque 3000 chauffages au mazout par des installations fonctionnant aux énergies renouvelables. Solaire et hydraulique en tête.

Industrialiser la transition énergétique

Un exemple d’action concrète. Avec la HES-SO Valais, où il dirige le Laboratoire de management de l’énergie, Stéphane Genoud a lancé, il y a cinq ans, Group-IT, un concept soutenu par l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) et qui n’a cessé depuis de faire des émules. L’idée: aider les communes à mobiliser les propriétaires de maisons individuelles ou d’appartements en PPE, les inciter à poser des panneaux photovoltaïques sur leurs toits en proposant des appels d’offres groupés aux entreprises actives dans la région. Avantages: un rapport qualité/prix optimal pour les candidats et un accompagnement qui les aide à échapper aux marchands de casseroles, nombreux sur ce marché juteux. Quant aux autorités communales, cette approche groupée leur permet d’accélérer les processus d’approbation des installations et d’avoir une vue d’ensemble en matière de transition énergétique.

«Nous manquons de 300 000 personnes pour réaliser ce type de travaux.»

Stéphane Genoud

 

Encore faut-il trouver les entreprises ayant les capacités et les disponibilités nécessaires. Voilà pourquoi Group-IT vise une forme d’industrialisation de la transition énergétique. «Comme le disait récemment le directeur général de Romande Energie, Christian Petit, nous manquons de 300 000 personnes pour réaliser ce type de travaux, souligne Stéphane Genoud. Il faut donc utiliser au mieux la main-d’œuvre existante.» Et trouver de surcroît une palette de solutions pour pallier ce qui va devenir l’obstacle principal à toute avancée.

Après avoir testé la formule Group-IT à Saint-Martin, en Valais, l’équipe de Stéphane Genoud a noué des collaborations avec la ville de Neuchâtel, l’agglomération de Delémont, le Parc naturel régional Gruyère Pays-d’Enhaut, Le Mont-sur-Lausanne… Elle a contribué ainsi à faire installer des panneaux solaires sur quelque 345 habitations. Un modèle que l’équipe de Group-IT a commencé de franchiser à des bureaux d’ingénieurs ou d’architectes.

Son autre vie: paysan de montagne

Désormais, Stéphane Genoud consacre 90% de son temps à l’enseignement et à la recherche. Et 30 à 40% à ses autres activités. Il est toujours membre du conseil d’administration de la société SwissElectricity, un bureau de conseil en efficience énergétique de dix personnes qu’il a cofondé, mais dont il a quitté la direction opérationnelle. En revanche, il continue d’accepter des mandats de délégué de maîtres d’ouvrage dans un autre bureau d’ingénieur qui lui appartient. Par exemple pour l’installation, au siège européen de Medtronic, à Tolochenaz, d’un chauffage à distance alimenté par les eaux du Léman. Un système déjà expérimenté au Campus Biotech à Genève, qu’il a également accompagné.

«De manière générale, nous disposons de toutes les technologies nécessaires, répète-t-il. L’enjeu, c’est de trouver les bonnes incitations, de nouveaux modèles d’affaires et les politiques publiques qui vont de pair.» Une réflexion qui s’applique à l’énergie comme à l’alimentation. Et nous voilà parti pour parler de l’autre vie de Stéphane Genoud, paysan de montagne, membre d’une communauté d’élevage de vaches de la race d’Hérens avec son frère Jean-Christophe, aussi responsable de la sécurité du domaine de ski Grimentz-Zinal. Avec l’aide d’un vacher, les deux frères s’occupent d’une quarantaine de bêtes, dont les plus jeunes passent l’été sur l’alpage de Cottier. «J’ai eu une chance immense de pouvoir racheter ces pâturages qui étaient aussi mon espace de jeu quand j’étais gamin.»

En Valais, Stéphane Genoud, à l’écoute des glaciers.

Avec Sarah Huber, sa compagne depuis trente ans, il a élu domicile dans ce lieu il y a une dizaine d’années. En plus des génisses d’Hérens, l’alpage accueille des chèvres col noir du Haut-Valais, deux ânes et des poules… La bâtisse principale a été transformée en une demeure confortable, panneaux solaires sur le toit, chauffage au bois, accessible à pied uniquement, en vingt minutes de montée. L’étable a été aménagée en salle polyvalente et accueille régulièrement des concerts et des conférences. Sarah Huber y a aussi installé l’atelier où elle produit des cosmétiques naturels, sous le label Alpage de Cottier.

Economiste de formation, elle a participé à des négociations à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour la Suisse, travaillé pour des administrations cantonales et communales ainsi que pour la Fondation pour le développement durable des régions de montagne (FDDM), avant de se reconvertir à l’agriculture et à l’herboristerie. Elle nous parle de son projet de planter des céréales à 2000 mètres d’altitude: du seigle, mais aussi de l’épeautre et du quinoa… Elle s’enthousiasme pour les expériences réalisées avec la Rhodiola rosea, une sorte de ginseng des pays froids, dont elle veut développer la culture.

Transmettre aux générations montantes

On lui demande ensuite de nous brosser le portrait de son «chéri», pour reprendre leur expression. Elle parle de son énergie hors du commun, de la passion qu’il met dans tout ce qu’il entreprend. «Il lui faudrait plusieurs vies pour réaliser ses idées. Il court sans cesse. L’alpage lui permet de retrouver un peu de calme et de prendre du recul.» Comment fait-il pour mener toutes ces activités de front? «Nous avons décidé, ajoute Stéphane Genoud, de ne pas avoir d’enfants. Ce qui libère beaucoup de notre temps. Désormais, en optant pour l’enseignement, je m’occupe de ceux des autres.»

