A peine 6,9% des matières utilisées en Suisse proviennent de sources secondaires telles que le recyclage, établit le récent rapport «Circularity Gap Report Switzerland», soit loin derrière les Pays-Bas (24,5%), montrés en exemple. «Il faut créer de nouveaux modèles d’affaires pour rendre l’économie plus verte, plus sociale, tout en étant rentable. Plus de 217 millions de francs, un montant qui devrait être en principe doublé par les cantons, seront disponibles pour encourager les projets circulaires dans les huit prochaines années», souligne Sabine Kollbrunner. La codirectrice de la politique régionale et organisation du territoire du Seco lance ce chiffre comme un appel à l’action, à l’occasion de la conférence Eusalp qui s’est tenue fin mars à Fribourg.

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Mais concrètement, qu’est-ce que l’économie circulaire pour une entreprise? Trois leviers d’optimisation sont privilégiés: les circuits d’eau, les ressources matérielles et les transports. Des exemples de circularité en Suisse? A Erstfeld (UR), la start-up Basis 57 exploite l’eau chaude provenant du Gothard pour élever des sandres. A Bulle, la biotech UCB Farchim (500 collaborateurs), très gourmande en eau, a réussi à réduire son empreinte CO2 de 50%, notamment grâce à un circuit de récupération et de traitement de ses eaux usées.

Une nécessité économique

Les entreprises ont tout à gagner à devenir circulaires. «Outre la compétitivité et l’impact de réduction du CO2, le prix des matières premières et leur pénurie font que la circularité devient une nécessité économique», estime Jerry Krattiger, directeur de la Promotion économique du canton de Fribourg, citant en exemple Morand Constructions Métalliques, qui a posé l’été dernier à Rossens la première charpente en acier décarboné de Suisse, soit de l’acier 100% recyclé produit dans un four à arc électrique. L’empreinte CO2 est divisée par sept par rapport au modèle classique, cela pour un coût de 2 à 4% supérieur seulement, mais réduisant clairement les problèmes d’approvisionnement, cela à un moment où le prix de l’acier s’envole.

Autre exemple, dans l’agroalimentaire, celui des poulets. «Un poulet suisse sur quatre est transformé dans le canton de Fribourg, signale Jerry Krattiger. Cela fait beaucoup de plumes, donc beaucoup de kératine qui pourrait servir à la fabrication de films plastique pour l’emballage de la volaille.» Une solution qui fait sens sachant que 12 500 tonnes de plumes sont brûlées chaque année en Suisse. Le projet est à l’étude. On parle alors de «valorisation d’un co-produit».

Les secteurs industriel et agroalimentaire aussi concernés 

Les réflexions sont nombreuses dans l’agroalimentaire, qui génère 2,5 mégatonnes de déchets alimentaires par an en Suisse, dont deux tiers seraient évitables, notamment lors du traitement ou de la consommation du produit. Lowimpact Food s’est attaquée à cette problématique. Simon Meister, cofondateur de la start-up produisant des vers de farine comestibles, résume son modèle circulaire: «Nous réutilisons la drêche de brasserie et les déchets des pressoirs pour nourrir des vers. Ceux-ci sont deux fois plus riches en protéines que le bœuf et surtout bien moins polluants à la production. On les mange sous forme de snack, de poudre protéinée ou de pâtes enrichies. Le marché est là, même s’il y a encore une barrière psychologique à franchir en Suisse. C’est comparable au poisson cru il y a quelques années, pourtant aujourd’hui tout le monde mange des sushis.»

L’industrie, aussi, entame timidement sa mue. Bobst est conscient du potentiel de réduction de ses émissions de CO2. Raison pour laquelle le spécialiste mondial de l’emballage automatisé a créé, en 2022, le poste de Cédric Junillon, chef de projets durabilité. «Il y a plusieurs actions possibles pour Bobst, comme permettre des emballages optimisés au produit avec des matériaux allégés et recyclables ou repenser la fin de vie de nos machines, explique-t-il lors de la journée Recherche et Innovation de la HEIG-VD à Yverdon.  L’idée est que le business model ne dépend plus de la seule vente de machines mais aussi des services, entre autres, pour les réparer et les transformer afin de les rendre efficientes énergétiquement et durables.» 

