Depuis quelques jours, le site n’est plus accessible. Le bilan est entre les mains du juge des faillites. La patronne Aike Festini a licencié ses 15 employés. La start-up zurichoise LuckaBox n'est plus.
Il est normal que certaines jeunes entreprises ne survivent pas à leurs premières années. Parfois, l'idée ne trouve pas de clients. D’autres fois, il manque un business case. Ou alors la concurrence est plus rapide et meilleure. Il peut aussi arriver que l'équipe ne tire pas à la même corde. Rien de tout cela n’a coûté la vie à LuckaBox, un peu plus de quatre ans après sa création.
Le «Tinder des transports»
Reprenons les choses dans l'ordre. Fondée en septembre 2017, LuckaBox avait identifié l'importance croissante de la logistique intelligente et avait habilement exploité cette thématique. En tant que plateforme d'expédition, la start-up a mis en réseau une cinquantaine de services de messagerie avec des clients du commerce de détail. L'atout de la jeune entreprise basée à Winterthour: un algorithme développé par ses soins qui reliait les deux parties en temps réel.
LuckaBox a été surnommée le «Tinder des transports». Un slogan exotique pour une entreprise exotique: dans un monde de la logistique dominé par les hommes, deux femmes sont entrées en scène. Dans un premier temps, le plan a très bien fonctionné. Avant la pandémie, le e-commerce était déjà en plein essor. Avec le covid, cela s'est encore renforcé. L’entreprise a pu acquérir des clients renommés comme Valora, Ikea ou Jelmoli. Voilà qui était prometteur.
Classée à la 43ème place dans la dernière liste des 100 meilleures start-up de Suisse, Luckabox était une valeur sûre sur la scène économique suisse. «Nous avions un momentum, se rappelle Aike Festini. Tous les signaux étaient au vert.»
Jusqu'à ce qu'une nouvelle idée soit lancée en 2019. Une idée qui ne correspondait certes pas à l'activité principale de l'entreprise, mais qui semblait extrêmement séduisante. Pas uniquement pour LuckaBox, mais aussi pour le célèbre investisseur allemand Carsten Maschmeyer, tellement séduit par les perspectives qu'il a investi dans la start-up. La démarche aurait pu fonctionner, mais elle a déclenché une spirale fatale.
Le tournant fatidique
Alors que l'activité principale de Luckabox fonctionnait bien, mais n'affichait pas encore les taux de croissance abrupts que les investisseurs recherchent, la nouvelle idée semblait plus prometteuse. En plein boom de la location de deux-roues électriques, un secteur qui prenait son envol dans toute l'Europe, l'idée est apparue que LuckaBox pourrait prendre en charge la logistique de scooters urbains. Entretien, recharge, positionnement: sous l'impulsion du savoir-faire logistique des fondatrices de LuckaBox, l'opération a été réalisée en collaboration avec des sous-traitants.
Cela s'est vite transformé en fiasco. Avec le spin-off Sweeep, spécialisé dans la micro-mobilité, Aike Festini et Maite Mihm se sont retrouvées dans une spirale infernale. Elles étaient tombées dans un «bassin de requins», selon Aike Festini. Les entreprises de location de scooters électriques ne payaient parfois pas les factures de Sweeep, ce qui a eu pour conséquence que cette dernière ne pouvait pas payer ses sous-traitants. «On nous a imposé des contrats d'adhésion que nous ne pouvions satisfaire», relève Aike Festini.
Le triomphe prévu dans toute l'Europe s'est transformé en hypothèque. Avec en plus une image négative, car des sous-traitants escroqués se sont manifestés publiquement dans la presse. LuckaBox se retrouve alors rapidement en manque de liquidités. S’ensuit un «down round»: pour la première fois, l'entreprise est évaluée plus bas par les investisseurs que lors du tour précédent. Un poison pour tout plan de croissance et pour toute perspective de trouver de nouveaux investisseurs.
«Nous pensions avoir trouvé la poule aux œufs d'or»
Rétrospectivement, Aike Festini admet qu’elle avait dès le début un mauvais pressentiment. Mais les perspectives étaient tout simplement trop alléchantes. «Nous pensions avoir trouvé la poule aux œufs d'or, dit-elle. Sur notre table, il y avait des contrats de plusieurs millions pour toute l'Europe.» Ce qui conduit les fondatrices sur la mauvaise voie: «Nous étions trop avides. Nous avons perdu le focus. La cupidité nous a rendues malades.» Elle poursuit: «En tant que start-up, tu dois te concentrer sur une chose.» Il est néanmoins possible de changer quelques vis de réglage à l'intérieur de cette orientation, faire ce qu'on appelle un pivot. «Ce qui ne va pas, c’est de vouloir faire deux choses différentes en parallèle.»
