C’est l’histoire d’une politique marketing intensive, de montages financiers répétés, d’ubérisation d’un secteur, celui de la gestion des déchets, et de procédés à la limite du respect des acteurs du marché. De quoi s’agit-il? Dans les personnages principaux, on retrouve Helvetia Environnement (HE), qui affiche des pertes financières cumulées de 51,4 millions de francs de 2017 à 2021. Mais également passé maître dans l’art de capitaliser: 184,3 millions injectés dans l’entreprise depuis 2016.

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Leader dans la branche des déchets

De quoi se faire un joli lifting et même plus. Achat de 24 sociétés concurrentes au total, mise en place d’un centre de tri robotisé et développement de projets numériques. Helvetia, c’est aussi 560 collaborateurs en Suisse et une place de leader dans la branche des déchets avec 118 millions de chiffre d’affaires en 2021, selon un communiqué. A cela s’ajoute un refinancement de ses green bonds en juin 2022 par un emprunt bancaire. La mariée est presque prête. Car il se chuchote que le groupe suisse sera vendu au printemps.

Dans le rôle du fiancé circulent les noms d’Aldi et de Lidl, qui s’attaquent à l’économie circulaire, ou de Paprec, géant français présent dans dix pays. «Cela fait dix ans qu’on dit qu’Helvetia Environnement va être vendu», glisse Christophe Pradervand, président des Recycleurs de Genève.

A ce stade, ce n’est pas le plus important. En effet, la mariée cache sous ses jupons quelques éléments perturbants, dont un qui s’appelle Metawaste. Société fondée à l’été 2022, elle se pose en nouvel intermédiaire entre les entreprises ou communes productrices de déchets et les prestataires de services du recyclage. «La plateforme digitale développée par Metawaste permet la gestion optimisée de la collecte et du recyclage, grâce à une interface et un «reporting» pour les clients, ainsi qu’une interface dédiée aux partenaires et à la traçabilité des flux. Elle garantit la sécurité des données», résume le porte-parole de Metawaste, indiquant travailler avec 80 partenaires en Suisse.

Quel lien entre les deux entités?

Sur le site web de Metawaste, on lit «SRS Global Services devient Metawaste», basée à Givisiez. La société fribourgeoise SRS a été rachetée par Helvetia Environnement en 2017. Au Registre du commerce, l’adresse de Metawaste est pourtant à Carouge, la même qu’Helvetia Environnement. Plus délicat, trois des quatre membres de la direction de Metawaste sont également membres de la direction de HE: Vincent Chapel (lire encadré), Jean-Pierre Tetaz et Anne Le Manac’h. Dès lors, on comprend la réticence des acteurs du recyclage à partager leurs tarifs avec Metawaste.

Les 15 entreprises membres des Recycleurs de Genève, association de laquelle Helvetia a démissionné, prennent position, par l’intermédiaire du secrétaire patronal Milos Blagojevic: «Metawaste propose une plateforme payante. Ce nouveau tableau de bord est censé compiler les données, permettre au client une diminution des coûts en mettant en concurrence les différents intervenants. A court terme, les prestataires de services risquent de perdre leurs clients. Chacun cherchera à battre le marché, avec des effets néfastes sur le plan écologique. A long terme, Metawaste sera en possession de toutes les données d’un client, ainsi que des tarifs des prestataires, ce qui n’est pas souhaitable sur un plan concurrentiel.»

Ce modèle se développant dans toute la Suisse ne plaît pas plus dans les autres cantons romands. «Si vous participez, vingt minutes plus tard, vos tarifs seront aux mains d’Helvetia», note un recycleur vaudois préférant rester anonyme. Même scepticisme du côté d’un spécialiste du tri et déchets de Neuchâtel: «Certains participent car ils ne peuvent pas faire autrement, mais sans oser le dire.» Le malaise s’étend jusqu’à Zurich.

Tourisme des déchets

Eric Girardet, sous-directeur chez Cand Landi, une société de 240 collaborateurs, traite notamment les déchets d’Yverdon. Il est allé à la rencontre de Metawaste. «On n’aura pas le choix, relève-t-il. Je me suis rendu dans leurs bureaux pour expliquer que je n’étais pas très chaud à l’idée de partager mes tarifs avec ceux d’Helvetia, puisque ce sont les mêmes patrons que Metawaste. Ils m’ont assuré que ce serait un bon partenariat. J’ai reçu ensuite un courrier me disant d’envoyer ma facture non plus à mon client, mais à Metawaste. Et la semaine dernière, j’ai reçu une demande de Metawaste pour un appel d’offres d’un gros compte que j’ai déjà comme client en direct. On a le couteau sous la gorge.»

La question du tourisme des déchets, potentiellement accentué par ce modèle, revient en force auprès des intervenants interrogés. La société de Carouge avait déjà été épinglée à ce sujet par la RTS fin 2021. Depuis, la certification B Corp est venue poudrer le nez de la mariée.

