Le constat est impitoyable. La crise énergétique qui menace notre économie et nos paisibles existences nous place avec brutalité face à nos lacunes en matière d’approvisionnement, en particulier issu des énergies renouvelables. Alors que la demande explose, l’offre ne suit pas. Et c’est peu de le dire. Quand on leur soumet le chiffre de 300 000 à 400 000 postes vacants dans le secteur, les experts répondent que celui-ci est probablement sous-estimé.
«La transition nécessite de la main-d’œuvre qualifiée dans tous les métiers du bâtiment et dans tous les maillons de la chaîne de valeur de la construction. Le marché du travail est actuellement sec, à l’image des électriciens et des couvreurs ferblantiers», résume Eric Plan, secrétaire général de CleantechAlps, une plateforme de compétences et de soutien en matière de technologies propres au service des start-up et PME romandes.
20% de la population active
«Pour réussir la transition de notre économie, une règle de trois suffit, enchaîne l’ingénieur en construction durable Marc Muller. Il y a aujourd’hui 8000 personnes actives dans le solaire qui ont installé 700 MW en 2022 (1 mégawatt = 1 million de watts). Pour tenir la cadence décidée en 2017 en votation populaire, il faudrait en installer 3000. En gros, il manque 40 000 personnes à former dans ce domaine dans les cinq prochaines années.»
La démonstration du Vaudois vaut également pour les métiers du bâtiment. «Environ 120 000 salariés travaillent actuellement à assainir le parc immobilier, au rythme de 0,8% par an. Un taux, soit dit en passant, deux fois inférieur au rythme d’usure de nos bâtiments. Or il faudrait monter ce taux au moins à 4% pour tenir le zéro carbone en 2050. D’où ce calcul: 120 000 divisés par 0,8 fois 4 = 580 000. Dans l’idéal, il faudrait donc trouver ou reconvertir 460 000 personnes dans les cinq prochaines années. Soit plus d’un travailleur du pays sur dix.»
Un programme ambitieux qui passe par un financement réellement incitatif, un plan clair de formation et de reconversion aux nouveaux métiers, voire par des mesures contraignantes, concluent les deux experts, qui se rejoignent sur un autre chiffre. Selon eux, 20% de la population active devrait travailler dans les métiers de la transition à terme.
«La Suisse ne produit que le quart de l’énergie qu’elle consomme»
Le géo-économiste de l’énergie valaisan Laurent Horvath étudie depuis vingt ans l’impact des énergies sur l’économie mondiale. Le fondateur du site 2000watts.org nous livre la photographie de la situation helvétique. Sans concession.
- La situation actuelle de l’approvisionnement énergétique en Suisse
«Ce constat d’abord. En lisant les données statistiques, beaucoup de gens croient que l’électricité produite par nos barrages couvre environ 60% de nos besoins en énergie. C’est une mauvaise lecture. En réalité, l’électricité ne représente que 25% de notre consommation totale d’énergie et l’industrie hydraulique produit 60% de ces 25%. En clair, les trois quarts de l’énergie que nous consommons sont issus du pétrole, du gaz et du charbon venant de l’étranger. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, comme le prévoit la stratégie du gouvernement, ce sont donc ces 75% qu’il s’agit de remplacer. Je serais le premier à me réjouir d’atteindre cet objectif mais cela me paraît peu probable dans le temps qu’il nous reste.» - Les solutions à préconiser
«Certaines, à l’instar de l’énergie solaire, existent. Mais d’autres pas ou pas encore. Impossible par exemple de fabriquer du ciment, de l’acier, des engrais et du plastique, quatre des piliers de notre économie, sans pétrole ou sans gaz. Même constat pour la mobilité électrique. Remplacer le parc de véhicules thermiques actuel exigera qu’on multiplie par 20 l’extraction du cobalt, du nickel et du lithium. Entre autres. Du point de vue géologique, on atteint les limites. Ce n’est pas tout. Pour fabriquer toujours plus de panneaux solaires et d’éoliennes, il faut nécessairement disposer de plus de gaz et de pétrole. Problème: 70% du marché gazier est entre les mains de six pays et la Russie et l’Iran en possèdent de très loin les plus grandes réserves. De plus, on annonce le déclin de la production pétrolière pour 2026 déjà. Et reste encore une question importante en suspens: comment avoir accès à ces matières premières et à quel prix?» - Combien de temps prendra la transition?
