«L’open innovation, c’est impliquer un partenaire externe dans un processus d’innovation. Cela peut être un client, un fournisseur, une école», résume Marc Pauchard, directeur de la division transfert de savoir et coopération internationale chez Innosuisse. A noter que ce modèle collaboratif se différencie ainsi d’un simple développement demandé par un client ou d’une enquête de marché. Il doit véritablement y avoir un partenariat et un gain pour tous les partenaires. C’est le cas notamment entre la PME Bergeon, 230 ans au compteur, qui s’est liée à la start-up SAVinsight. L’une vend des outillages pour l’horlogerie et l’autre est spécialiste du service après-vente pour les marques.
Autre exemple: la start-up Gjosa a développé avec L’Oréal une douche écologique incluant des lotions capillaires. Enfin, Nespresso et la plateforme Reversed ont lancé une collaboration où le CEO du groupe lui-même et des étudiants de l’EPFL, de l’IMD et de l’Unil co-inventent les produits de demain. Deux talents passeront ensuite une semaine à échanger avec Guillaume Le Cunff, CEO de Nespresso. L’innovation ouverte, perspectives et conseils en six points.
1. Une tendance?
«Les collaborations entre entreprises en matière d’innovation sont clairement en augmentation», observe le membre de la direction d’Innosuisse, qui recense 887 demandes de projets d’innovation nationaux en 2021, dont 438 approuvées. La pointe de l’iceberg, puisque tous les projets ne passent pas par l’agence étatique. «La question que doit se poser l’entrepreneur est quelle opportunité il rate s’il ne conclut pas de partenariats, ajoute Marc Pauchard. Une entreprise seule n’est plus à même de tout résoudre. Elle se doit désormais de chercher des cercles vertueux.» Même l’horlogerie, d’ordinaire conservatrice, brise les habitudes. «On observe un changement fondamental dans les métiers de l’horlogerie, avec notamment l’émergence des montres second hand, relève Vladimir Zennaro, CEO de Bergeon. Cela implique des services nouveaux avec des collaborations et un esprit ouvert d’innovation.»
2. Quels avantages?
Le besoin de compétences qui n’existent pas en interne, accroître son marché et créer des produits pour les générations futures sont les principaux moteurs pour faire recours à de l’open innovation. «Ce type de projet permet de rompre la relation client--fournisseur pour nouer un partenariat avec plus d’échanges», explique Bérangère Boetsch, cheffe d’un projet NTN Innovation Booster (proposé par Innosuisse) sur la gravure avec CP Automation, Straumann, Swissmec et Trumpf notamment.
Aller plus loin et être plus agile. C’est ce qu’apprécie Luc Amgwerd, cofondateur de Gjosa. «L’Oréal a certaines compétences en matière de chimie et un marché large. En travaillant avec Gjosa, la marque peut compter sur notre savoir-faire technique tout en profitant d’un petit bateau agile. Nous cherchons et avançons ainsi de manière flexible et rapide.» Même enthousiasme chez Bergeon, qui décrit ces collaborations comme un «excellent levier de progression pour les entreprises». La PME en a d’ailleurs fait son ADN en créant les Industriels des Sentiers, une dizaine de sociétés matures hébergées sous un même toit à La Chaux-de-Fonds.
3. Quid du timing?
L’open innovation, c’est combiner plusieurs temporalités. Cette méthode permet d’avancer vite pour avoir une première vue d’ensemble avant de s’engager véritablement dans un projet. C’est l’occasion de faire sortir des questions auxquelles on n’avait jamais pensé: une sorte de brainstorming entre experts et partenaires. Pour accélérer encore la dynamique, certaines entreprises recourent à des hackathons ou à des tournois d’innovation, à l’image de Decathlon.
Passé cette phase initiale, la collaboration exige cependant parfois de la patience. «Les habitudes administratives et les étapes de validation sont plus longues lorsqu’on travaille avec une grosse structure», note Luc Amgwerd. Pour maîtriser ce temps après lequel court chaque entrepreneur, Reversed a conçu une méthodologie très stricte, comme l’explique le fondateur, Maxime Dumont: «Le découpage temporel est très précis: cinq fois trois heures, incluant des séances d’optimisation pour avoir un contenu de qualité lors des moments clés avec le top management.» Une piste à suivre.
4. Quels risques?
Ouvrir ses portes à un partenaire, c’est aussi s’exposer à une culture d’entreprise différente, des critiques, voire des imbroglios juridiques. La taille des partenaires joue aussi un rôle.
Le conseil: «Des déséquilibres existent, cela fait partie du jeu, mais il faut trouver des accords clairs dès le début et ceux-ci ne doivent pas passer en force», prévient Marc Pauchard.