Alors qu’Aike Festini se sort tant bien que mal de cette histoire de scooters et recentre LuckaBox sur son modèle d’affaires initial, l’entreprise peut se diriger fin 2021 vers une nouvelle augmentation de capital. Depuis 2017, la start-up avait levé 4 millions de francs, une nouvelle levée était à présent prévue, qui aurait dû apporter 3,2 millions de francs d'argent frais. Un pas en avant décisif. LuckaBox avait besoin de cet argent pour ses projets futurs et pour ses affaires courantes: «Nous avions à l'époque un burn rate de 120 000 à 130 000 francs par mois, explique Aike Festini. Nous commencions à manquer d'argent.»
Mais le tour de financement de plusieurs millions était placé sous une mauvaise étoile. Le down round précédent n'a pas servi la cause. De plus, les investisseurs n'ont pas apprécié que la cofondatrice Maite Mihm, épuisée par l'aventure des scooters, se soit retirée de son rôle opérationnel chez LuckaBox pour occuper un poste au conseil consultatif. Pour les bailleurs de fonds, il semblait que le management s'effritait. «Nous n'avons pas suffisamment positionné LuckaBox comme un modèle purement numérique», analyse Aike Festini. En d’autres termes: au lieu de miser sur des revenus transactionnels par commande effectuée, l'entreprise aurait mieux fait de passer à un modèle d'abonnement. Cette approche suscite généralement plus d'intérêt chez les investisseurs qu'un modèle transactionnel, car elle promet des revenus plus réguliers et plus prévisibles.
Une course contre la montre
La fin de l’histoire est mouvementée. Un investisseur principal a pu être trouvé, mais ce dernier souhaitait compter sur un deuxième investisseur principal à ses côtés. Il y aurait bien eu des candidats, mais ils n'étaient pas compatibles avec les conditions du premier investisseur. Le temps pressant, Aike Festini convoque une assemblée générale extraordinaire. Un nouvel espoir naît lorsqu’une entreprise souhaitant reprendre LuckaBox se manifeste. Mais l’espérance est vite enterrée lorsque l'on s'aperçoit que la société avait elle aussi un déficit de trésorerie.
«C'est à ce moment-là que j'ai compris que la situation devenait très sérieuse, se souvient Aike Festini. Les investisseurs existants nous ont toujours soutenus et nous ont parfois apporté de l'argent en toute simplicité. Mais cela ne suffisait pas à la longue.» Initialement prévu pour la fin de l'année 2021, le tour de financement tombe à l'eau. Aike Festini s'est battue jusqu'au bout, sans résultat tangible. Alors qu'il ne restait plus que 30 000 francs disponibles, elle décide de tirer la prise. Elle informe les investisseurs et les clients, puis licencie le personnel.
On ne peut pas lui reprocher une insouciance de jeunesse. Lors de la création de LuckaBox, elle avait 37 ans, un Executive MBA et de l'expérience à de nombreux postes. Lorsqu'elle a fondé sa société en 2017, elle savait que monter une start-up, au-delà du glamour de la vie d'entrepreneur, des moments de réussite euphorisants et des discussions insouciantes avec le personnel autour d'une «currywurst» à midi, pouvait se révéler difficile.
La désillusion subsiste: «Ma vision du monde des start-up a toujours été que deux sortes de personnes se mettent en réseau. Celles qui ont des idées et celles qui ont de l'argent. Au final, c'est l'argent qui gouverne le monde des start-up. L'argent est toujours plus important que l'idée.» Ce qui peut avoir un effet euphorisant dans les périodes de succès, noircit le tableau dans les mauvais moments: «Tu es constamment en mode pitch. Tu cours toujours après le fric. Il est difficile de ne pas désespérer dans un milieu où tu es constamment comparé aux meilleurs du monde. La carotte est toujours super loin. Tu ne l'atteindras jamais.»
Ce qui attriste le plus Aike Festini au terme de cette aventure ratée? «L'équipe s'est donnée à fond, a partagé un rêve avec nous, les fondatrices, et a été amèrement déçue. De plus, je suis désolée pour les investisseurs providentiels qui ont perdu beaucoup d'argent privé.»
Nouveau travail et projet de livre
Alors plus jamais de start-up? Le constat est évident lorsqu’on entend Aike Festini dire comment le fait de parler sans cesse du glamour de l’entrepreneuriat lui donne «la nausée». Elle relativise un peu: «Le monde des start-up est fascinant et culte. Mais aussi sectaire.»
Aujourd'hui, Aike Festini a un nouveau travail. Parallèlement, elle gère la faillite de LuckaBox. Par ailleurs, l'ex-entrepreneuse veut écrire un livre: «L’ouvrage que j'aurais aimé avoir en tant que fondatrice.» Un guide pour les jeunes entrepreneurs, dit celle qui a dû enterrer sa propre start-up. Elle ne sait pas encore si elle détient toutes les réponses. Mais la question principale à laquelle le livre devra répondre est certaine: «Comment peux-tu réaliser ta vision sans en périr toi-même?»