Lors de votre prise de fonction il y a quatorze mois, vous avez explicitement mentionné votre mari, que vous avez rencontré au Pérou. Pourquoi cela? 

Sans lui, rien n’aurait été possible dans ma carrière. Il gère le quotidien à la maison, s’occupe des paiements et de tout le reste. Mon mari est vraiment un soutien moral pour moi. Et – c’est aussi très important pour nous, les femmes – il a toujours cru en moi.

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Contrairement aux Suisses lors de votre nomination. 

J’ai toujours été partout l’outsider. J’ai bien senti la grande surprise que ma nomination a suscitée: mais qui est cette madame Budliger qui nous vient de Thaïlande? Certains de vos collègues m’ont même qualifiée d’«erreur de casting». Dès lors, cela vaut de l’or si, au sein de votre foyer, on vous dit: «Oui, tu peux le faire, fais-le, je te soutiens.»

La pandémie, la pénurie d’énergie, les sanctions contre la Russie, l’inflation: vous n’avez pas eu de période de répit depuis que vous êtes entrée en fonction. Quelle est la crise numéro un? 

Pour le Seco, les effets du covid ne sont pas encore terminés. Nous avions en effet mis en place différents instruments – les prêts, les mesures pour cas de rigueur, le chômage partiel – et nous vérifions maintenant s’ils ont été utilisés correctement ou s’il y a eu des abus. Ou si les prêts sont remboursés. Dans le cas des indemnités de chômage partiel, les délais courent parfois jusqu’à fin 2026, soit cinq ans après le dernier versement.

Vous avez 13 hommes et une femme à la direction du Seco, comment cela se fait-il? 

Je ne saurais le dire, mais c’est comme ça: on arrive dans une organisation et on travaille le mieux possible avec l’équipe existante. Je me réjouis qu’une femme expérimentée prenne en charge le domaine de la libre circulation des personnes et des conditions du marché du travail à partir du 1er octobre. C’est un poste absolument clé, notamment en ce qui concerne les discussions avec Bruxelles.

L’équipe dédiée aux sanctions sera-t-elle encore renforcée? 

Oui, nous y avons obtenu cinq postes supplémentaires au total – quatre directement dans l’équipe des sanctions, un au service juridique pour les procédures pénales administratives en cas d’infraction aux sanctions.

Où se situent les difficultés en matière de sanctions des avoirs en Suisse d’oligarques russes? 

Prouver réellement quelle est la personne qui est l’ayant droit économique. Dans le cas d’un chalet de luxe, au lieu d’un nom, le registre foncier indique une holding ou un trust qui n’est pas forcément domicilié en Suisse. Nous faisons des recherches intensives, nous examinons même les actes de divorce et les contrats de mariage dès que nous avons le sentiment qu’il y a une valeur patrimoniale que nous pouvons éventuellement associer à une personne figurant sur la liste. Mais, au final, il y a souvent une armée d’avocats qui bloquent et affirment que l’ayant droit économique est une tout autre personne (l’interview a été réalisée avant les dernières révélations sur les avoirs russes en Suisse par Tamedia et Temps présent, ndlr).

Russie
Le Seco a confirmé dans le Temps présent du 14 septembre avoir ouvert 30 procédures pénales pour des soupçons de contournement de sanctions par des entreprises suisses et procédé à 22 confiscations indépendantes en lien avec les sanctions contre la Russie. A ce jour, 7,5 milliards d'avoirs russes ont été gelés par la Confédération.

Au 1er septembre, le Seco a annoncé une réorganisation interne, en créant un nouveau grand service des sanctions, qui regroupe plusieurs départements. Serait-ce l’aveu d’une lacune dans les sanctions? 

Vous vous trompez. Lorsque la guerre en Ukraine a éclaté, nous avions déjà huit personnes chargées de mettre en œuvre les 24 régimes de sanctions existants à l’époque. L’expertise existait déjà avant. Dans le cadre de l’extension des sanctions à l’encontre de la Russie, nous avons d’abord renforcé les contrôles des exportations et des sanctions en interne. Par la suite, le Conseil fédéral nous a accordé cinq postes supplémentaires. Et maintenant, le département des sanctions s’étoffe encore de cinq personnes. Au total, nous comptons désormais 25 postes à plein temps et trois équipes, dont une nouvelle équipe «enquêtes et application»; sa première mission sera de lutter contre le contournement des embargos.

Lors de votre entretien d’investiture, vous avez souligné votre grande estime pour les PME. Qu’avez-vous fait concrètement pour ces dernières? 

Le plus important pour moi est la simplification de l’accès des entreprises aux autorités à tous les niveaux de l’Etat lorsqu’il s’agit d’obtenir des autorisations ou des renseignements. Ce guichet numérique s’appelle Easy-Gov. Nous l’avons encore développé depuis mon arrivée. En deuxième position, on trouve un outil qui doit aider les entreprises suisses à y voir plus clair dans la jungle des rapports. Les autorités européennes exigent de plus en plus de rapports d’activité. Nous voulons mieux orienter les PME dans ce domaine.

«Je m’inspire de l’Estonie, où les entreprises peuvent se renseigner numériquement sur les obligations qu’elles doivent remplir vis-à-vis de Bruxelles.»

Avez-vous un exemple à nous donner? 

