«Je voudrais encourager les entrepreneurs à se lancer dans le raffinage du lithium. Vous ne pouvez pas perdre.» Voilà ce qu’assénait Elon Musk, CEO de Tesla, en juillet 2022. Le prix du lithium a en effet pris l’ascenseur l’an dernier. La valeur du carbonate de lithium, considéré comme une référence dans l’industrie des batteries, a été multipliée par cinq entre 2020 et 2022, selon Benchmark Mineral Intelligence (BMI), pour atteindre 71 373 dollars la tonne (le 17 janvier). Cette hausse s’explique notamment par l’engouement autour des voitures électriques, dont la production rend ce minerai indispensable.
Pour une voiture équipée d’une batterie de 24 kWh (environ 160 km d’autonomie), il faut 2,7 kg de lithium, soit 14,4 kg de carbonate de lithium. Et la demande ne va cesser d’augmenter: de 50 millions d’unités en 2025, le nombre de véhicules électriques en circulation dans le monde passera à 135 millions en 2030, selon un rapport de l’Institut de relations internationales et stratégiques français (IRIS). En 2022, le monde entier reste ainsi encore dépendant des grands pays producteurs: l’Australie (48% des parts de marché), le Chili (22%), la Chine (17%) et l’Argentine (7,5%), selon l’Institut géologique des Etats-Unis (USGS).
«Les gisements de lithium se développent dans les zones de subduction, c’est-à-dire les zones à la jonction de deux plaques tectoniques, continentales ou océaniques, explique Sébastien Pilet, géologue et professeur à l’Université de Lausanne. Dans ces zones, du magma est produit en profondeur; il va remonter dans la croûte terrestre et refroidir, formant alors des granites potentiellement riches en minéraux contenant du lithium.»
Balbutiement en Suisse
En Europe, on trouve ce type de gisements au Portugal par exemple – premier producteur européen de lithium – mais leur forage représente un sujet de discorde: pour les exploiter, il faut mettre en place de vastes carrières, ainsi qu’un traitement chimique pour extraire le lithium des minéraux. Le processus demande d’abord un chauffage à haute température (1050-1100°C) ou calcination, puis un bain d’acide sulfurique ou dans de la chaux afin de séparer les éléments.
Il y a bien sûr du granit dans les Alpes suisses, mais elles ont des compositions différentes et des teneurs en lithium généralement faibles, difficilement exploitables économiquement. Le lithium est en revanche présent dans les eaux thermales de nos contrées. En Allemagne, des quantités importantes, de l’ordre de 150 à 200 mg par litre, ont été trouvées dans le bassin rhénan entre Francfort et Bâle. Plusieurs start-up et entreprises allemandes ont déjà annoncé vouloir commencer l’exploitation du minerai dans les mois ou années à venir. En Suisse, on balbutie. Le pays connaît mal son sous-sol, bien moins en tout cas que l’Allemagne ou la France. «Nous en sommes au tout début de la réflexion, dit Nicole Lupi, responsable de la géothermie profonde à l’Office fédéral de l’énergie (OFEN). Nous sommes en train d’étudier si la Suisse a un potentiel de lithium, sous quelle forme ce lithium se présente et où se situeraient ces ressources.»
Vaste étude nationale
Il y a quelques mois, une vaste étude nationale a été lancée. Objectif: constituer une base de données de composition des eaux géothermales et identifier d’éventuelles présences de lithium.Le travail se fait en étroite collaboration avec l’Office fédéral de topographie (Swisstopo). Quant à savoir si l’industrie suisse aurait intérêt à rejoindre les exploitants annoncés du bassin rhénan, rien n’est moins sûr. «En effectuant des forages exploratoires pour la géothermie dans la région de Bâle, on a bien vu que ce n’était pas simple», rappelle Sébastien Pilet, faisant référence au séisme de magnitude 3,4 survenu en 2006 en marge des travaux et signant l’arrêt du projet.
Les analyses de l’eau faites dans le cadre du premier projet suisse de géothermie profonde, à Lavey (VD), ont mis en évidence la présence de lithium. Mais la société chargée de l’exploitation du site, l’AGEPP (Alpine Geothermal Power Production), n’entend pas pour l’heure exploiter le précieux minerai. «La minéralisation des eaux de Lavey est très faible: le taux de lithium est d’environ 4 mg par litre, alors qu’une exploitation économiquement viable de ce minerai nécessite une quantité d’au moins 150 mg par litre, explique son directeur Jean-François Pilet. L’extraction du lithium demanderait des infrastructures conséquentes, en plus de celles, déjà importantes et coûteuses, nécessaires à la géothermie profonde.»
n non-sens sur le plan environnemental
Un point de prudence que partage le géologue Sébastien Pilet. «Un pays peut avoir des ressources, mais le temps de mise en place des infrastructures nécessaires à leur exploitation est souvent mal perçu. Il faut compter une dizaine d’années, au minimum, entre le choix de la méthode d’extraction, les études d’impact et bilans environnementaux, les éventuels recours et oppositions et, finalement, la construction des infrastructures elles-mêmes. On se situe à une autre échelle que celle nécessaire à la transition énergétique, qui demande des solutions rapides.»
En outre, l’extraction du lithium telle que pratiquée aujourd’hui constitue un non-sens sur le plan environnemental. Au Chili, par exemple, environ 2 millions de litres d’eau sont évaporés dans les carrières pour produire 1 tonne de lithium. Cependant, la recherche d’une démarche moins invasive est menée en France et en Allemagne: utilisation de solvants dans des cuves, procédés électrochimiques ou encore membranes de nanofiltration. Selon Nicole Lupi, de l’OFEN, ces différents procédés font actuellement l’objet de projets pilotes en Suisse, en vue de trouver le moins dommageable pour l’environnement, tout en cherchant à maximiser, à grande échelle, l’extraction du lithium des eaux géothermales.