«Il faut bien répartir les droits de propriété intellectuelle, définir les attentes respectives à court et à long terme, ne pas dire qu’on peut tout faire au risque que derrière rien ne fonctionne», confirme le CEO de Gjosa.
«Concernant la différence de taille, chacun a des réalités différentes. Je suis à l’aise dans mon rôle de David qui collabore avec Goliath. Et parfois, il faut savoir mettre les choses à plat.» Dans le cas de la start-up biennoise, celle-ci a signé un contrat d’exclusivité de sa technologie dans le secteur cosmétique. Elle est libre de continuer à développer sa douche écologique pour les autres secteurs.
Travailler avec des start-up peut donner envie à certains collaborateurs de créer leur propre structure et de démissionner, comme le relève Vladimir Zennaro: «Bien sûr, c’est quelque part une perte, mais d’un autre côté, cela valorise Bergeon, qui se positionne comme un bourgeon qui fait naître d’autres start-up.»
5. Quelles limites?
On l’a dit, poser le cadre est essentiel. Concrètement, il faut «définir le rôle de chacun, ce qui sera précisément développé et comment le succès sera partagé», insiste Marc Pauchard. Par ailleurs, avoir une culture du management similaire est clairement un atout. «Avec L’Oréal, on partage les mêmes ambitions quant à la nécessité de réduire notre empreinte hydrique. De plus, le groupe a cette culture de l’innovation ouverte. Mais cela ne signifie pas tout mettre en libre accès. On reste très attentifs à la confidentialité», précise Luc Amgwerd.
Le conseil: Attention lors des collaborations en open source, le partage libre de données est très fréquent en innovation ouverte. Il y a toujours le risque de s’appuyer sur des documentations ou interfaces contenant des vulnérabilités en termes de sécurité ou de malfaçon.
6. Quels outils?
La viabilité, la faisabilité technique et la désirabilité («Cela répond-il à une demande et quel problème résout-on?») sont trois paramètres essentiels à l’innovation. Innosuisse propose plusieurs outils, dont le NTN Innovation Booster. L’agence a soutenu en 2021 des projets interdisciplinaires qui ont généré 170 idées, dont 57 sont poursuivies. Plus de 5000 participants y ont contribué.
Chaque canton a également ses propres aides à l’innovation ouverte, que ce soit grâce à des parcs technologiques ou à des financements. Citons par exemple le Knova, programme d’accélération des partenariats (EPFL), ou le Smart Living Lab à Fribourg pour les projets d’efficacité énergétique.
Parmi les outils d’open innovation à connaître, GitHub est une plateforme d’échange d’informations et de documents en open source, pour la programmation notamment. Pour la collecte d’idées et évaluer un concept, le crowdsourcing et le crowdfunding sont de bonnes options. Laurent Balmelli, spécialiste en innovation enseignant en Suisse et au Japon, suggère Innocentive pour résoudre les défis de l’humanité, CrowdSpring pour son image de marque ou Kaggle dans les data sciences et le machine learning, ainsi que les très populaires Kickstarter et Indiegogo.
La pénurie de composants pèse sur les entreprises romandes
De nombreuses sociétés spécialisées dans le domaine de l’électronique éprouvent de plus en plus de difficultés à se faire livrer. Les délais s’allongent et les prix grimpent. Témoignages. Par William Türler
La pénurie de composants électroniques se fait durement ressentir, que ce soit dans l’industrie automobile internationale ou auprès de petites entreprises romandes actives sur des marchés de niche. Les raisons sont multiples et s’accumulent, provoquant une réaction en chaîne. Pour résumer, la pandémie a provoqué la fermeture de nombreuses usines en Asie, ce qui a incité des géants comme Samsung, Apple ou Huawei à constituer d’énormes stocks de composants, siphonnant ainsi le marché mondial.
«C’est comme une vague qui vous arrive dessus», résume Benoît Dagon, fondateur d’Imina Technologies, une start-up vaudoise spécialisée dans la microrobotique comptant une quinzaine d’employés. L’impression est la même pour Dominique Valantin, responsable du développement des marchés chez Hybrid, une société neuchâteloise employant 55 personnes active dans l’assemblage de modules électroniques: «Nous ne sommes plus sous la menace d’une pénurie, mais en plein dedans.»
Prix multipliés par...200
Depuis deux ans, il constate un net allongement des délais de livraison: «Pour les puces, nous sommes passés de un à deux mois à plus d’une année!» Les prix ont par ailleurs fortement augmenté. Pour certains composants, ils ont pu être multipliés par... 200. «Afin de pouvoir garantir une capacité de fabrication d’une année, nous avons demandé à certains de nos clients la possibilité d’acheter plus que nécessaire», dit-il, conscient qu’il s’agit là d’un cercle vicieux tendant à renforcer le phénomène.