Je m’inspire de l’Estonie, où les entreprises peuvent se renseigner numériquement, en fonction de leur taille et de leur chiffre d’affaires, sur les obligations qu’elles doivent remplir vis-à-vis de Bruxelles. L’objectif serait de donner aux entreprises une vue d’ensemble afin qu’elles ne rencontrent pas de problèmes avec l’Union européenne. Par ailleurs, lors de chaque mission à l’international, j’emmène des représentants de PME pour les mettre en contact avec des ministres étrangers ou des clients potentiels.

Financièrement, la Confédération n’encourage guère l’industrie, contrairement aux Etats-Unis et à l’UE, qui ont mis en place d’importants programmes de subventions. La Suisse peut-elle rester à l’écart de cette tendance?

La concurrence entre les Etats-Unis et l’UE en matière de subventions est un thème prioritaire. Dans un premier temps, nous allons réaliser des études pour savoir ce qui se cache réellement derrière ces programmes. La deuxième étape consistera à analyser leur impact sur la Suisse. Dans un troisième temps, nous évaluerons si nous devons participer à la course aux subventions.

Quelle est la probabilité que la Suisse suive le mouvement? 

Elle est faible.

Les subventions américaines influencent-elles déjà l’économie suisse? 

C’est ce que nous allons découvrir avec ces études. Certaines entreprises voient de grandes opportunités pour y implanter de nouveaux sites de production. A l’inverse, je n’ai pas pour mission d’attirer en Suisse des parcs industriels étrangers de grande envergure au moyen de subventions, par exemple des usines automobiles. Nous n’avons ni la place ni la main-d’œuvre nécessaire pour cela. Nous avons d’autres conditions que les Etats-Unis. C’est pourquoi, contrairement à certains secrétaires d’Etat de l’UE, je peux envisager l’avenir avec plus de sérénité. Nous condamnons cette concurrence par les subventions.

Vous vous êtes récemment rendue en Inde pour des négociations. Il s’agit du traité de libre-échange, bloqué depuis longtemps. Des «breaking news» à ce sujet? 

Non, mais nous sommes dans une phase intensive et espérons que nous pourrons mener à bien les négociations avec les pays de l’AELE.

Le secteur de l’industrie des machines souhaite ce traité depuis longtemps. La pharma suisse, en revanche, le bloque parce que l’Inde ne voulait pas garantir une protection efficace des brevets. Les lignes ont-elles bougé? 

L’Inde est prête à bouger. Le pays veut faire des concessions à la pharma suisse parce qu’il veut lui-même protéger ses propres inventions.

Où en sont les négociations sur l’extension de l’accord de libre-échange avec la Chine? 

Les milieux économiques ont exprimé le souhait d’une modernisation. Je suis chargée de mener de nouvelles négociations. J’ai pu obtenir un rendez-vous avec le vice-ministre chinois du Commerce, Wang Shouwen, à l’occasion de la réunion du G20 et j’espère me rendre à Pékin cette année encore.

Où en sont les règles de contrôle des investissements contre les investisseurs chinois? 

L’importance des investissements chinois en Suisse est massivement surestimée. En 2021, 143 entreprises étaient détenues par des investisseurs chinois. Cela représente 0,85% de toutes les entreprises en Suisse.

Le Seco s’oppose aux contrôles des investissements, bien que le parlement lui ait confié un tel mandat... 

Nous sommes sceptiques à ce sujet. La Suisse est la vingtième plus grande économie, mais elle n’a guère d’importance géopolitique. Jusqu’à présent, nous nous en sommes très bien sortis en étant ouverts sur le plan économique. Un contrôle des investissements serait un abandon du modèle qui nous a réussi jusqu’ici.

Les salariés s’inquiètent du fait que l’intelligence artificielle rendra de nombreux postes obsolètes d’ici cinq à dix ans. Le Seco a-t-il des estimations sur les conséquences pour le marché du travail? 

Non, nous n’avons pas étudié la question. Je comprends les craintes, mais ce qui m’inquiète, c’est plutôt le manque de personnel qualifié dû au départ à la retraite des baby-boomers. En fait, je vois plutôt des opportunités avec l’IA, comme avec mon «collaborateur préféré», Jari. Il s’agit d’un système d’automatisation des processus que nous avons développé en interne pour gérer les prêts covid. Au début, nous avions tellement de demandes qu’il nous était impossible de les gérer. Nous avons donc fait programmer Jari.

Une sorte de Siri pour le Seco? 

En quelque sorte. Le plus grand défi pour Jari a été d’obtenir un numéro personnel pour qu’il puisse se connecter de manière autonome aux systèmes informatiques et aux bases de données. Mais maintenant, jour et nuit, il ouvre des e-mails de manière autonome, reçoit des formulaires de demande, classe des documents et travaille sans jamais se plaindre. Il signale les erreurs et établit des listes Excel. Les supérieurs hiérarchiques adorent Jari!

Bio express

1965
Naissance à Zurich. Après un diplôme fédéral à l’Ecole de commerce de Zurich, elle suit une formation interne au DFAE.

2000
MBA à l’Universidad Externado de Colombia à Bogota (Colombie).

2006
Responsable des finances au DFAE puis, en 2008, directrice des ressources du DFAE.

2015
Ambassadrice de Suisse en Afrique du Sud et, en 2019, en Thaïlande.

2022
Secrétaire d’Etat à l’économie.

Fabienne Kinzelmann
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BERN, 14.8.2019. Andreas Valda, Redaktor Handelszeigung. Foto: Daniel Rihs / 13 Photo
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