Les Recycleurs de Genève évoquent également un dégât d’image possible pour le client qui conserve un devoir de contrôle. «Les risques d’atteinte à l’environnement en cas de recours à des exutoires plus polluants, car uniquement choisis pour des gains financiers, existent. Les circuits courts seraient alors mis de côté sans penser aux économies de CO2», souligne la faîtière genevoise. La solvabilité du prestataire de même que la protection des données sont deux éléments également mentionnés.

Bertrand Girod, CEO de Serbeco, résume la problématique de l’arrivée de la plateforme. «Nous ne collaborerons pas pour des questions de valeurs. L’ubérisation d’un marché comme celui du recyclage est peut-être inéluctable. Mais que les acteurs qui développent cette activité soient aussi ceux qui sont les prestataires de services pose la question de la transparence et de l’accès aux données confidentielles.»

Contactée, la Commission de la concurrence (Comco) rappelle la loi sur les cartels: «Celle-ci prohibe certains accords entre entreprises ainsi que les comportements d’entreprises ayant une position dominante. Certains échanges d’informations entre entreprises concurrentes peuvent constituer des accords illicites au sens de cette loi.»

Franck Stüssi, directeur suppléant du secrétariat de la Comco, précise un élément qui n’a pas échappé aux sociétés du recyclage: «L’obtention par Helvetia Environnement, au travers de Metawaste, d’informations sensibles, comme les prix pratiqués par ses concurrents pour certains services, pourrait ainsi être illicite, selon la loi sur les cartels. La Comco ne dispose en l’état pas d’informations selon lesquelles Metawaste serait organisée de telle sorte à permettre, voire favoriser la transmission de données sensibles à Helvetia Environnement et part du principe qu’une séparation stricte est mise en place. La Comco pourrait toutefois intervenir si elle recevait des informations contraires.»

«Nous ne sommes pas un casseur de prix»

Vincent Chapel, actionnaire de Metawaste et administrateur d’Helvetia Environnement, répond aux critiques liées au développement de l’entreprise Metawaste, dont il est également actionnaire, par l’intermédiaire de la structure de tête Helvetia Environnement Groupe.

Vincent Chapel, vous êtes un concurrent de nombreuses entreprises de collecte et de valorisation des déchets avec HE alors que vous réalisez pour Metawaste des appels d’offres pour vos clients auprès de vos concurrents. Les craintes peuvent paraître légitimes, non?

Avec Metawaste, nous opérons pour des grandes entreprises au niveau national ou international, comme Nestlé, Manor, Jumbo, Accor Hotels et bien d’autres. Nous leur proposons un service qui n’existait pas auparavant, à savoir la gestion globale de leurs déchets, via une plateforme digitale. Celle-ci offre une vision globale et un contrôle total du processus de gestion des déchets en temps réel. Dans ce cadre, il est vrai que nous reprenons aussi les appels d’offres auprès des entreprises de ramassage, de traitement et de valorisation des déchets. Chaque acteur du secteur est libre de répondre ou non aux appels d’offres que nous lançons pour le compte de nos clients. A ce jour, 120 partenaires ont choisi de le faire et collaborent avec Metawaste.

Vous récoltez néanmoins des informations lors de ces appels d’offres sur les prix pratiqués par vos concurrents alors qu’Helvetia Environnement participe aussi à ces appels d’offres…

Je suis actionnaire d’HE mais je ne suis pas impliqué dans la direction opérationnelle de l’entreprise. Elle fonctionne de manière indépendante et n’a pas accès aux informations transmises à Metawaste.

Des rumeurs de vente d’HE à Aldi, Lidl ou Paprec circulent. Si elles se confirmaient, cela permettrait de stopper les critiques. Etes-vous en négociation avec des acquéreurs potentiels?

Je peux vous dire que nous ne sommes pas en discussion avec les entreprises citées. Par contre, je confirme que le capital d’Helvetia Environnement va évoluer dans les prochains mois, comme il a déjà évolué par le passé.

Vos concurrents affirment aussi que vous êtes en train d’ubériser la gestion des déchets. Ces critiques sont-elles fondées?

Non, pas du tout. Metawaste n’est pas un casseur de prix. Nous sommes un opérateur unique de la gestion des déchets, un tiers de confiance, et nous offrons un système de traçabilité et de transparence à nos clients. Ils paient pour ce service à haute valeur ajoutée qui leur permet d’économiser de nombreuses ressources en interne. En résumé, nous leur facilitons la vie. Nos clients ne travaillent pas avec Metawaste dans la seule optique d’économiser de l’argent, mais surtout pour améliorer leur durabilité et disposer d’un tableau de bord précis de pilotage de leurs actions en matière de gestion des déchets. Vous savez, plus aucune grande entreprise aujourd’hui ne prend les questions de durabilité à la légère, elles ont besoin de pouvoir vérifier, monitorer et communiquer sur leurs actions dans ce domaine. C’est ce que nous leur offrons pour leurs activités en Suisse et à l’international.