S’il revient volontiers à Neuchâtel, c’est parce qu’il y a grandi, à La Béroche, village à la vue plongeante sur le lac, bien loin de la technologie. «J’ai toujours eu envie de créer quelque chose, mais c’est lors de mon apprentissage en informatique que j’ai réalisé mon amour pour l’intelligence artificielle et la science des données», explique l’entrepreneur, dont le cofondateur et CEO Alen Arslanagic a été honoré en 2018 par Forbes (dans la liste «30 Under 30») et par le Financial Times, qui a classé Visium 72e sur 1000 sociétés européennes et première de Suisse romande!

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La scale-up installée à l’Unlimitrust Campus, le nouveau pôle d’innovation de Prilly (VD), et au Technopark de Zurich est passée de 180 000 francs de chiffre d’affaires en 2018 à 3,8 millions trois ans plus tard, soit une croissance de 170%, et a quadruplé ses effectifs. Aujourd’hui, la société affiche 6 millions de chiffre d’affaires et compte 80 collaborateurs répartis entre Lausanne, Zurich, la Macédoine et Valence. Elle n’a que cinq ans d’existence, avec trois cofondateurs, Alen Arslanagic (CEO), Timon Zimmermann (CTO) et Matteo Togninalli (COO), tous âgés d’une petite trentaine d’années.

Parmi la cinquantaine de clients que Visium conseille en IA, on trouve Nestlé, Roche, Novartis, Firmenich, Migros et les CFF.

A la sortie de l’école obligatoire, à 15 ans, Timon Zimmermann a commencé par un apprentissage d’employé de commerce chez Credit Suisse. Une erreur d’aiguillage. «Cette formation était trop rigide pour moi, j’ai arrêté rapidement pour m’orienter vers un CFC en informatique. J’ai enchaîné avec un bachelor en sciences des données à l’EPFL. C’est là que j’ai rencontré Alen Arslanagic, avec qui j’ai créé, à 23 ans, AllCharities, une plateforme de crowdfunding mettant en lien des stars avec leurs fans pour soutenir des projets caritatifs. Difficile toutefois d’en vivre en parallèle de nos études. On a donc redonné le bébé à un philanthrope.»

Les deux étudiants restent en contact. Entourés d’amis rêvant de bosser pour Google, ils prennent alors la mesure de l’immense écart qui existe entre les entreprises nées avec le numérique et celles, plus traditionnelles, qui peinent à se rendre compte de l’importance des données. C’est pourquoi, en 2018, ils décident de fonder Visium, avec comme objectif d’aider les sociétés à devenir plus compétitives grâce à l’intelligence artificielle (IA). Un concept encore flou pour beaucoup il y a cinq ans. «On a démarré au culot, en démarchant directement les clients et en commençant par les petites structures. Notre premier vrai meeting était une société de trading. On a présenté une page A4, on n’était pas du tout prêts, sourit-il. Pourtant, ça a marché et c’est ainsi que nous avons obtenu des références, petit à petit. Pendant un an, on ne s’est pas payé de salaire. Je travaillais en parallèle à distance pour Schlumberger, à Boston, dans le machine learning, pour financer mes études.»

Le tournant

Jusqu’à ce jour où Swiss Timing, filiale du groupe Swatch, les mandate pour de l’analyse d’images. Les dirigeants de Visium n’ont aucune idée du montant à facturer: cinq minutes avant la séance, ils élaborent un prix, sans se rendre compte qu’ils étaient encore 30% au-dessous du marché. Installé d’abord dans un local de 10 m2 de l’EPFL, Visium déménage en septembre 2018 dans de vrais bureaux et engage non plus des stagiaires mais des ingénieurs et un commercial. «Cela a été notre plus grosse prise de risque, car, jusque-là, on avait très peu de coûts fixes», mentionne le cofondateur.

Survient alors un coup de massue: Timon Zimmermann est contraint de partir finir ses études à Zurich, chez Oracle, car l’EPFL lui interdit, au dernier moment, de faire une thèse en travaillant dans sa propre société. «L’EPFL clame qu’elle encourage l’entrepreneuriat mais, dans les faits, il y a une énorme différence entre le discours et la réalité. Heureusement qu’Oracle m’a immédiatement dit oui.» Pendant six mois, le Neuchâtelois travaille la nuit pour Visium et la journée pour le groupe américain de gestion de bases de données. «C’était une période très intense et Visium a frôlé la banqueroute. Nous avons appelé les clients pour leur demander de nous payer en avance et, heureusement, beaucoup ont accepté.» En mars 2019, le CTO revient à Lausanne et Visium signe avec Firmenich. Le début de la success-story.

Les spécialistes en intelligence artificielle aident le parfumeur à générer des formules pour créer des parfums de manière semi-automatisée. Firmenich possède des données historiques que l’IA sauvegarde et analyse pour développer des fragrances nouvelles, biodégradables ou moins coûteuses. «L’IA est une sorte de nez artificiel, qui travaille sur la base de connaissances acquises depuis des générations», résume-t-il. La même approche de pilotage par les données est mise en place dans l’industrie traditionnelle pour le contrôle qualité, notamment, avec des analyses vibratoires et des capteurs permettant de vérifier la conformité d’une pièce.

Croissance qui explose

Très actifs, les cofondateurs de Visium participent au hackathon AI for Good de Microsoft. Ils y présentent un filet intelligent dépolluant les océans des plastiques flottants. L’impact est quasi immédiat: de nouveaux contacts et une visibilité accrue. Les projets s’enchaînent. En 2022, Visium affiche une croissance de 40%. L’arrivée de ChatGPT en 2023 multiplie encore les sollicitations. L’ouverture annoncée d’un bureau aux Etats-Unis en juin dernier est toutefois reportée. «Nous avons grandi très vite et nous ne souhaitons pas construire un château de cartes. C’est difficile d’annoncer aux collaborateurs qu’il faut patienter, mais nous devons également solidifier notre structure en interne», souligne le Neuchâtelois.

Si, il y a cinq ans, Visium devait continuellement expliquer l’intérêt de l’IA, aujourd’hui, Timon Zimmermann observe la tendance inverse. «ChatGPT a créé des attentes démesurées: certains clients pensent qu’on peut tout faire avec l’IA. Il faut rester critique face à cette intelligence. J’aimerais qu’on se méfie plus des données, car déceler le faux devient beaucoup plus compliqué avec les biais générés par l’IA. Il existe un illettrisme de la statistique et de la data et il serait urgent d’éduquer les entreprises et la population dans ce domaine. Aujourd’hui, la technologie va plus vite que la prise de conscience des utilisateurs», relève-t-il.

Un chantier à réguler

Participant à des échanges avec la Confédération et les hautes écoles sur la possible régulation de l’IA en Suisse, Timon Zimmermann ne cache pas l’énorme chantier qui attend les régulateurs. «L’European AI Act est en train de classifier la dangerosité des algorithmes. Il est également essentiel de définir les responsabilités lorsqu’une décision est prise par l’IA, poursuit-il. Visium travaille beaucoup avec l’industrie médicale. En cas d’accident avec un produit, qui est responsable? L’ingénieur qui a fait la formule, l’IA qui l’a aidé ou le vendeur?» Des questionnements qui font partie du quotidien de la scale-up qui travaille avec un comité d’éthique, composé de collaborateurs extérieurs à la direction tirés au sort, pour évaluer les projets. Ainsi, Visium a fait le choix de ne pas travailler avec des sociétés actives dans l’armement.