Vous l’aurez remarqué, la semaine de travail dure désormais quatre jours. Pas officiellement. Pas encore. Mais le jeudi soir s’arrose désormais d’un bon gros spritz en mode: «Yaay, c’est la fin de la semaine!» Et cet état d’esprit se trouve tout entier résumé dans le néobarbarisme rigolo de «jeudredi».

C’est marrant, il fut un temps où nous allions à l’école le samedi matin. En tout cas à Genève dans les années 1970. Il a fallu une votation pour que les écoliers bénéficient d’un «vrai» week-end, ce qui arrangeait les riches qui pouvaient partir vendredi soir pour aller au chalet, et faisait chmir les pauvres, qui disposaient jusque-là d’une matinée peinard sans boulot et sans gosses au moins une fois dans la semaine. C’est très schématisé bien sûr, mais pas si faux.

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A cette époque, le graal en matière de jour off au boulot, c’était le jeudi. Jour de congé des enfants. Ensuite ce fut, jusqu’à récemment, le mercredi. Les mères se retrouvaient à temps partiel avec un salaire amputé, une future retraite merdique et une chouette journée de milieu de semaine à cravacher entre rendez-vous de médecin, courses, ménage, activités extrascolaires, devoirs des enfants et, last but not least, devoir des adultes, conjugal s’entend, en nuisette satin pour le retour du guerrier, «Comment ça tu es fatiguée, t’as eu congé aujourd’hui, non?», tout cela en réglant quand même vite un truc urgent pour le boulot entre deux lessives, cela va sans dire.

Eh ben ça, camarades, c’est fini, game over. Depuis que sont arrivés le covid, le télétravail et la génération dite Z, d’abord il y a davantage de pères qui se coltinent les joies du temps partiel et, surtout, le jour de glande professionnelle s’est transposé au vendredi. Que constate-t-on? Il y a moins de monde sur les routes et dans les transports publics. Il y a moins de monde dans les bistrots à midi. Il y a moins de bébés dans les crèches. Les open spaces sont de grands espaces déserts.

En fait, les gens travaillent, mais chez eux. Et vite fait. Joindre quelqu’un après 15 heures est une épreuve de Pékin Express. Certaines boîtes paniquent. Vu les proportions, des entreprises interdisent même le télétravail le vendredi. C’est prendre le problème par le mauvais bout. La seule question qui compte est: est-ce que le boulot est fait? Si je suis au taquet le lundi avec tous mes dossiers blindés, quel est le problème avec le fait que je me sois levée un peu plus tard le vendredi matin (tête lourde après le jeudredi à l’Aperol oblige) ou que je sois allée nager au lac vers 16 heures (pour éliminer la planchette qui accompagnait l’Aperol)? Et tout à fait entre nous, on ne va pas regretter le vendredi, hein. Lorsque je travaillais dans le management, avec ma cocheffe, nous nous envoyions des musiques de salsa pour nous dire que c’était bientôt la fiesta del slip, et à ce moment-là, c’est-à-dire entre 16 et 18 heures, cela ne loupait jamais, arrivait ce que nous appelions «la bouse du vendredi». Le mail ou le téléphone qui ruine votre soirée et votre week-end tant qu’à faire, parce que c’est urgent/emmerdant/stressant/désespérant, et souvent les quatre à la fois. Je pose la question à un copain psy, il se marre: «C’est un ressort bien connu, la personne a besoin de déposer son problème pour avoir un week-end tranquille, elle. Donc elle libère sa tête avant son congé, en introduisant le souci dans la tête de quelqu’un d’autre. Alors que cela pourrait très bien attendre lundi.» Le risque maintenant, c’est que cela devienne «la bouse du jeudi».

C’est là que nous revenons à la semaine de quatre jours. Dans toute l’Europe, on fait des essais. Les femmes socialistes suisses font campagne dans ce sens. Dans notre pays, on n’a jamais été très empressé à réduire le temps de travail ou à augmenter les vacances, mais là, c’est quasi plié. Dans le secteur tertiaire (oui, car c’est plus difficile de télétravailler dans le bâtiment, les soins ou la vente et ces personnes méritent encore plus que nous la semaine de quatre jours), elle s’installe insidieusement, tranquillou, dans les esprits et dans les faits. Et un jour, comme pour le samedi matin à l’école, nos petits-enfants nous demanderont: «Ah bon mamie, sérieux, tu travaillais le vendredi?»