«Difficile de se prononcer sur une estimation de temps. Ce qui est pratiquement certain, c’est qu’on n’y parviendra pas pour 2050. D’autant que nous ne maîtrisons pas les paramètres géopolitiques. Paradoxalement, nous cherchons à remplacer le pétrole et le gaz russes par des panneaux solaires chinois. Que se passerait-il si la Chine décidait d’envahir Taïwan? A dire vrai, tout le projet repose sur les quantités de pétrole et de gaz auxquelles nous aurons accès. Et, au risque de me répéter, à quel prix?» - Le nucléaire représente-t-il une alternative à prendre en compte?
«L’uranium ne sert pas à produire du ciment, du plastique, des engrais, de la chimie, qui constituent le socle des besoins en énergie de notre économie. La question du nucléaire se pose uniquement pour le domaine restreint de l’électricité. Avant de se lancer dans la construction d’une nouvelle centrale, il faut d’abord sécuriser l’accès à l’uranium. Pour un aussi petit pays que la Suisse, cela relève d’une pure illusion et d’une totale méconnaissance de la géopolitique. Il faut également se poser la question du prix de l’électricité dans dix à quinze ans. Beaucoup de scénarios penchent vers une chute des prix suite à une installation massive des renouvelables. A l’opposé, le nucléaire produit une électricité très chère. Il est difficile d’imaginer qu’une entreprise privée prenne le risque immense de financer les coûts d’une nouvelle centrale nucléaire. Considérer ce scénario est pour moi une perte d’énergie, si vous me permettez ce jeu de mots.»
Du côté des entreprises
Helion Solar Romandie
André Gomes, directeur et Head Helion Academy SuisseEnergie
«On doit aller vite, mais on ne trouve pas de personnel»
André Gomes est comme tous les directeurs des entreprises engagées dans la transition énergétique: débordé et overbooké. «Nous ne répondons plus aux demandes de soumissions des collectivités publiques, ni à celles des bureaux d’ingénieurs ou d’architectes qui ne sont pas déjà clients chez nous. Cette situation est regrettable mais il n’y a actuellement pas d’autre solution. On doit aller vite, mais on ne trouve pas de personnel qualifié», se désole-t-il.
Créé en 2008, racheté par le groupe Alpiq en 2015 puis repris par Bouygues en 2019, Helion a pourtant multiplié par cinq le nombre de ses collaborateurs au cours de ces dernières années. «De 90 salariés, nous sommes passés à 220 en 2019 puis à près de 450 aujourd’hui, dont une cinquantaine travaillent dans notre succursale d’Yverdon», détaille le directeur vaudois, qui ne s’attend bien sûr pas à ce que cette courbe exponentielle s’atténue dans les années à venir.
Face à la pénurie de personnel qualifié, la société a donc pris la seule option susceptible de garantir sa croissance: former elle-même ses futurs employés par le biais de la Helion Academy, fondée en 2019. Ses formations ne s’adressent pas uniquement aux solarteurs (installateurs de panneaux solaires). «Des chefs de projets aux RH, en passant par le personnel administratif et les marketing managers, nous sommes en mesure de former un large panel de collaborateurs. Il s’agit de formations de trois mois, qui font partie intégrante du contrat d’engagement. Elles sont dispensées à des personnes déjà diplômées ayant travaillé jusqu’ici dans des entreprises dites traditionnelles.»
Et ça marche, assure notre interlocuteur, qui situe le rythme d’intégration à 15-20 salariés par mois. «Afin d’augmenter encore cette cadence, la Helion Academy sera également accessible aux personnes désirant se reconvertir dans le solaire.»
Impact Living
Marc Muller, fondateur, ingénieur en énergies, spécialiste de la construction et de la rénovation durables
«Où sont les femmes?»
Un brin provocateur, Marc Muller pastiche Patrick Juvet à dessein. «Je me disais il y a quelques années que les métiers de la transition offriraient la possibilité d’attirer des femmes vers les professions techniques. Curieusement, ce n’est pas le cas. Ces domaines restent très genrés», s’étonne l’ingénieur vaudois, pour qui les vieilles habitudes ont la dent dure. «Dans le bâtiment, il n’y a que les activités touchant à l’architecture où l’on atteint la parité.»
Un déséquilibre qui ne surprend pas Adèle Thorens, présidente d’OrTra Environnement, une ONG qui promeut les éco-professions (lire ci-dessous). «La transition écologique est soumise au même cadre de pensée que le reste des activités économiques en termes de genres. Il faut agir pour dépasser les clichés et promouvoir les femmes dans toutes les professions. Nous travaillons depuis plusieurs années sur cette thématique aux côtés des associations professionnelles», confie la future ex-conseillère aux Etats vaudoise, qui préside l’organisation à titre bénévole.