A noter que la France a instauré en 2021 l’indice de réparabilité des produits. La Commission européenne vient d’ailleurs d’établir un texte pour un droit à la réparation d’objets tels que téléphones et TV pour une durée de cinq ans. L’Autriche, elle, a instauré le bonus à la réparation, un fonds prenant en charge 50% du prix de la réparation. Un modèle lancé en 2022 et qui a été utilisé 450 000 fois en six mois. Preuve que le prix est un frein à la réparation. La Suisse, elle, hésite, malgré les interventions de François Marthaler, des Verts vaudois, notamment.

Des modèles rentables et créateurs d'emplois

Chez Spontis, PME vaudoise de logistique pour les gestionnaires de réseau de distribution d’énergie (GRD), la mutualisation et la récupération des appareils ont toujours fait partie de son ADN. Aujourd’hui, l’entreprise va plus loin avec un projet soutenu par Innovaud. «Le changement des compteurs électriques représentait des milliers de pièces à jeter. Nous avons réfléchi à comment les revaloriser. Deux ateliers protégés assurent le démontage et la récupération des différents composants. Le plastique est soumis à la pyrolyse pour en extraire une huile servant de carburant ou de source d’énergie. Les résidus de ce procédé peuvent être utilisés dans le ciment», résume Christophe Pot, CEO de Spontis. Coop, Migros et plusieurs agriculteurs générant des déchets plastique se sont joints au projet.

«On ne va pas gagner des millions, mais c’est une opération blanche pour les GRD, souligne le dirigeant. C’est la preuve qu’on peut être rentable, faire de l’économie circulaire et créer des emplois. Par ailleurs, notre entreprise était très peu connue et, avec ce projet, nous avons généré énormément de visibilité. Nous avons aussi attiré des talents, comme une ingénieure en environnement qui a rejoint notre équipe.»

Le secteur de la construction doit également penser circulaire, notamment avec l’entrée en vigueur en 2021 de la nouvelle loi fédérale sur les marchés publics (LMP). Le prix n’est plus le seul déterminant; l’économie circulaire, notamment dans les achats, doit être prise en compte. Mais les habitudes sont tenaces. Pourtant, avec Wood-ID, Enoki démontre qu’on peut construire avec moins. Déjà récompensée pour son pavillon autonome, la start-up a lancé en 2021 des espaces de travail en kit. Ces constructions modulables peuvent accueillir de quelques collaborateurs à toute une équipe.

«Outre le bois suisse, nous réutilisons des luminaires que nous adaptons aux exigences actuelles, présente Axelle Marchon, CEO d’Enoki. Nous poussons le concept jusqu’au réemploi de sanitaires. Je vous assure, ils sont comme neufs, sauf qu’ils proviennent d’une bourse de matériaux.» Eviter au maximum l’énergie grise et mettre en place une structure démontable et transformable, telle est leur optique.

Enfin, pour rassembler tous les acteurs nécessaires à l’économie circulaire, quoi de mieux que l’intelligence artificielle? Jon Goriup, cofondateur de la plateforme VCG.AI, pour Value Chain Generator, l’a très bien compris: «L’IA analyse les données des entrants et des sortants d’une chaîne de production. Elle détermine les possibilités de gains pour chaque flux de matériaux, cela par secteur d’activité et en fonction de votre marché.»

Les outils et les plateformes

Les programmes pour les PME 
Des moyens ont été débloqués pour aider les PME à entrer dans la circularité par le biais de projets NPR (Regiosuisse), transfrontaliers (Interreg), auprès de l’OFEN ou d’Innosuisse. Le programme Eco21 des SIG propose également des solutions ou des aides pour améliorer son efficience énergétique et sa gestion des déchets.

Une liste non exhaustive 
On peut encore citer de manière non exhaustive: la Fabrique Circulaire, destinée aux PME et à leur mise en relation, Circular Economy Switzerland, qui partage formations et podcasts, la plateforme intercantonale Star’Terre pour l’agroalimentaire, l’Ecoparc de Daval à Sierre, qui fait de l’économie circulaire l’un des critères pour rejoindre ce parc industriel, ou encore le site suisse NoOPS, qui lutte contre l'obsolescence programmée.