Au commencement, il y a le rachat d’une entreprise en faillite. Raphaël Broye acquiert en 2012 Wiser, une usine jurassienne active dans la sous-traitance en microtechnique pour des industries de pointe comme l’horlogerie ou la médecine. Il relance la manufacture basée à Saignelégier (JU) et la renomme Panatere. «J’avais la volonté de repositionner et de pérenniser l’entreprise, tout en conservant le savoir-faire et les machines qui fonctionnaient si bien», explique-t-il.

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La volonté de développer le recyclage vient d’un double constat. D’une part, les matières premières importées étaient toujours porteuses d’imperfections: «Près de 10% des pièces usinées étaient rejetées en raison de défauts.» D’autre part, Panatere a tenté de suivre par GPS le parcours de ses déchets une fois sortis de l’usine. «Nous avons perdu le signal des sept puces GPS après 42 000 km. Il y a en réalité un véritable tourisme des déchets et, pour plusieurs intermédiaires, il vaut mieux les revendre que les traiter.»

Le directeur cherche alors une nouvelle méthode. Panatere développe plusieurs éco-matériaux, notamment un alliage recyclé à partir de l’électrolyse des cendres produites par l’incinération des déchets, pouvant remplacer le cuivre ou le maillechort – un alliage largement utilisé dans l’industrie, notamment pour réaliser les fermetures éclair. «Alors que le cuivre a vu son prix quadrupler dans les quatre dernières années, il est impératif de pouvoir prendre un peu plus d’autonomie vis-à-vis de nos fournisseurs étrangers.»

Contrer les pénurie en matières premières

Le directeur voit aussi dans le recyclage des déchets de l’industrie un bon moyen de contrer les pénuries de matières premières qui se profilent actuellement. «Les éco-matériaux développés par l’entreprise Panatere sont un cas d’école en termes d’économie circulaire, analyse Dimitrios Kyritsis, professeur à l’EPFL et directeur d’un laboratoire en ingénierie spécialisé dans la durabilité des processus industriels. Le réemploi des déchets d’usinage par la même industrie crée un cercle vertueux, limitant le gaspillage.» L’entreprise produit principalement des métaux recyclés mais a également commencé à développer des éco-matériaux organiques, comme un équivalent du cuir élaboré à partir de fibres naturelles de raisin, de pomme ou de fenouil.

«Pour développer de façon pérenne cette économie circulaire, nous devions trouver des solutions pour la fonte des déchets, explique Raphaël Broye. Une fois les déchets de Panatere et ceux d’autres PME horlogères de la région collectés, il fallait jusqu’à présent les envoyer dans une aciérie du canton pour qu’ils soient traités. Mais ce n’était pas idéal, en termes de quantité comme en temps de travail, ces déchets étant encombrants pour les métallurgistes. Nous nous sommes donc intéressés aux fours solaires.»

«Après avoir réalisé une étude d’ensoleillement avec l’EPFL et MétéoSuisse, nous avons choisi La Chaux-de-Fonds, la deuxième ville la plus exposée de Suisse romande, qui offre 1500 heures d’ensoleillement.»

 

Le plus grand four solaire se trouve aujourd’hui dans les Pyrénées françaises (lire ci-contre) «En voyant qu’il était possible de traverser de part en part une feuille métallique de 1,5 centimètre d’épaisseur en seulement trois secondes, nous avons compris le potentiel de cette méthode.» Le four solaire de Panatere sera construit au printemps 2023, en collaboration avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) français, qui les a aidés à établir le dimensionnement et les caractéristiques nécessaires à une utilisation industrielle. Il sera composé de plus de 4000 miroirs et pourra fondre 500 kg de métal en une heure et demie. «Après avoir réalisé une étude d’ensoleillement avec l’EPFL et MétéoSuisse, nous avons choisi La Chaux-de-Fonds, la deuxième ville la plus exposée de Suisse romande, qui offre 1500 heures d’ensoleillement.» A terme, cette installation devrait produire 200 tonnes d’acier 100% recyclé par an.

Le premier four à usage industriel

Pour le professeur Kyritsis, «le recours au solaire pour la refonte des déchets réduit l’impact environnemental d’un processus métallurgique habituellement coûteux énergétiquement tout en relocalisant la production de matière première».

«A l’instar du grand four français, les 57 fours solaires en activité dans le monde sont tous utilisés à des fins de recherche et de transfert de technologie, explique Raphaël Broye. Celui que nous voulons mettre en place sera le premier à usage industriel.» Pour financer cette nouvelle technologie, l’entreprise a obtenu 3 millions de francs d’aides extérieures provenant d’organisations comme la Fondation Suisse pour le climat, les Services industriels de Genève (SIG) et l’Office fédéral de l’environnement.

L’entreprise jurassienne a ainsi dû faire appel au bureau d’impact Quantis pour contrôler et évaluer l’intérêt réel de sa démarche, puis faire contrôler ce premier avis par Climate Services, avant que la Confédération puisse accepter la demande de subvention de la PME. «Ce processus s’est révélé coûteux, mais il nous aura permis de consolider notre action et de nous donner des arguments sérieux contre les accusations de greenwashing que l’on entend parfois.»

L’entreprise, engagée auprès de Circular Economy Switzerland, embauche aujourd’hui 44 personnes. «Tous les jours, nous recevons des candidatures spontanées de jeunes motivés par notre démarche.» Le but de Raphaël Broye consiste à montrer qu’il est possible de développer une industrie à la pointe de la technologie qui produise des objets de grande qualité tout en travaillant en accord avec l’environnement.

Il souhaite développer d’ici à 2025 une usine complètement autarcique, le Centre de traitement solaire des métaux. «Les choses bougent dans tous les domaines. Avec Panatere, nous prouvons qu’écologie peut rimer avec industrie, qu’il est possible de dégager des bénéfices grâce à l’économie circulaire.»