Au-delà du constat, Marc Muller ne se plaint pas. «Il a fallu se montrer tenace mais, chez nous, la parité est respectée: huit hommes et sept femmes.» En plus de l’obstination, le chef d’entreprise parle d’une recette à plusieurs ingrédients pour convaincre la main-d’œuvre féminine. «Il faut incarner une vision moderne de l’entrepreneuriat et démontrer qu’on est progressiste. A cet égard, maintenir en permanence la parité est primordial, quitte à ralentir la croissance. Tenir une ligne claire et transparente et oser des profils un poil hors cadre a aussi son importance, tout comme jouer sur les réseaux des collègues féminines faisant déjà partie de l’équipe. Enfin, soigner l’aspect social en offrant des conditions de travail flexibles et, surtout, former, former, former! Ça ne suffit pas forcément mais, en tenant la ligne plusieurs années, ça finit par payer.»
Joye Frères
Ludovic Joye, directeur de la société de ferblanterie basée à Rueyres-Saint-Laurent (Gibloux/FR)
«Le métier semble de nouveau susciter de l’intérêt»
N’est-ce qu’une embellie passagère ou un nouvel élan? Ludovic Joye veut y croire et ne boude pas son plaisir. «Une quinzaine d’apprentis ferblantiers ont terminé leur apprentissage cette année dans le canton de Fribourg, dont une grande majorité ont obtenu leur CFC», se réjouit celui qui a «galéré» durant deux ans pour trouver deux employés. «Je n’étais pas le seul. Le marché était complètement sec, comme on dit. En 2003, nous étions quatre dans ma volée», soupire-t-il.
Depuis, emporté par le vent des énergies renouvelables, le métier a énormément changé. «L’évolution a été fulgurante. Aujourd’hui, il faut savoir être très polyvalent. Il n’est pas rare qu’on s’occupe non seulement de la toiture et des chéneaux mais également de la charpente, de l’avant-toit, du paratonnerre, de la pose des panneaux ou des tuiles solaires ainsi que des onduleurs. A la fin du chantier, il ne reste plus à l’électricien qu’à effectuer le raccordement.»
Un savoir-faire qui ne s’acquiert qu’en suivant des cours de formation continue. «Il est clair qu’un ferblantier de 50 ans qui débarquerait chez nous en ayant toujours travaillé avec les méthodes traditionnelles serait un peu perdu. J’ai moi-même suivi le programme PREFA afin de me former aux nouveaux matériaux et aux nouvelles technologies», précise le trentenaire, qui se veut optimiste. «Le métier semble de nouveau susciter de l’intérêt parmi les jeunes. Sa nouvelle diversité n’y est sans doute pas étrangère. Certes, ce n’est pas toujours facile. On travaille dehors, au chaud, au froid, à la pluie. Mais savourer tous les soirs le fruit de son travail en quittant le chantier est une satisfaction incomparable.» Et pas que, d’ailleurs. Selon Ludovic Joye, un ferblantier expérimenté et à la tête d’une équipe peut prétendre à un salaire de 7500 francs par mois.
La Suisse est-elle en train de rater sa transition énergétique?
Accusé d’avoir manqué d’anticipation, l’Office fédéral de l’énergie réfute cette critique. Mais admet que le vent a tourné. Les architectes sont également dans le viseur.
Haro sur la Confédération! A l’heure où la pénurie d’énergie menace et les prix s’envolent, Berne est la cible de toutes les critiques. Pêle-mêle, les accusations vont du manque d’anticipation à une attitude arrogante vis-à-vis des énergies renouvelables, en passant par une mauvaise évaluation des enjeux et même le soupçon de faire passer les intérêts des grands lobbys de l’énergie avant ceux du pays. Et les arguments à charge ne manquent pas.
Si elle se défend de vouloir politiser le dossier, la conseillère aux Etats verte Adèle Thorens rappelle néanmoins que, jeune conseillère nationale, elle avait déposé, le 4 mars 2009, une motion demandant au Conseil fédéral «de s’engager dans les plus brefs délais pour qu’une offre de formation de base et de formation continue coordonnée soit mise en place dans le domaine de l’énergie solaire, thermique et photovoltaïque, afin de pouvoir répondre à une demande croissante en personnel qualifié et d’éviter ainsi toute pénurie de main-d’œuvre». Les sept Sages l’avaient rassurée, répondant en substance que l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) prenait l’affaire en main et ferait en sorte d’éviter les problèmes soulevés.
La réaction au lieu de l'action?