Stéphane Genoud au Rwanda, pour un projet de formation et de recherche dans le domaine des énergies renouvelables, avec l’organisation Swisscontact.

Si, à l’aube de la cinquantaine, Stéphane Genoud a décidé de se consacrer principalement à sa charge de professeur, c’est parce qu’il veut transmettre son savoir aux générations montantes, mais aussi mettre en pratique une approche de l’enseignement à laquelle il n’a pas eu droit. Il revient sur le cauchemar de sa scolarité obligatoire qu’il n’a pas réussi à terminer. Son CFC d’électricien, la manière dont il a comblé par lui-même ses énormes lacunes en maths, ses notes à l’Ecole d’ingénieur de Genève, les meilleures de sa volée, ses études d’économie, son master en finance suivi d’un master à l’EPFL, le tout en cours d’emploi, sa thèse sur l’économie des énergies renouvelables.

«Alors que, pour beaucoup d'entre nous, la situation du monde semble désespérée, il n'est jamais à court de solutions.»

Aline von Jüchen, ancienne étudiante à la HES-SO Valais

«Pour lui, rien ne semble impossible, raconte Aline von Jüchen, une jeune ingénieure zougoise venue passer un semestre à la HES-SO Valais. Alors que, pour beaucoup d’entre nous, la situation du monde semble désespérée, il n’est jamais à court de solutions.» Et d’évoquer aussi un voyage d’études sur l’île danoise de Samso, 4000 habitants, autonomes en énergie grâce à leurs 11 éoliennes, qui l’a beaucoup marqué.

De fait, la vision de Stéphane Genoud, qui maîtrise les aspects techniques, économiques et sociétaux de la transition, est à la fois pluridisciplinaire et très pratique. D’abord, insiste-t-il, il faut convaincre la population de s’engager en étant plus sobre. «Nous sommes de vrais drogués du pétrole.» Le corollaire: encourager les renouvelables. Par exemple, comme avec Groupe-IT, en posant des panneaux solaires sur son toit lorsqu’on est propriétaire ou en améliorant l’isolation de sa maison. Sans mobiliser des ingénieurs ou des techniciens pour des tâches qui peuvent être accomplies par des personnes moins qualifiées. Ensuite, il faut encourager certaines professions menacées à se reconvertir dans les branches du bâtiment et des énergies renouvelables. Avec la généralisation des voitures électriques, les garagistes auront de moins en moins de travail, alors qu’on manque de bras pour installer des panneaux solaires, poser des fenêtres et refaire les toits. Un exemple parmi d’autres.

Un empêcheur de tourner en rond

Autre piste, politiquement plus difficile à défendre, mais gagnant-gagnant: le recours à des professionnels recrutés dans des pays hors Schengen-Dublin, comme ceux du Maghreb. «On y trouve des quantités de jeunes gens bien formés, mais sans travail», explique Stéphane Genoud, qui prépare un projet dans ce sens avec l’organisation Swisscontact pour la Direction du développement et de la coopération (DDC). Le deal: un contrat de cinq ans au maximum pour un emploi et un éventuel complément de formation dans une société suisse, une retenue obligatoire sur le salaire et donc la perspective de ramener au pays un capital de 100 000 francs pour y lancer son entreprise.

Enfin, il faut impérativement que l’industrie de la construction innove et se modernise, explique Stéphane Genoud, qui s’étonne de trouver encore sur les chantiers le même type de gaineuses qu’il utilisait comme apprenti, il y a trente ans. Là encore, pas de salut hors d’une certaine standardisation pour abaisser les coûts et permettre une préfabrication en atelier indépendante des aléas de la météo. Comme le fait Modubois, une coentreprise fondée par plusieurs entrepreneurs valaisans. «Nous avons noué une collaboration fructueuse avec Stéphane Genoud, témoigne Samuel Udry, le patron d’Udry Construction à Savièse. Il nous faudrait plus de types comme lui qui allient l’approche académique et une expérience concrète du secteur, parfois même très terre à terre.»

Et une capacité remarquable à faire passer ses idées, devrait-on ajouter. Sans crainte de provoquer la discussion. Et puisque Stéphane Genoud ne parle jamais dans le vide, il prend, pour illustrer le conservatisme ambiant, les bâtiments du campus Energypolis de la HES-SO Valais Wallis, à Sion. «En optant pour une solution bois-béton au lieu de structures conventionnelles, nous aurions pu fortement réduire le bilan carbone de ces immeubles. Et saisir l’occasion d’en faire un laboratoire de la transition. Encore raté. Ça me désole d’autant plus que le secteur public est censé montrer l’exemple.» Il ajoute: «Aïe, une fois de plus, je joue les empêcheurs de tourner en rond.» Et, mi-figue, mi-raisin: «On dira que c’est pour la bonne cause.»


Bio express

  • 1965 Naissance à Nendaz, puis déménagement à Zinal. Son père, qui a participé aux Jeux olympiques de Cortina d’Ampezzo en ski de fond, prend la direction sportive de la station.
  • 2014 Stéphane Genoud est nommé professeur à la HES-SO Valais. Il y dirige le Laboratoire de management de l’énergie où il mène, avec une dizaine de collègues, de nombreux projets de recherche.