Il est sur tous les fronts: les coûts de la santé, les tarifs postaux et des transports publics, les prix du gaz et des produits alimentaires, mais aussi les taxes sur l’eau, les eaux usées et les déchets… S’inspirant de ce qui se passe dans plusieurs pays étrangers. Stefan Meierhans, le surveillant des prix, plaide aussi pour une refonte du droit de la concurrence en Suisse. En poste depuis quinze ans, passionné par son travail, il est bien placé pour lancer et nourrir le débat.

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Pourquoi avez-vous pris l’initiative d’organiser à Berne un sommet sur le pouvoir d’achat?

D’abord, le nombre des doléances a encore augmenté comparativement au premier semestre 2022. Mais c’est aussi leur contenu qui a changé. Il y a quelques années, on nous interpellait le plus souvent sur des points particuliers ou anecdotiques. Aujourd’hui, la population – les milieux modestes mais aussi la classe moyenne – fait face à des soucis que je qualifierais d’existentiels. Les gens qui m’écrivent se plaignent de l’augmentation des loyers, des primes d’assurance maladie et des prix des produits alimentaires, sans oublier les tarifs de l’électricité et des énergies en général qui font tourner le moteur de la société et de l’économie. Nous nous trouvons face à un vrai risque de crise sociale.

Vos autres motivations?

Je suis en contact étroit avec les organisations de défense des consommatrices et des consommateurs dans les trois régions linguistiques. Depuis quelque temps, j’ai le sentiment qu’une action commune sur le plan national n’a jamais été aussi nécessaire. Ajoutez à cela un taux d’inflation comme nous n’en avons plus connu depuis quinze ans. Le moment est venu de s’unir et de s’organiser pour régler les problèmes qui ont une incidence directe sur notre porte-monnaie.

«La déflagration est annoncée, mais la bombe n’a pas encore explosé.»

 

Mais l’inflation est plutôt en recul?

On reste sur une pente glissante. Les primes maladie vont augmenter cet automne, même si on ne sait pas encore exactement de combien. La dernière augmentation du taux hypothécaire de référence a eu lieu début juin. Suite à cela, les loyers vont encore augmenter. On ne peut pas exclure non plus une nouvelle hausse des taux d’intérêt de la part de la BNS. On sait déjà que les prix de l’électricité vont eux aussi prendre l’ascenseur. La déflagration est annoncée, mais la bombe n’a pas encore explosé.

Quelle est votre priorité?

L’an passé, nous nous sommes plus particulièrement concentrés sur la hausse des prix par les distributeurs d’énergie (essence, gaz, mazout, chaleur à distance, bois…). Désormais, nous mettons le focus sur les entreprises pour déterminer si les hausses de prix qu’elles annoncent se justifient par une hausse de leurs coûts (y compris ceux liés à l’adaptation des salaires à l’inflation…) ou si elles profitent de la situation pour augmenter leurs marges.

Et le choix des participants à ce sommet?

Nous voulons d’abord réunir les organisations de défense des consommatrices et des consommateurs. Mais nous allons bien évidemment travailler avec tous les milieux concernés. J’ai aussi souvent des échanges avec Economiesuisse, l’Usam, le Centre patronal vaudois, la Fédération des entreprises romandes, les syndicats… Il n’est pas exclu que d’autres rassemblements de ce type suivent.

Dans une interview dans le SonntagsBlick, vous en appeliez à repenser le droit de la concurrence en Suisse. Vaste programme…

Je suis en contact avec les autorités de la concurrence en Autriche, en Norvège, en Grande-Bretagne… où le droit de la concurrence et la concurrence en elle-même sont au centre des préoccupations. Dans tous ces pays, les autorités ont la possibilité de faire des enquêtes sectorielles.

En quoi consistent-elles?

Ces instances ont la compétence d’examiner le degré de concurrence et les faiblesses d’une branche ou d’un marché et de proposer ensuite des remèdes pour améliorer leur fonctionnement. Le ministre allemand de l’Economie, Robert Habeck, vient de faire passer au Bundestag une grande réforme qui renforce également les enquêtes sectorielles en donnant de nouveaux pouvoirs d’intervention au régulateur à la suite de ce type d’investigation. Poser un diagnostic et proposer des remèdes, voilà la méthode. Sur le plan européen, la législation sur les marchés numériques (Digital Markets Act) vise à prévenir des atteintes à la concurrence sur un marché particulièrement vulnérable aux concentrations de pouvoir.