«En réalité, nous sommes bons en situation de beau temps mais beaucoup moins lorsqu’il s’agit de mettre en place des plans stratégiques ambitieux visant des objectifs précis», estime Sabrina Cohen Dumani, directrice et fondatrice, en 2015, de la Fondation Nomads, une organisation indépendante qui a pour but de fédérer et de coordonner les actions des nombreux acteurs privés et publics engagés dans la transition. «Notre pays a été fondé sur un modèle collaboratif mais, en temps de crise, nous devons trouver le moyen d’accélérer la recherche de solutions consensuelles pour nous permettre d’atteindre la neutralité carbone dans les temps.»
Cette mission rassembleuse, beaucoup estiment qu’elle est avant tout du ressort de la Confédération, de l’OFEN en particulier, et pas de structures privées. «Mais, comme trop souvent, nous sommes dans la réaction au lieu d’être dans l’action. On l’a vu avec la crise du covid, on le constate aujourd’hui avec la crise énergétique. De plus, en matière de décisions, nos autorités avancent à la vitesse 2 alors que les changements s’opèrent à la vitesse 10», regrette Gérard Struchen, fondateur de la société G-Energie à Porrentruy.
Un constat que réfute en grande partie l’OFEN, par la plume de son porte-parole, Fabien Lüthi. «La stratégie énergétique se base sur des lois adoptées par le parlement et a été largement validée par le peuple, en 2017. Le parlement a choisi d’inciter les gens à se tourner vers les énergies renouvelables plutôt que d’imposer des obligations. Cette approche en douceur peut avoir ralenti l’avancée de la transition, tout comme l’espoir – entre-temps déçu – que la Suisse allait conclure rapidement un accord sur l’énergie avec l’Union européenne.»
Et l’office d’ajouter: «Pour nombre d’entreprises et de ménages, l’approvisionnement énergétique fonctionnait tellement bien que le recours au renouvelable ne paraissait pas urgent. Certains projets, comme la géothermie profonde, la surélévation des barrages ou des parcs éoliens, suscitent en outre des réactions contrastées, des oppositions politiques et des recours qui retardent leur mise en œuvre. Le photovoltaïque va de record en record. On s’attend à ce que, à court terme, plus de 1 gigawatt de puissance soit ajouté chaque année. L’objectif proposé par le Conseil fédéral pour 2035 serait ainsi largement dépassé et près de 30% de notre consommation finale d’électricité pourrait alors être couverte. Ces trois dernières années, la production d’énergies renouvelables – sans énergie hydroélectrique – a progressé de 28% en Suisse.»
Des architectes suspectés de freiner les efforts
Frontalement ou en aparté, les architectes sont également suspectés de freiner les efforts de transition. «Beaucoup vont à l’encontre des vœux de leurs clients, estimant qu’une installation photovoltaïque ou thermique est coûteuse, compliquée, pas rentable. Il n’y a guère que 20 à 30% de la corporation qui joue le jeu», confie l’un de nos interlocuteurs, qui préfère garder l’anonymat.
Un reproche que conteste Ludovica Molo, la présidente de la Fédération des architectes suisses. «Accuser les architectes de s’opposer à la transition est à la fois injuste et un peu ridicule. Selon les régions, le débat autour des énergies renouvelables est certes plus ou moins avancé mais je peux vous certifier que la prise de conscience est là. De plus, la thématique ne se résume pas à installer des panneaux photovoltaïques ou thermiques ou pas. Elle concerne l’ensemble de la société. Nous devons tous accepter que nous ne vivrons plus de la même façon à l’avenir. On voyagera moins, on construira plus petit et, bien sûr, en tenant compte des contingences climatiques et énergétiques. Ce concept a été intégré et plusieurs de nos membres ont déjà apporté des solutions alliant l’innovation et l’esthétisme.»
«Il ne faut pas être universitaire pour pouvoir s’engager dans ces professions»
«On a besoin de vous!» C'est le cri du coeur lancé conjointement par la conseillère aux Etats verte Adèles Thorens, présidente de l'OrTra, et les structures de formation aux énergies renouvelables, en panne de candidats.
«Beaucoup pensent qu’il faut être universitaire pour pouvoir s’engager dans les métiers de la transition. C’est faux. La réussite du projet repose aussi sur les précieuses compétences de toute une série de professions pratiques et techniques au sein desquelles on peut gagner très correctement sa vie tout en lui donnant du sens.» Face à la pénurie de personnel qualifié, la supplique d’Adèle Thorens, présidente de l’OrTra, une organisation qui promeut les éco-professions, a quelque chose à la fois de solennel et de tragique. Faute d’information et d’incitations, selon elle, le recrutement n’avance pas.
Basée à Sion depuis janvier 2019, l’agence romande Minergie a par exemple proposé l’an dernier aux professionnels du bâtiment une trentaine de cours de formation dans les différents cantons qui n’ont attiré qu’une dizaine de personnes par unité. «Dans les métiers de la construction, on sent une certaine réticence au changement. Chez les architectes en particulier, qui pourraient donner l’impulsion de construire plus durablement», commente Olivier Meile, son directeur.