Fondatrice de la start-up fribourgeoise Mobbot, qui propose une technique basée sur l’automation et la robotique permettant de réduire de 25% la consommation de béton, Agnès Petit, tout comme son équipe d’une dizaine de collaborateurs, ressent également de plein fouet cet assèchement: «Cela nous oblige à reporter certains projets et à en développer de nouveaux, davantage basés sur le software ou le cloud», dit-elle. A cela s’ajoute un autre manque, moins lié à la crise: celui des talents. «La Suisse forme d’excellents ingénieurs, mais nous manquons cruellement d’esprit entrepreneurial, contrairement aux pays anglo-saxons. Cela m’inquiète pour les années à venir.»
La problématique ne s’arrête pas là. On observe une situation similaire dans le secteur du bois ou celui du ciment par exemple, ce qui tend à démontrer une complexification croissante du système logistique mondial. Pour ce qui est des composants électroniques, différents remèdes peuvent être envisagés: diminuer la consommation globale, garder plus longtemps ses appareils électroniques, ouvrir de nouvelles usines en Europe ou utiliser des composants recyclés. Benoît Dagon propose une solution plus originale: créer un fonds mutualisé, une sorte de bibliothèque de composants commune, dans laquelle les PME locales pourraient s’approvisionner, évitant ainsi de se retrouver démunies dans le cas d’une nouvelle pénurie mondiale.
«Les possibilités sont innombrables»
Les jumeaux numériques sont des représentations digitales extrêmement précises de systèmes complexes. Explications de Jan Kerschgens, du Centre pour les systèmes intelligents de l’EPFL. Par William Türler
Qu’entend-on exactement par jumeau numérique?
Pour résumer, il s’agit d’une représentation digitale d’un objet, d’une installation ou d’un processus d’entreprise avec laquelle on peut travailler. Grâce au machine learning, à des capteurs et à des puces connectées, on peut créer un modèle et le tester en temps réel, puis l’ajuster et faire des prédictions. Le but est d’avoir une vision holistique du système.
Quelles sont les applications possibles?
Dans la santé, on peut créer le jumeau digital d’un être humain avec des capteurs qui détectent des paramètres biologiques et permettent d’effectuer un suivi du patient. Sur un site de production, les jumeaux numériques peuvent aider les entreprises à améliorer leurs processus. Dans la construction ou l’aérospatiale, ils se révèlent très utiles pour penser au design futur des bâtiments ou des installations. Autre exemple, en matière de climat: l’aide à la réalisation des prédictions ou des recommandations sur une ville, une région, voire un pays ou le monde entier.
Concrètement, que peuvent amener ces modèles aux entreprises?
Aujourd’hui, grâce à l’amélioration de la puissance de calcul et à l’avancée dans le domaine des capteurs, de l’algorithmique et de la connectivité, on assiste à un essor de cette technologie. Les avantages sont nombreux en gain de temps, d’énergie, de sécurité et d’économies. Une banque peut améliorer ses processus digitaux, une usine sa chaîne de fabrication, une société aéronautique peut réaliser les plans d’un avion et les optimiser avant de le construire. Dans la pharma, on peut même imaginer de pouvoir analyser des réactions chimiques, sans avoir besoin de mélanger des éléments. Les possibilités sont innombrables.
Pandémie, inflation et, depuis quelques semaines, guerre en Ukraine. Le tout sur fond de réchauffement climatique et de cyberinsécurité. Dans ce contexte anxiogène, où aller puiser la créativité pour innover dans son entreprise? Comment mobiliser ses employés? Comment allier numérisation accrue et protection de l’environnement? Comment s’en sortir malgré les pénuries qui se multiplient? La conférence Forward se propose d’évoquer ces différents thèmes le 9 juin prochain au SwissTech Convention Center à l’EPFL.
Durant la séance plénière du matin, des personnalités fortes de l’économie suisse, comme l’homme d’affaires Etienne Jornod, président d’OM Pharma et de la NZZ, viendront partager leurs expériences et distiller leurs conseils pour maintenir le cap malgré les difficultés actuelles. De nombreux entrepreneurs actifs dans différents domaines parleront également de leurs expériences en matière de cybersécurité, de pénuries de composants et de bien d’autres thèmes. L’après-midi, plusieurs sessions thématiques permettront d’approfondir certains thèmes spécifiques.
La conférence Forward organisée conjointement par l’EPFL, Le Temps et PME réunit chaque année environ 1000 participant. Cette prochaine édition se tiendra le 9 juin 2022 de 9 h 30 à 16 h 30 au SwissTech Convention Center (EPFL).
>> Inscription et programme de Forward, le 9 juin, au SwissTech Convention Center, Lausanne.