Un nouvel échiquier des droits de retransmission du sport se met en place. Sunrise UPC (MySports), détenteur des droits exclusifs de la National League de hockey sur glace, a signé un accord avec les télévisions régionales Léman Bleu, TV24 et Teleticino. Dès septembre, on ne suivra plus la rondelle en direct sur le service public (SSR-RTS). Une évolution dans les droits TV sportifs qui touche également les autres sports (lire encadré). Quel impact a cette redistribution des cartes pour chaque acteur?
On pensait que la nouvelle allait faire bondir les fans de hockey. Or il n’en est rien. Yvan Kohli, un proche du Lausanne Hockey Club (LHC) et de Gottéron qui s’occupait des droits TV pour Canal+, évoque une évolution normale du marché: «Il y a eu très peu de réactions sur le forum du LHC. Les vrais fans de hockey sont déjà tous abonnés à MySports. La qualité des commentaires est incomparable, avec Stéphane Rochette qui maîtrise parfaitement son sujet. Tout comme pour Netflix pour regarder des films, on s’abonne à une chaîne sportive pour suivre son sport favori.»
La SSR aurait-ekke dû surenchérir?
Constat similaire de la part de Laurent Claude, président de plusieurs comités d’organisation d’événements sportifs. «Le format du sport doit se réinventer. Il n’y a rien de plus fort que de vivre le Tour de Romandie dans le peloton. Pour le hockey ou le football, les spectateurs veulent désormais entendre clairement les arbitres, les coachs et se sentir au cœur de l’équipe. Les Etats-Unis testent du reste les stades connectés, dans lesquels on peut choisir l’angle de la caméra», mentionne-t-il. La F1 a su mener cette réflexion, ce qui explique en partie le succès de la série documentaire Formula 1 sur Netflix et le regain d’intérêt pour ce sport.
Chaque club de National League (NL) reçoit près de 2 millions de francs par an pour les droits TV achetés par Sunrise UPC. Un montant qui n’a pas évolué ces cinq dernières années. «C’est la tendance de voir de grands groupes comme Sunrise UPC racheter des droits TV. Ils sont libres ensuite de les revendre à qui ils veulent. Ce sont des acquisitions stratégiques et nous, on ne peut que respecter leur décision. Cela n’a aucun impact sur notre organisation», ajoute Chris Wolf, CEO du LHC.
La SSR aurait-elle dû surenchérir? «S’ils ont raté la négociation pour 10 000 francs, ça fait mal, mais si c’est pour un demi-million, on doit aussi laisser la place aux autres sports. Ce qui m’intéresse, c’est de faire venir les gens à la patinoire», conclut-il. Quant au HC Fribourg-Gottéron et au Genève-Servette HC, ils ont refusé de commenter, malgré plusieurs sollicitations. En coulisses, quelques sponsors des clubs disent regretter cette nouvelle donne et vouloir aborder la question cet automne.
Une opportunité pour les clubs?
Laurent Kleisl, rédacteur en chef du Journal du Jura et spécialiste du HC Bienne depuis vingt-cinq ans, y voit même une opportunité. «Les clubs pourraient y gagner en visibilité. Il n’y avait pas énormément de matchs de NL en direct à la RTS, ce n’est pas leur rôle, appuie-t-il. Désormais, les téléspectateurs auront l’occasion de voir plus de matchs en direct sur les TV régionales ou le site internet Blick.ch. On consomme différemment le sport, qu’il soit national ou régional. Les téléspectateurs ont pris l’habitude de jouer avec plusieurs plateformes.»
Léman Bleu a été retenue comme diffuseur Free-TV exclusif en Suisse romande pour les cinq prochaines années. Pourtant, le budget annuel total de Léman Bleu ne dépasse pas les 6 millions de francs. «Ce n’était pas gratuit, mais Sunrise UPC savait que nos moyens étaient limités. Ils ne sont pas les prédateurs cupides que certains décrivent. J’ai senti une vraie envie de collaborer», appuie Laurent Keller, directeur et rédacteur en chef de Léman Bleu.