«Les carnets de commandes sont pleins, on est clairement dans un marché où la demande dépasse l’offre et donc les incitations à se différencier et à se former sont malheureusement faibles. Le changement de paradigme prendra sans doute une bonne génération», estime à regret le patron de la structure financée par le biais des certifications qu’elle délivre et les cotisations de ses membres, parmi lesquels les cantons.
Témoignages
Mathilde Forney, 19 ans
Apprentie dessinatrice en bâtiment chez Impact Living, spécialisée en transition énergétique
«Je veux que mon travail ait un impact durable»
«Petite, j’étais déjà proche de la nature. Puis, à l’âge de 8 ans, dans le sillage de mon papa, j’ai eu la chance de rencontrer Bertrand Piccard, qui présentait son projet Solar Impulse. Son discours résonne encore dans ma tête. Mais le vrai déclic s’est produit au gymnase, en suivant les cours de géographie sur l’anthropocène. Ce double choc m’a rendue très sensible au développement durable. Dès lors, je me suis dit: «Mathilde, tu dois faire un métier en rapport avec ces valeurs, un job qui te permette de les appliquer.» Aujourd’hui, grâce à mon brevet de culture générale, je peux réaliser mon rêve en version accélérée. Deux ans au lieu de quatre. Un vrai bonheur, parfois contrarié par le clivage qui me sépare de certains collègues travaillant dans des bureaux dits «traditionnels». Une minorité. Car même s’ils (elles) ne sont pas dans l’action, la plupart sont de plus en plus sensibles à la durabilité. Cela prendra peut-être encore une génération, mais je suis convaincue qu’en éduquant et en formant, le basculement se produira. Personnellement, entre baisser les bras en continuant à couler du béton et réagir, j’ai choisi. Mon prochain rêve est d’ouvrir mon propre bureau.»
David Leandro, 33 ans
Responsable d’atelier du groupe BMW, Claude Urfer, Sion
«La mobilité électrique est en constante évolution et c’est passionnant»
«La mécanique, je suis tombé dedans à la naissance, comme on dit! Depuis gamin, monter, démonter, réparer a toujours été mon dada. Autant dire que décrocher mon CFC de mécanicien automobile coulait de source. Puis sont arrivées les voitures électriques. Pour le passionné que je suis, m’ouvrir à cette nouvelle technologie ne m’a posé aucun problème. Au contraire, même si je ressens parfois un brin de nostalgie quand j’entends ronronner un moteur thermique, l’envie d’apprendre est toujours la plus forte. Et puis, il reste un peu de mécanique dans les véhicules électriques. Je me suis donc rapidement formé à ce nouveau concept. A vrai dire, la formation est presque quotidienne tant la mobilité électrique est en constante évolution depuis dix ans. Entre la première génération de véhicules et ceux d’aujourd’hui, il y a un monde. Dans mon équipe, tous sont très motivés à comprendre et à maîtriser cette transition. Y compris les 50-60 ans, qui comptent parmi les plus ouverts. Ceux qui ne voudront pas suivre le mouvement resteront sur le bas-côté. Le constat vaut aussi pour les tôliers en carrosserie. On ne s’occupe pas du tout de la même façon d’une voiture électrique que d’une thermique.»
Fabio Fernandes Dias, 35 ans
Electricien spécialisé dans le domaine solaire chez Helion
«Donner du sens à son travail est très valorisant»
«Adolescent, j’ai suivi un apprentissage d’électricien au Portugal, que je n’ai pas terminé. Après quatre ans passés en France, je suis arrivé en Suisse en 2013. J’ai tout de suite compris qu’ici il était important d’avoir une certification professionnelle pour obtenir un bon poste. D’abord manœuvre maçon, je suis donc revenu à l’électricité auprès de la société Helion. Après quelques années, nous avons décidé d’un commun accord que je finirais mon apprentissage en vue d’obtenir mon CFC. Etant au bénéfice d’une expérience pratique de plus de cinq ans, j’ai pu reprendre le cursus en tant qu’article 32, formation que j’ai terminée en juin dernier avec, petite fierté, la note de 5,1. En travaillant dans le solaire, j’ai vraiment le sentiment de donner du sens à mon travail, de contribuer à améliorer la situation. Je pense à mon enfant aussi, au monde que je lui laisserai. Je ressens quelque chose de valorisant et rassurant. Et puis, toutes les installations sont différentes. Il n’y a pas de place pour la routine. Je ne peux qu’inciter les jeunes à se former et les plus anciens à faire le pas de la reconversion. Le travail est varié, en pleine évolution et offre une multitude de possibilités.»
