Fédérer des compétences en Suisse et à l’international dans le domaine de la micromécanique, que l’on parle d’horlogerie, de medtech ou de précision high-tech: voilà le projet du groupe jurassien Acrotec. Créé en 2006 avec l’acquisition initiale de Vardeco, une société basée à Develier (JU) active dans le décolletage, il compte aujourd’hui une trentaine de sociétés, dont quatre sont venues s’ajouter à la liste cette année.
Au total, le groupe compte 1500 clients pour lesquels il travaille en tant que sous-traitant, notamment les principales manufactures horlogères suisses, mais aussi de grosses sociétés électroniques internationales comme Tyko et des firmes de medtech telles que Stryker ou Johnson & Johnson. Il est aussi présent dans l’automobile et l’aéronautique. Acrotec, qui compte à ce jour environ 2400 collaborateurs et possède 2600 machines, est actif dans une cinquantaine de pays pour un chiffre d’affaires qui s’est élevé l’année dernière à 440 millions de francs.
Diversification dans la micromécanique
«Notre fil rouge, c’est la diversification dans la micromécanique, souligne le fondateur et CEO d’Acrotec François Billig. Il y a beaucoup de similitudes entre l’horlogerie et le médical, où la plupart des composants sont miniaturisés. Notre objectif consiste à créer des synergies de savoir-faire et de marchés, grâce à un modèle fédéraliste, où chaque dirigeant conserve son indépendance.» Ces derniers sont d’ailleurs tous actionnaires du groupe, la majorité étant détenue par la société de gestion d’actifs américaine Carlyle.
Dans le détail, la division horlogerie et joaillerie (composants mouvement et habillage, machine et outillage, traitement de surface et décoration) représente 51% du chiffre d’affaires, la medtech (implants, instruments, pompes) 25% et la précision high-tech (connectique, automobile, aéronautique et défense) les 24% restants. L’expertise du groupe consiste dans le décolletage, mais aussi dans le fraisage, le taillage, l’assemblage, le traitement thermique et de surface, le polissage, le gravage, la microdécoupe laser ou le laminage.
«Notre développement a débuté dans le domaine horloger, poursuit François Billig. Nous avons constaté que ce secteur n’était pas épargné par les crises et les cycles, d’où notre volonté de nous diversifier, tout en restant dans notre métier de base. Le but était aussi de ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier.»
Anciennement associé de KPMG et CEO d’entreprises dans la construction et le textile, ce Français d’origine, formé en économie et comptabilité, s’est toujours senti redevable envers le Jura, son canton d’adoption, où il est arrivé par hasard à la fin des années 1990, suite à une rencontre avec un entrepreneur local actif dans le décolletage, dont il a acheté l’entreprise.
Un attachement qui le pousse à vouloir garder tous les sites de production des entreprises du groupe dans leur lieu d’origine, tout en œuvrant à leur développement, et à conserver le siège à Develier. «Je ne souhaite pas trahir les chefs d’entreprise qui m’ont fait confiance et m’ont aidé à développer nos activités, dit-il. De plus, il n’y a pas de meilleur ambassadeur qu’un membre satisfait.» A noter que l’ensemble des dirigeants qui ont rejoint le groupe sont toujours présents ou représentés par leur successeur.
Une croissance externe et organique
Signe d’une bonne gouvernance, Acrotec est lauréat 2022 du programme Switzerland Best Managed Companies. Lancé il y a plus de vingt-cinq ans par Deloitte pour distinguer les entreprises privées les mieux gérées dans plus de 20 pays, il est constitué d’un jury d’experts indépendants issus du monde économique et universitaire suisse, qui a reconnu les qualités de gestion du groupe jurassien, notamment sa capacité à associer sa croissance externe et organique.
«En France, tout est centralisé, ce qui n’est pas toujours un gage de performance, estime François Billig. En Suisse, j’ai découvert le modèle fédéraliste. Toutes proportions gardées, je souhaite appliquer cette idée à notre groupe et assurer l’autonomie et l’indépendance aux dirigeants qui font le choix de nous rejoindre. De plus, ce modèle nous assure une grande flexibilité et beaucoup de réactivité. Nous l’avons vu, par exemple, lors de la crise du covid, que nous avons pu surmonter sans trop de dégâts, en développant notamment une société de R&D transversale.»
En résumé, cette organisation laisse une place importante à l’innovation, tout en offrant une bonne garantie de gestion financière. Ainsi, certains dirigeants ayant intégré le groupe peuvent assurer la succession de leur entreprise par leurs enfants, ce qui aurait pu être plus compliqué dans d’autres circonstances. En outre, des sociétés qui pouvaient être auparavant concurrentes tirent aujourd’hui à la même corde. «L’entreprise qui nous rejoint doit nous apporter quelque chose en termes de prestations complémentaires, précise le CEO. Nous ne sommes pas des prédateurs. Notre but n’est pas uniquement d’acquérir des parts de marché. Nous voulons simplement répondre à la demande de nos clients.»
Aujourd’hui, la moitié de la croissance du groupe provient des acquisitions. A terme, celles-ci devraient devenir peu à peu moins fréquentes, l’objectif étant que l’ensemble de la croissance soit interne et organique. Pour l’heure, Acrotec continue de croître, notamment à l’international et dans le domaine médical, un secteur poussé par le vieillissement de la population où le groupe adopte une stratégie de développement volontariste, par opposition aux secteurs horloger et de la précision high-tech, où la politique est davantage basée sur les opportunités.
Acrotec a par exemple acquis cette année deux sociétés médicales. Team-Metal, dont le siège se trouve à Singapour et qui servira de plateforme pour aborder le marché asiatique et donner un nouvel essor aux sociétés basées en Suisse, et Takumi, une société irlandaise (active dans le médical et l’aéronautique), qui permettra au groupe de se rapprocher de grands acteurs médicaux établis en Irlande comme Stryker ou Zimmer Biomet. Des discussions sont par ailleurs actuellement en cours pour de nouvelles acquisitions aux Etats-Unis, premier marché mondial dans le secteur médical, où Acrotec exporte, mais n’est pas encore présent.
«Notre diversification géographique est importante pour suivre les demandes de nos clients, qui souhaitent avoir des interlocuteurs actifs sur les mêmes fuseaux horaires, précise François Billig. De plus, ils voient d’un bon œil, notamment aux Etats-Unis, de collaborer avec des sociétés suisses spécialisées dans l’horlogerie. De la même manière que nous pouvons apprécier, en Suisse, un savoir-faire typiquement asiatique ou américain. Il est déjà assez difficile de trouver des compétences dans chaque marché respectif pour vouloir les importer ou les délocaliser ailleurs.»
Pour Xavier Castañer, professeur en stratégie à la Faculté des HEC (Unil), les diversifications peuvent être économiques et/ou financières. Dans le premier cas, le but peut être de mettre une ressource en commun – par exemple les R&D transversales d’Acrotec – et/ou de combiner des ressources complémentaires pour créer de la valeur. «Mais toute synergie demande une certaine intégration ou au moins une interaction des équipes, donc du temps», précise-t-il. Dans le second cas, il s’agit de réduire le risque de volatilité des revenus globaux de l’entreprise. (Photo: atelier de l’entreprise Takumi.)