Dans les années 1980, sur les chantiers helvétiques, le «tout à la décharge» laisse peu à peu la place au tri des déchets. Quarante ans plus tard, c’est un nouveau tournant qui est escompté en Suisse, celui du réemploi. Plutôt que d’être détruit par broyage ou concassage afin d’en retirer la matière première, comme cela se fait dans le recyclage, l’élément de construction est réutilisé dans sa forme d’origine ou adapté pour sa nouvelle fonction. «Il conserve l’intégralité de l’énergie et du savoir-faire investis dans sa fabrication», mentionne l’entreprise zurichoise Salza dans un rapport réalisé pour l’Office fédéral de l’environnement. Un évier, un radiateur, une fenêtre, mais aussi un parquet ancien ou une poutre peuvent ainsi être réintégrés dans un nouveau projet immobilier.

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En 2022, tous les signaux en faveur du réemploi sont au vert, estime Mélissa Vrolixs, fondatrice du bureau d’architecture Marginalia à La Chaux-de-Fonds. «La pénurie de matériaux actuelle rend toujours plus logique la réutilisation de matériaux existants. Si une pression politique était, en outre, exercée dans certains cantons (le conseiller d’Etat genevois Antonio Hodgers souhaite par exemple rendre la récupération obligatoire d’ici à 2035, ndlr) et si des certifications, comme les labels Minergie, tenaient davantage compte de l’énergie grise sauvegardée grâce au réemploi, on assisterait à une généralisation de ces pratiques.»

Le chiffre La Suisse dispose d’un gisement important en la matière, avec 3000 à 4000 démolitions et 17 millions de tonnes de déchets de déconstruction par année.

Dresser un inventaire de ce qui peut être sauvé de la destruction est, en matière de réemploi, la principale activité menée au bureau neuchâtelois. «Lorsque nous recevons un mandat pour une rénovation, nous commençons par identifier tout ce qui peut être mis en valeur dans l’existant, détaille Mélissa Vrolixs. Nous contactons ensuite l’entreprise Syphon, basée à Bienne, spécialisée dans l’économie circulaire, pour les éléments qui ne peuvent pas intégrer le projet.»

L’entreprise nettoie, teste la qualité des éléments de construction et les propose à des maîtres d’œuvre et particuliers en direct ou sur le site internet Useagain.ch. «Syphon établit généralement un devis avec le prix escompté de la revente des pièces, ainsi que le coût pour le démontage et le transport jusque dans ses locaux. Nous proposons cette variante à nos clients, qui l’acceptent généralement, car elle est plus rentable ou égale au coût de la démolition, des taxes de bennes et de décharge.»

Exemple avec la caserne des Vernets, à Genève

Grande entreprise du bâtiment située à Berne, Losinger Marazzi a mené plusieurs projets de réemploi. «Lors de la démolition de la caserne des Vernets à Genève, par exemple, nous avons mené un audit pour identifier tout ce qui pouvait être réemployé, en partenariat avec l’association genevoise Materiuum et la fondation vaudoise Pro Travail», explique Lennart Rogenhofer, Chief Climate Officer.

Les deux architectes d’intérieur Valentine Maeder et Manon Portera, fondatrices d’Apropå à Genève, proposent systématiquement à leurs clients une part de réemploi dans leurs aménagements. «C’est un processus de travail très différent. Plutôt qu’un plan détaillé, comme cela se fait traditionnellement en architecture, nous élaborons une esquisse de l’aménagement du futur lieu avec nos clients. Nous recherchons ensuite les matériaux disponibles dans notre réseau: ressourceries, entreprises de démolition, magasins de seconde main, etc. C’est seulement une fois la matière identifiée que nous précisons l’entier du projet, comprenant les pièces dénichées et leurs éventuelles adaptations.» Le duo, qui partage son savoir sur la circularité aux étudiants de la HEAD, a récemment appliqué ce processus au nouveau centre culturel des 6 Toits de la ville de Genève.

Le projet «Nous avons employé différents marbres de réemploi dans es cuisines, par exemple, et d’anciens vestiaires pour les loges», expliquent Valentine Maeder et Manon Portera.

Le marché romand du réemploi est relativement petit en comparaison avec celui de pays comme la Belgique ou la France. «Pour que l’écologie rejoigne l’intérêt économique dans ce type de démarches, il faudra passer à une économie circulaire de grande ampleur en Suisse, avec des infrastructures adaptées, précise Lennart Rogenhofer. L’un des principaux défis du réemploi est, en effet, de faire se rencontrer l’offre et la demande dans le temps et dans l’espace.» Pour Mélissa Vrolixs, outre ce frein logistique, il y a des obstacles normatifs ainsi qu’idéologiques. «Les professionnels comme les clients préfèrent souvent du neuf et ne sont pas forcément sensibles à la réduction de leur empreinte carbone.»

La révolution du réemploi, c’est aussi «penser à la réutilisation dans cinq, dix ou cinquante ans des matériaux, et ce, dès le développement des produits et lors de la construction, résume Lennart Rogenhofer. Par exemple, plutôt que de coller ou de souder, les pièces seront vissées ou imbriquées pour pouvoir être démontées et réutilisées plus facilement.»