«Je crois en l’objectif zéro net en 2050»
Accusée de se hâter trop lentement vers la transition énergétique, dont l’avancée est encore ralentie par un colossal manque de bras et de cerveaux, notre ministre de l’Energie Simonetta Sommaruga martèle que, malgré ses lacunes, la Suisse tiendra ses engagements. Interview.
L’autonomie énergétique de la Suisse représente-t-elle l’objectif visé? Si oui, dans quel délai?
Simonetta Sommaruga: L’objectif premier, c’est d’augmenter la production et le stockage d’énergie renouvelable, ici, chez nous. Aujourd’hui, tout le monde a compris que la dépendance aux énergies fossiles, que nous importons à 100%, nous rend très vulnérables. Donc, nous voulons produire plus d’énergie hydraulique, solaire ou éolienne, par exemple. C’est pourquoi nous avons débloqué 12 milliards de francs pour investir dans notre pays ces prochaines années. A cette somme s’ajoutent les investissements qu’opèrent de nombreuses entreprises et particuliers. Au cours des trois dernières années, la production des énergies renouvelables a augmenté de 28%, sans compter l’hydroélectricité! Nous devons encore accélérer le rythme; la population et l’économie en sont convaincues, à voir les projets qui foisonnent. Mais nous ne visons pas une autonomie complète, car elle serait très difficile et coûteuse à réaliser.
Paie-t-on aujourd’hui l’absence d’objectifs contraignants dans la Stratégie énergétique 2050?
Nous payons surtout le prix de la politique des milieux qui ont tout misé sur les importations de gaz et de pétrole et qui ne soutiennent pas assez le développement du renouvelable. La Stratégie énergétique 2050 incite à prendre des mesures d’efficacité, que ce soit pour les véhicules, les appareils ou les bâtiments. Mais elle vise aussi à produire plus d’énergie locale. J’ai proposé différents moyens d’accélérer notre indépendance vis-à-vis du gaz et du pétrole. La loi sur l’approvisionnement en électricité, qui est entre les mains du parlement depuis plus d’un an, contient toutes les mesures essentielles à la sécurité de notre approvisionnement: davantage de courant en hiver et développement rapide du renouvelable. Le Conseil fédéral veut aussi accélérer les procédures d’autorisation pour les grandes installations de production d’énergie éolienne et hydraulique. Lors d’une table ronde, nous avons identifié 15 projets de barrages prometteurs. La volonté des cantons, des producteurs d’énergie et des organisations environnementales est bien là.
L’Allemagne songe à prolonger la durée de vie de ses centrales nucléaires. Est-ce également une option pour la Suisse?
Contrairement à l’Allemagne, nous n’avons pas fixé de date d’arrêt pour les centrales nucléaires existantes: elles peuvent fonctionner tant qu’elles sont sûres. C’est l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN), une autorité de surveillance indépendante, qui en décide. On estime que certaines de nos centrales peuvent fonctionner jusqu’au milieu des années 2040. Une sortie progressive du nucléaire nous laisse le temps de développer la production d’énergie locale.
On évalue à environ 400 000 le nombre de personnes qualifiées qui manquent dans les métiers de la transition. La Confédération a-t-elle un plan pour remédier à ce problème de main-d’œuvre?
Nous avons lancé une offensive de formation, l’hiver dernier, pour augmenter le nombre de personnes qualifiées dans ces domaines. SuisseEnergie accompagne la branche du bâtiment dans ses efforts. Nous montrons que les emplois du futur se trouvent dans le domaine des cleantechs: ils sont sûrs, utiles et passionnants. Le secteur du bâtiment joue un rôle essentiel dans la réalisation des objectifs énergétiques et climatiques de notre pays. Ces prochaines années, il faudra remplacer de nombreux chauffages et procéder à l’assainissement énergétique des bâtiments existants.
Certains acteurs du marché considèrent l’énergie comme un produit commercial et non comme un bien stratégique. N’est-il pas temps de reprendre le contrôle de la situation et ne paie-t-on pas le coût de la libéralisation du marché de l’électricité?