Et en Suisse?

La discussion sur ces tendances de fond n’a pas vraiment lieu et nous sommes en train de prendre du retard en matière de concurrence. Prenez l’exemple de notre enquête sur les marges de la grande distribution sur les produits bios. Sur la base de la loi actuelle, je peux faire des observations de marché. Mais pour avoir accès aux données nécessaires, ça reste compliqué et fastidieux si les entreprises ne coopèrent pas. Idem avec la publication de nos résultats, comme en témoigne la résistance du groupe Migros à notre rapport sur le bio.

Vous dites avoir été choqué…

En principe, un marché libre et qui fonctionne correspond à l’intérêt général. Pour ce faire, les acteurs de ce marché se doivent de travailler avec l’autorité compétente. En toute transparence. Concrètement, je n’ai pas, aujourd’hui, un accès garanti aux informations couvertes par le secret des affaires lorsqu’il s’agit de tiers participant au marché, et non des entreprises puissantes sur le marché. Pour établir un diagnostic solide dudit marché, vous devez pouvoir obtenir toutes ces données, tout en protégeant, c’est l’évidence, leur confidentialité.

Quelle est, au final, la conclusion de votre enquête sur les marges du bio?

Le double objectif de cette enquête était de déterminer si les prix sur ce segment de marché sont abusifs. Et si la concurrence fonctionne ou pas. Je n’ai pu donner de réponse ni positive, ni négative à ces deux questions.

Bio express
  • 1968 Naissance à Altstätten (SG).
  • 1998 Doctorat en droit à l’Université de Bâle après des études qui l’ont aussi amené en Norvège et en Suède. Entre au Département de justice et police, dirigé par Arnold Koller puis par Ruth Metzler.
  • 2003 Rejoint les corporate affairs de Microsoft, où il croise Bill Gates.
  • 2008 Nommé Monsieur Prix par le Conseil fédéral.

La suite des opérations?

Nous poursuivons notre enquête et nous allons même l’élargir à l’ensemble des produits alimentaires en nous inspirant de ce qui se passe à l’étranger. En Norvège, le gouvernement a défini un plan en dix points pour améliorer la concurrence dans le domaine alimentaire dominé non pas par un duopole du type Migros-Coop comme en Suisse, mais par un triopole. La France, elle, a mis sur pied un Observatoire de la formation des prix et des marges. Une initiative parlementaire propose un outil comparable qui permettrait de lutter contre l’opacité. La concurrence est le meilleur surveillant des prix. Mais on observe dans notre pays des tentatives pour la limiter. En Suisse, le combat pour la transparence ne fait que commencer.

La Commission de la concurrence (Comco) a donné son feu vert en 2007 au rachat de Denner par Migros. Comment la situation concurrentielle a-t-elle évolué depuis?

La Comco fondait sa décision sur l’hypothèse que l’arrivée réussie d’Aldi et de Lidl allait ébranler le duopole Migros-Coop. A l’époque, les deux groupes contrôlaient ensemble environ 85% du marché. Quinze ans plus tard, ils tiennent encore près de 80% du commerce de détail. Et Denner reste le plus gros discounter devant les deux challengers allemands. En termes de concurrence, la donne n’a donc pas vraiment changé.

Quel est le partage des tâches entre la Surveillance des prix et la Comco?

Ces deux organes sont complémentaires. En deux mots: la Comco crée les conditions de la concurrence quand c’est possible. La Surveillance des prix, elle, empêche des prix abusifs là où la concurrence n’est pas possible.

Un exemple récent?

Sur les tarifs des transports publics, le Conseil fédéral vient de confirmer qu’il ne veut pas de concurrence. Par exemple avec la SNCF ou les Chemins de fer fédéraux autrichiens (OBB).