Pour assurer les directs et capter des parts de marché, la chaîne basée à Genève a signé le consultant Laurent Perroton, apprécié au-delà du bassin lémanique. Désormais, le budget hockey dépasse de 20 à 30% celui du foot. Par ailleurs, Léman Bleu a construit depuis des années une communauté de fans de sport sur les réseaux sociaux, avec notamment 100 000 abonnés sur Facebook. «C’est déjà là que le travail d’audience commence, avant le match», glisse Laurent Keller.
La revanche des télévisions locales
Peut-on parler de revanche des télévisions locales? «J’observe qu’il y a une évolution dans la diffusion du sport et je suis heureux de faire partie du mouvement, sourit Laurent Keller. Ce qui est intéressant, c’est qu’on ne récolte pas que les miettes. Et cela ne touche pas que le hockey. Il y a cinq ans, on a eu les droits TV de la Coupe de l’America, pour lesquels nous n’avions rien payé à l’époque. Il y a une volonté de visibilité de la part de tous les sports. C’est pareil pour la Laver Cup en tennis. On a drainé bien au--delà de la Suisse romande, avec des audiences de 250 000 téléspectateurs sur un seul match. On occupait 30% de parts du marché, même devant des chaînes suisses ou françaises telles que TF1.» C’est à la suite de cette expérience de la Laver Cup que Léman Bleu a été repérée par Sunrise UPC.
Si le groupe ne communique pas de chiffres précis, Séverine de Rougemont, spécialiste communication pour Sunrise UPC, se réjouit de l’évolution de MySports: «Depuis son lancement en 2017, MySports connaît une croissance continue du nombre d’abonnements, avec une moyenne de +30% par an.» Concernant la surenchère des droits TV dans différents sports, Séverine de Rougemont ne confirme pas une explosion des montants demandés par les clubs telle qu’observée en France ou ailleurs en Europe. En revanche, dit-elle, «on constate une augmentation des offres et des fournisseurs».
«On perd une quinzaine de soirées par saison pour le hockey. On aura toujours les résumés lors des journées de championnat, mais nous ne pourrons pas régater avec ceux qui ont les droits TV, explique Massimo Lorenzi, rédacteur en chef des sports à la RTS. Cela étant, nous avons étoffé notre offre sur la couverture de l’équipe nationale de hockey. Le budget de la SSR pour les droits TV est de 45 millions de francs par an. On ne pouvait pas consacrer une somme déraisonnable pour un seul sport.»
Une tendance dangereuse pour les sports
Quid de l’économie faite en renonçant à la National League? «L’économie, toute relative, ira en partie dans le renouvellement d’autres contrats dont le prix augmente sans cesse. Elle permettra également de couvrir d’autres sports, comme l’Euro féminin de foot cet été, par exemple», annonce-t-il.
La tendance actuelle serait toutefois dangereuse pour le sport en général. «Les grands clubs sont devenus si cupides qu’ils poussent à la privatisation du sport. Le choix devient uniquement financier. A terme, les clubs vont perdre en visibilité. Cela risque de couper le sport du grand public», estime Massimo Lorenzi. Un exemple récent illustre ses propos et les effets collatéraux possibles: les droits TV de l’équipe de France de football ont peiné à trouver un repreneur ce printemps, le marché des Bleus n’étant désormais plus si rentable.
Amazon Prime Video et les «night sessions» de Roland-Garros
Exemple criant de l’intérêt des GAFA pour ce marché, les «night sessions» de Roland-Garros, dont le très convoité quart de finale Nadal-Djokovic, le 31 mai dernier, n’étaient visibles, depuis le territoire français, que sur Amazon Prime Video. Les non-abonnés avaient la possibilité de bénéficier d’essais gratuits, ce qui peut être vu comme un produit d’appel pour le service de vidéo à la demande (ou une manière de capter un maximum de datas). Pierre Maes, expert des droits TV sportifs en Europe, parlait déjà de bulle spéculative en 2019 et des dangers de la hausse des droits TV du sport, avec notamment l’arrivée d’investisseurs étrangers. On y est.