Le Conseil fédéral a tout mis en œuvre pour assurer l’approvisionnement énergétique de notre pays cet hiver. Mais nous devons faire face aux effets de la guerre qui sévit sur le continent européen et d’un dirigeant russe qui joue avec le robinet du gaz. Je ne crois pas qu’on puisse mettre en cause la libéralisation du marché pour la situation actuelle. J’insiste: il nous faut accélérer la production d’énergie locale pour nous défaire de la dépendance aux énergies fossiles. On voit aujourd’hui que les entreprises électriques qui ont plus investi ici sont moins ébranlées que celles qui le font à l’étranger et sont allées sur les marchés boursiers. Je pars du principe qu’une libéralisation ultérieure n’a plus aucune chance au parlement. Plusieurs firmes ou collectivités qui ont choisi de se fournir sur le libre marché demandent même à réintégrer l’approvisionnement de base.
Mais qu’en est-il justement des PME et des artisans qui sont confrontés à une explosion de leur facture énergétique?
La situation est complexe. Selon la loi, les consommateurs finaux qui sont passés au marché libre ne peuvent pas simplement faire marche arrière. Certains ont profité pendant des années de prix nettement plus bas sur le marché. Leur retour à l’approvisionnement de base risque de peser sur la facture des ménages et d’autres clients protégés, dont des PME. La question des adaptations nécessaires à la régulation du marché de l’électricité est en discussion au niveau européen. La Suisse suit ce débat de très près. La Confédération examine en parallèle quelles mesures financières sont possibles pour atténuer des cas de rigueur et si des bénéfices excédentaires pourraient être prélevés pour financer des aides. Il faut se rappeler que les entreprises d’énergie appartiennent en grande partie aux cantons et aux communes.
On ne parle plus de l’énergie éolienne, comme si la question était devenue taboue.
Demeure-t-elle encore une option?
En Suisse, les éoliennes produisent deux tiers de leur électricité en hiver, période au cours de laquelle les besoins en énergie pour le chauffage et l’éclairage sont plus élevés. L’énergie éolienne complète de manière idéale les installations hydro-électriques et solaires.
Soixante pour cent de notre consommation énergétique provient du fossile. Et c’est sans compter l’énergie utilisée à l’étranger pour fabriquer et acheminer les produits que nous importons. N’est-ce pas dès lors utopique de vouloir renverser cette répartition, même en trente ans?
Les gens sont conscients que le dérèglement climatique, qui mène à des épisodes extrêmes comme la sécheresse de cet été, entraînera de grands problèmes et des coûts importants, pour les entreprises aussi. La Suisse s’est engagée à atteindre le zéro net d’ici à 2050; je suis confiante que l’objectif sera atteint, et d’autant plus quand je vois le boom du renouvelable. Mais pensez aussi à l’Union européenne et à plusieurs Etats américains qui n’autoriseront plus la mise sur le marché de voitures thermiques dans une douzaine d’années. L’énergie fossile ne cessera de perdre du terrain et le temps qui passe nous offre toujours plus de solutions pour diminuer notre dépendance.
>> Lire aussi: L'interview de Guy Parmelin
Quelques exemples de métiers liés $ la transition énergétique
- Electrochimiste Spécialiste des technologies et techniques telles que les travaux d’électrolyse, les piles à combustible, la valorisation du CO2, la photosynthèse industrielle, le stockage et la production d’énergie via l’hydrogène, le recyclage des plastiques ou les matériaux biosourcés.
- Ecoconcepteur Travaille à la conception d’un produit industriel en prenant en compte toutes ses implications sur l’environnement, de la fabrication à son utilisation et élimination.
- Ecologue Cet analyste d’impact environnemental identifie les problèmes environnementaux qui doivent être résolus et donne des conseils afin de minimiser les points négatifs.
- Facility & Energy Manager Sa mission: veiller au respect des normes en matière de sécurité, d’hygiène, d’environnement, de maîtrise des coûts et des questions RH.
- Solarteur Spécialiste qui a des compétences en conseil, installation, mise en service et surveillance dans les branches du photovoltaïque, du solaire thermique et des pompes à chaleur. Capable de coordonner et de réaliser toutes les phases de projet.
- Intégrateur de systèmes Délivre des systèmes clés en main. Offre des produits faciles à déployer (solution d’alimentation énergétique intégrée pour un bâtiment, par exemple, une installation photovoltaïque avec unité de stockage et onduleur réseau).
Des outils à disposition des PME et de l’emploi
Vous êtes un patron désireux de réduire la facture énergétique de son entreprise ou un salarié cherchant à donner une nouvelle orientation à sa carrière? Des structures d’accompagnement, de conseils et de financement existent. Florilège non exhaustif.
citedesmetiers.ch
Trouver sa voie professionnelle
«Dans vingt ans, 60% des métiers actuels auront fortement évolué ou disparu alors que 80% des nouvelles professions pratiquées ne sont pas encore connues.» C’est le message choc délivré lors des Assises européennes de la transition énergétique, qui ont réuni fin mai plus de 4000 personnes à Palexpo.