Justement, vous êtes intervenu pour limiter les augmentations de tarifs dans les transports publics…

Nous avons conclu un accord à l’amiable avec la branche, qui a maintenu les prix de l’abonnement général en dessous de 4000 francs. Je suis parvenu au même type d’arrangement avec La Poste sur la tarification des lettres et des colis. Ce qui équivaut en tout à une économie de plus de 100 millions de francs par an pour le consommateur.

«Pour les médicaments génériques, les Suisses paient plus du double des prix européens. Pour un simple examen sanguin, le tarif est même 31 fois plus élevé qu’en Allemagne sans aucune justification.»

 

Le concept d’îlot de cherté reste-t-il pertinent?

Prenez la santé. Pour les médicaments génériques, les Suisses paient plus du double des prix européens. Pour un simple examen sanguin, le tarif est même 31 fois plus élevé qu’en Allemagne sans aucune justification. Donc oui, ça reste très pertinent.

L’an passé, au moment de l’annonce des primes maladie, vous citiez la chanson du groupe de rock Oasis «Don’t Look Back in Anger» pour manifester, une fois de plus, votre frustration…

Je faisais partie du groupe d’experts qui a proposé, en 2017 déjà, un plan pour limiter la hausse des coûts de la santé. Cinq ans plus tard, aucune des mesures qui feraient une vraie différence n’a été adoptée. Notamment notre proposition d’un prix de référence pour les médicaments qui inciterait à opter systématiquement pour des génériques. Une fois de plus, le lobby de l’industrie pharmaceutique a réussi à faire prévaloir ses intérêts. Ou encore: nous avons certes obtenu une baisse linéaire des tarifs des analyses médicales qui permet des économies de 140 millions de francs par an. Mais c’est insuffisant.  En ce qui concerne les tarifs hospitaliers, je demande un changement de loi urgent afin que notre benchmarking annuel puisse enfin développer tous ses effets. Tant que les cantons profiteront de leur marge de manœuvre dans la fixation des tarifs pour favoriser leurs propres établissements, ils contribueront à faire augmenter les coûts de la santé.

Vous êtes sur tous les fronts... Ne vaudrait-il pas mieux, par souci d’efficacité, vous focaliser sur un nombre plus restreint de domaines?

C’est une question que nous nous posons. Mais nous n’avons souvent pas le choix. Outre l’importance économique du secteur, nous devons répondre aux doléances que nous recevons. Notre travail est aussi conditionné par l’actualité. Nous avons dû revoir notre programme 2022 avec la guerre en Ukraine et la flambée des prix de l’énergie qui s’est ensuivie. Notamment celle du gaz, pour lequel il n’existe pas d’autres autorités régulatoires que la Surveillance des prix, contrairement à l’électricité, par exemple, supervisée en Suisse par l’ElCom.

Stefan Meierhans est marié à Béatrice Wertli

Stefan Meierhans est marié à Béatrice Wertli, directrice de la Fédération suisse de gymnastique, membre comme lui du parti du Centre. Le couple vit à Berne avec ses filles de 14 et 12 ans.

© DR

Quels ont été les secteurs touchés par ces changements de priorités?  

Pratiquement dans tous les domaines, les travaux se sont arrêtés et les délais de réponse se sont donc considérablement allongés, ce qui entraîne une insatisfaction palpable, notamment dans le domaine des infrastructures communales (approvisionnement en eau et évacuation des eaux usées, élimination des déchets etc…). De plus, nous avons dû suspendre plusieurs projets ou les clore provisoirement par un rapport intermédiaire certaines de nos enquêtes.  Parmi d’autres,  celles sur les stations de recharge électrique, les carburants… De manière générale, notre rôle est aussi d’anticiper d’éventuels prix abusifs plutôt que de réagir après coup.

Avez-vous assez de ressources pour faire votre travail?

Je viens de me voir attribuer trois postes supplémentaires, ce qui porte le nombre des membres de mon équipe à 20 postes à plein temps. J’en suis très reconnaissant et je n’ai d’ailleurs aucune velléité de faire gonfler nos effectifs à 40 ou 50 collaborateurs. La Surveillance des prix se doit de rester rapide et agile pour être efficace.