«Depuis le covid, nous avons été surpris par le nombre d’entreprises suisses qui se sont détournées de l’Asie en faveur du Portugal.» Marina Prévost-Mürier, présidente de la Chambre de commerce, d’industrie et de services Suisse-Portugal (CCISSP), constate que l’attrait pour ce pays s’est encore renforcé depuis le 24 février: «Avec la guerre en Ukraine, de plus en plus d’entreprises suisses envisagent de délocaliser leurs activités de production actuellement basées dans les pays de l’Est vers le Portugal. Et le mouvement s’accélère.» Actuellement, ce sont principalement les productions d’acier, de verre et de textile qui sont démobilisées d’Europe de l’Est. La CCISSP constate un réel engouement pour le Portugal et ses archipels de Madère et des Açores.
Le chiffre Les adhérents à la Chambre de commerce Suisse-Portugal ont plus que doublé entre avril et juillet pour atteindre aujourd’hui plus de 200 membres.
En outre, la Suisse et le Portugal entretiennent déjà une relation commerciale bien établie. En 2010, l’investissement direct suisse au Portugal atteignait environ 440 millions de francs. Fin 2020, il s’élevait à 832 millions de francs selon le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), faisant ainsi de la Suisse le 8e investisseur étranger dans le pays. Le Portugal, avec sa proximité géographique, son système éducatif et son salaire moyen de 835 euros dans les régions du nord et du centre (contre 1025 euros à Lisbonne), et son savoir-faire attirent les firmes étrangères. «De nombreuses entreprises du secteur des nouvelles technologies et de l’informatique y trouvent également des opportunités: les ingénieurs sont bien formés, parlent plusieurs langues et sont moins exigeants au niveau des salaires, poursuit Marina Prévost-Mürier. De plus, dans les régions du centre du pays – les moins développées –, l’Etat portugais a déroulé le tapis rouge pour les entreprises étrangères qui viennent s’y installer, tels la mise à disposition de locaux gratuits ou des abattements fiscaux.»
Le textile pèse 20% de l'emploi au Portugal
Quand la Genevoise Christie Mutuel a lancé L’Asticot, en 2009, sa marque de vêtements pour enfants, le choix du pays de production était essentiel: «Je voulais que la collection soit produite en Europe centrale, même pas en Europe de l’Est, pour être certaine que les conditions de travail soient correctes.» C’est pendant la visite d’un salon à Paris, où quelques dizaines d’artisans exposaient leur savoir-faire, qu’elle rencontre ses futurs producteurs. «Je n’avais aucune attache personnelle avec le Portugal, je m’y suis intéressée un peu par hasard. Notre petite entreprise familiale n’utilise que du tissu bio, labellisé par les meilleurs écolabels européens et avec des imprimés, ce qui n’est pas évident à trouver en France, rapporte la Genevoise de 46 ans. Nous n’avons depuis jamais changé de façonniers, car nous sommes très satisfaits.» Comme L’Asticot, de nombreuses marques de textile suisses choisissent désormais des ateliers au Portugal. Le secteur compte plus de 5000 entreprises et représente 10% des exportations du pays. En 2019, l’industrie du textile et de l’habillement employait 140 000 personnes, soit 20% du total de l’emploi dans l’industrie portugaise selon l’association du textile et de l’habillement du Portugal.
Le travail du cuir constitue un autre pilier de l’économie portugaise. Benjie of Switzerland, marque de chaussures pour enfants dessinées en Suisse, a choisi dès sa création en 2011 ce pays comme lieu de production, notamment pour son savoir-faire. «Le père et le grand-père du directeur actuel de l’usine où l’on fabrique les chaussures travaillaient déjà dans le secteur du cuir, explique Christian Bagnoud, fondateur de la marque basée à Genève. Nous sommes une marque éthique et nous ne voulions donc pas que nos produits soient fabriqués trop loin afin de limiter au maximum nos émissions de CO2.»
Forte communauté francophone
Autres facteurs essentiels pour lui: les conditions de travail des employés, la présence de syndicats et de normes sociales, tout comme la traçabilité des matières premières. Le directeur relève cependant qu’il est devenu plus compliqué pour les petites marques de trouver des manufactures depuis le covid: «Il y a eu un vrai engouement pour ce pays. Les grandes marques se sont détournées de l’Asie et il est actuellement très difficile de trouver des ateliers disponibles, car leurs carnets de commandes sont pleins, ce qui provoque également des retards dans la production.» Pourtant, la crise financière de 2008, précédée par l’entrée de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce en 2001, avait frappé le Portugal de plein fouet. Le pays avait alors dû faire appel à un programme d’aide de l’Union européenne et du Fonds monétaire international. Les couturières ont déserté les entreprises familiales et le chômage a explosé. Mais «les grandes entreprises se sont rendu compte des incertitudes dans la chaîne d’approvisionnement et des coûts engendrés par une production en Asie, explique Christie Mutuel. Finalement, cela revient souvent moins cher de produire en Europe qu’en Inde, par exemple, d’où les collections n’arrivent jamais à temps et où les erreurs sont innombrables.» En outre, la volonté d’une partie des consommateurs d’acheter plus consciemment joue en faveur du Portugal, qui bénéficie d’une image européenne.
Le constat «Le made in Portugal commence enfin à être vu comme un label de qualité», se réjouit Marina Prévost-Mürier.
Il n’y a pas que dans le textile que les entreprises suisses misent sur la péninsule Ibérique. Bien-Air Dental a fait ce choix en 2015. L’entreprise d’instrumentation dentaire, installée à Bienne depuis plus de soixante ans, assemble dans une usine au Portugal «principalement les produits d’entrée de gamme tels que les tuyaux, les raccords et quelques références de moteurs et de turbines», explique Samuel Hilger, directeur des opérations. Leur décision de délocaliser a été prise à la suite de l’abandon par la BNS du taux plancher de 1,20 franc pour 1 euro. Une mesure lourde pour cette entreprise qui exporte 95% de sa production. Mais pourquoi le Portugal? Le coût de la main-d’œuvre relativement peu onéreux a compté, mais aussi «le fait que le pays soit dans la zone euro et culturellement proche de la Suisse», poursuit Samuel Hilger. «La forte communauté francophone permet également une intégration relativement aisée. Nous ne recrutons que des employés francophones, ce qui nous a épargné les traductions de la documentation nécessaire à la production. Le bilan a été très positif dès la deuxième année, avec des standards de qualité identiques à ceux de la Suisse.»
L’entreprise a par ailleurs acheté en 2021 de nouveaux locaux pour poursuivre son développement au Portugal. Pourtant, pour ce Biennois, Bien-Air Dental – qui emploie près de 400 personnes à travers le monde, dont une cinquantaine au Portugal – reste et restera toujours helvétique. «C’est très important pour nous que l’entreprise reste familiale et que la production demeure majoritairement basée en Suisse, surtout pour les produits haut de gamme.»