«Il faut former et informer. Nous avons un urgent besoin de chauffagistes sachant installer des pompes à chaleur et maîtriser la géothermie, d’électriciens opérant dans le solaire, de mécaniciens auto réparant des batteries et des moteurs électriques, de monteurs et de chefs de projets en installation solaire, de conseillers en transition énergétique, de psychologues face à l’augmentation de l’éco-anxiété, de juristes maîtrisant les nouvelles lois liées à la transition énergétique», énonce Christian Freudiger, de l’Office cantonal de l’énergie genevois, lequel a déjà contribué à former, avec SIG-éco21, une quinzaine d’assistants en maîtrise d’usage (AMU), qui assistent les propriétaires se lançant dans de gros travaux d’assainissement énergétique pour dialoguer et améliorer le confort des habitants.
Les entreprises doivent anticiper l’évolution des compétences dont elles auront besoin pour négocier le virage de la transition énergétique, et les jeunes s’informer du moyen de s’y engager professionnellement.
Le conseil Vous êtes en âge d’apprentissage ou vous souhaitez vous recycler? Bien qu’il concerne surtout le Grand Genève, le site de la Cité des Métiers vous donne un large éventail des possibilités de formation, de financement, d’événements consacrés à la thématique, de données techniques et même un quiz aidant les candidats dans leur quête.
Du 22 au 27 novembre, la Cité des Métiers organise à Palexpo la plus grande manifestation de Suisse consacrée aux métiers et à la formation. Jeunes et adultes pourront dialoguer avec des apprenti-e-s et des professionnel-le-s, trouver des conseils en orientation.
fr.umweltprofis.ch
Les formations de l’économie verte
L’OrTra Environnement, présidée par Adèle Thorens, offre aux jeunes et aux professionnels divers services sous la marque ecoprofessions.ch.
Le conseil La plateforme est une mine d’informations sur les métiers de demain et la façon d’y accéder. Avec plus de 600 000 connexions en 2021, elle connaît un succès croissant auprès des jeunes et des personnes en quête de reconversion.
peik.ch
L’audit énergétique professionnel pour PME
Peik, c’est l’audit énergétique professionnel pour les PME, créé par SuisseEnergie. La structure participe à 50% aux frais de l’audit. Celui-ci est intéressant à partir de coûts d’énergie annuels de 20 000 francs.
Le conseil Allez sur le site et remplissez le bulletin d’inscription. En 2021, une cinquantaine de PME romandes ont eu recours aux conseils des experts fédéraux et au nouveau programme de subvention mis en place par l’OFEN.
francsenergie.ch
Des subventions comme s’il en pleuvait
Vous souhaitez faire des économies d’énergie à votre domicile ou au sein de votre entreprise, réduire votre consommation d’énergies fossiles, changer vos vieux luminaires à lampes halogènes ou incandescentes ou acheter un véhicule électrique? Parallèlement à la Confédération, aux cantons et aux communes, des fournisseurs d’énergie et des institutions privées soutiennent la production d’énergies renouvelables par des subventions. Outre les subventions cantonales, Francs Energie recense également pour chaque localité tous les autres programmes de subvention pertinents.
Le conseil Connectez-vous au site francsenergie.ch. Saisissez un code postal sur la page d’accueil de la plateforme, puis sélectionnez votre statut. Tous les programmes de la Confédération, des cantons, des villes et des communes peuvent être consultés grâce à cette base de données, ainsi que les campagnes des fournisseurs d’énergie régionaux et d’autres prestataires.
suisseenergie.ch
Pour estimer sa future production énergétique
Servez-vous des outils et calculateurs de la plateforme de l’Office fédéral de l’énergie pour estimer votre future production énergétique, ses coûts, la durée d’amortissement ainsi que les aides financières disponibles. Le «check-devis-solaire» vous permet de soumettre à des spécialistes de SuisseEnergie plusieurs offres pour des installations solaires à des fins de comparaison et d’évaluation.
agenda-energie-so.ch
L’agenda énergie de Suisse occidentale
La plateforme, qui rassemble la Conférence des services cantonaux de l’énergie, l’Office fédéral de l’énergie ainsi que différentes organisations faîtières actives au niveau national, affiche l’ensemble des événements de formation et d’information proposés dans les cantons de Suisse occidentale dans le domaine de l’énergie, plus précisément en ce qui concerne l’efficience énergétique et les énergies renouvelables.
Le conseil Si vous envisagez d’organiser un événement sur le thème énergétique, vous êtes au bon endroit. La structure peut soutenir, voire prendre en charge, pour des tiers, son organisation en collaboration avec les partenaires régionaux.