Le marché suisse de la chaussure a subi une chute de 25% de ses recettes entre 2013 et 2021, pour atteindre un chiffre d’affaires de 1,52 milliard de francs, selon l’institut de recherche GfK. Dans ce contexte tendu, une entreprise est souvent citée comme ayant su maintenir le cap. Avec ses 180 collaborateurs, le groupe Aeschbach a augmenté le nombre de ses filiales en Suisse romande de 9 en 2010 à 14 en 2022, tout en poursuivant une stratégie de diversification.
Dernière initiative en date, la collaboration avec la Manufacture genevoise Bel-Air. Cette jeune équipe, qui gère un atelier de bottiers-cordonniers depuis un peu plus d’un an, fabrique des chaussures totalement made in Geneva sous la marque Monsieur O, du nom de l’arrière-grand-père fondateur Otto Aeschbach. Objectif: produire environ 400 paires par année, vendues entre 269 et 450 francs.
Ce lien avec son héritage se révèle fondamental pour cette entreprise familiale et son directeur Sébastien Aeschbach, qui partage les actions de la société avec son oncle Bernard et son père Christian: «Depuis la fondation en 1904, ce qui a toujours caractérisé notre approche a été l’agilité. Par exemple, nous faisions déjà de la livraison à domicile dans les années 1950.» Entre l’après-guerre et la fin des années 2000, le groupe a ouvert huit magasins sur la couronne genevoise et s’est diversifié dans le sport.
«A partir de 2008, nous avons poursuivi une stratégie d’expansion dans toute la Suisse romande, qui repose sur quatre piliers: la qualité de notre conseil, la possibilité de voir et de toucher les produits, la complémentarité entre physique et numérique, qui permet d’essayer le produit en boutique avant de le commander en ligne, et le lien avec notre communauté, à qui nous demandons régulièrement un retour via la méthode «Net Promoter Score», qui permet de mesurer la probabilité qu’un client recommande nos magasins.»
Pour faire face à la concurrence des géants du numérique tels que Zalando ou Amazon, Sébastien Aeschbach est catégorique: «Il est impossible de survivre dans le commerce de détail sans être agressif sur les prix. On doit s’aligner à ceux des grands acteurs.» Le directeur insiste également sur l’importance de la localisation des magasins. «Dans une ville comme Genève, cela peut se résumer à une ou deux artères clés de l’hyper-centre-ville, pas plus. Par exemple, le fait de déplacer notre magasin phare de la rue du Rhône à la rue du Marché en 2020 a résulté en une augmentation des recettes avec la clientèle touristique de 30% à l’été 2022 en comparaison de l’été 2019.»
Un site e-commerce dès 2011
Même s’il refuse qu’on décrive l’entreprise comme innovante, car «nous avons peut-être juste compris l’importance de certains outils au bon moment», Sébastien Aeschbach admet qu’elle a été l’une des premières de sa taille à lancer un site de commerce en ligne dans le secteur en 2011. «Un vrai ratage, s’amuse-t-il. C’est notamment pour cela que nous avons fait l’acquisition du site d’e-commerce Koala.ch en 2014: nous avons pu bénéficier du savoir-faire d’une entreprise qui était déjà active dans le domaine depuis quatre ans, ainsi que d’un accès au marché suisse alémanique.»
Depuis plus de dix ans, l’entreprise mise non seulement sur des prix concurrentiels mais aussi sur la durabilité. «Nous essayons de proposer toujours davantage de marques durables telles que les baskets issues du commerce équitable de Veja ou celles en matières recyclées de Zèta. Nous avons par ailleurs ouvert la première boutique de chaussures éthiques et écologiques de Suisse déjà en 2009. Je suis persuadé que la quête de durabilité que l’on observe dans la société aujourd’hui va entraîner une révolution dans les manières de consommer dont nous ne mesurons pas encore l’ampleur.»
Pour Raphaël H Cohen, formateur expert sur les questions de gouvernance en entreprise et ancien entrepreneur dans le domaine du textile: «La durabilité est en train de s’imposer comme un nouveau credo, mais c’est aussi une tendance soumise à un décalage entre ce que les gens disent publiquement et ce qu’ils font en réalité. J’observe que beaucoup de consommateurs sont prêts à «oublier» la durabilité quand le prix est «irrésistible». Or, aujourd’hui, les produits certifiés comme durables affichent des prix bien plus élevés que les autres, particulièrement en comparaison à ceux de la fast fashion. Le succès des géants du textile, tels que le chinois Shein ou l’irlandais Primark, montre que la bascule vers la durabilité est loin d’être universelle.»
Une autre particularité du groupe Aeschbach réside dans son fort ancrage local: «Nous souhaitons voir nos voisins non pas comme des compétiteurs mais comme des partenaires. Nous accueillons par exemple la chocolaterie La Bonbonnière ou le service de remise à neuf de baskets Dr. Sneakers & Shoes dans nos locaux.» L’entreprise ne prévoit pas dans l’immédiat une expansion en Suisse alémanique mais consolide sa présence locale tout en cherchant de nouvelles opportunités: déjà active dans la location de skis, elle lancera ainsi à l’hiver 2022 un service de location d’habits de ski dans deux de ses magasins genevois.
1904 Année d’ouverture du premier magasin.
180 Nombre d’employés.
>10% Pourcentage des ventes en ligne.
≈30 par an Nombre de collaborations en place (en comptant les pop-up).
1960 Année d’installation du premier toboggan (signe distinctif des boutiques de l’entreprise).