C’est dans ce bâtiment discret du Crêt-du--Locle (NE) que naissent littéralement cartes Visa, Mastercard, pièces d’identité ou encore certificats d’authenticité de montres. N’y entre pas qui veut. Passeport, empreintes digitales et signatures à l’entrée et à la sortie sont requis. Chaque porte a un double système sécurisé, qu’une seule personne franchit à la fois, munie de son badge. Bien sûr, aucune fenêtre du bâtiment ne s’ouvre.
Pourquoi de telles mesures de sécurité? Parce que la société NiD, qui appartenait autrefois à Kudelski (sous le nom de Nagra ID), héberge les données bancaires cryptées de millions de personnes, cela pour une durée de trente jours au maximum. Le site abrite notamment un data center de 170 serveurs physiques ou virtuels et toutes les machines nécessaires à fabriquer les précieux sésames de votre vie quotidienne.
Plus d'une centaine de banques suisses
Sur les murs, des affiches rappellent les règles de cybersécurité. «Les données sensibles sont notre quotidien, c’est pourquoi nous faisons des tests de phishing pour les collaborateurs plusieurs fois par an», explique le CEO, Gilles Beljakovic, qui note que son entreprise n’a heureusement été victime d’aucune intrusion jusqu’à présent.
«Nous travaillons avec plus d’une centaine de banques en Suisse, de la plus petite aux plus grandes, précise le directeur général. Nous produisons entre 5 et 6 millions de cartes à puce par an, un volume réparti entre le domaine bancaire, les gouvernements et le luxe. Nous ne fabriquons en principe pas les cartes de fidélité des commerces ou les ski-passes, qui ne nécessitent pas un tel environnement de sécurité.»
Sur l’une des plateformes robotisées, on découvre les passeports d’un pays de l’Union européenne dont on taira le nom, par souci de confidentialité. Etonnamment, la Suisse commande ses pièces d’identité à l’étranger, auprès du groupe français Thales qui a racheté le groupe suisse Trüb en 2015. «Nous sommes prêts pour le prochain appel d’offres de la Confédération», déclare le directeur de la PME de 70 collaborateurs, qui compte 98% de clients helvétiques.
NiD dispose d’un positionnement unique en Suisse, car elle est la seule à fabriquer de bout en bout des cartes à puce, d’où sa certification «Swiss Label». «Il y a quelques années, la pose de l’antenne (un fil de cuivre au cœur de la carte, ndlr) se faisait en Asie. Nous avons investi dans deux machines à fil de cuivre pendant le covid, relocalisant cette étape de fabrication. Nous réalisons ainsi 100% de nos produits en Suisse, ce qui nous rend beaucoup plus flexibles et rentables», poursuit-il. La machine en question ressemble à une tricoteuse avec des bobines de cuivre. Elle fixe une puce sur la carte et semble y tisser l’antenne, un dispositif invisible pour l’utilisateur mais indispensable pour le paiement sans contact.
Mise en place d'un système de récupération
Le processus de fabrication complet dure de six à douze semaines, jusqu’à l’envoi au client d’une carte personnalisée. Sur des plaques, on peut voir le découpage des cartes. Le cheminement est précis: sérigraphie, impression avec des encres bios ou sécuritaires, séchage, effet mat ou brillant, laminage à chaud ou à froid des cinq couches que comprend une carte à puce et incrustation de l’hologramme de sécurité. Chaque élément est ensuite soumis à un contrôle par une intelligence artificielle, suivi d’un test qualité par l’humain. «Pour l’instant, l’IA ne voit pas tout ou elle est trop pointilleuse, rejetant de bonnes cartes, ce qui génère des déchets inutiles», note Gilles Beljakovic.
En toute fin de parcours, la puce et les informations personnalisées sont apposées, puis activées, et la carte est envoyée directement au client. A noter que l’entreprise génère également les codes NIP bancaires. La maîtrise de la totalité de la fabrication a permis à l’entreprise, qui fêtera ses 50 ans en 2026, de travailler sur le composant principal de la carte: le matériau plastique PVC. NiD a développé des cartes en PVC recyclé, en amidon de maïs et même en bois. Ces trois produits sont certifiés et commercialisés depuis un peu plus d’un an. Aujourd’hui, 85% des cartes de l’entreprise sont en PVC et 15% dans d’autres matériaux.
La PME de La Chaux-de-Fonds n’est pas la seule à produire des cartes en bois, mais la méthode diffère d’un fabricant à l’autre, tout comme la qualité. Pour NiD, pas moins de 75 tests chimiques, en étuve et de pliage ont été effectués afin de certifier le modèle en bois. «Deux autres certifications sont prévues cette année: la carte en plastique issu des océans et celle en papier cartonné, s’enthousiasme le CEO en présentant un prototype. Le fournisseur de papier est basé en Suisse. Nous prévoyons que nos clients auront migré vers des matériaux écoresponsables d’ici à quatre ans. Mastercard a déjà annoncé que dès 2028 toutes ses cartes devront être en matériaux durables ou recyclés.»
Pour assurer le recyclage, la société a mis en place en 2022, avec son fournisseur de PVC du nord de l’Italie, un système de récupération des cartes anciennes et des déchets PVC de production. «Pour une carte échue, la meilleure chose est de la redonner à sa banque. Celles-ci nous les envoient. Le plastique est séparé des encres, le cuivre est réutilisé. Nous récupérons ainsi près de 10 tonnes de PVC par an», souligne-t-il. En toute fin de cycle, le PVC trop usagé est fondu pour être transformé en tuyaux de construction.
La carte à puce n'a pas dit son dernier mot
Ce n’est pas la première fois que l’entreprise se montre précurseur. En 2017, elle avait couvert son toit de plus de 2000 panneaux photovoltaïques, devenant la plus grande centrale PV du canton. «Nous sommes un gros consommateur d’énergie, explique-t-il. Mais nous avons réussi à réduire de 45% notre consommation d’électricité en sept ans, passant de 2 millions de kW/h par an à 1,1 million en 2023. Plus de 50 mesures de réduction de notre consommation ont été adoptées, notamment un système de free cooling pour notre circuit de laminage. Dès qu’il fait moins de 17,6°C dehors, nous ventilons avec l’air extérieur.» Autres exemples qui ont permis un retour sur investissement en moins de six mois: le remplacement de 1200 ampoules en LED et la suppression d’un luminaire sur deux. Une transition énergétique que NiD poursuit, en étant accompagnée par l’Agence de l’énergie pour l’économie (AEnEC) et Planair.
La carte à puce, qui existe depuis les années 1970, ne semble pas avoir dit son dernier mot. Pourtant, de plus en plus de transactions se font directement par téléphone ou par les montres connectées. Comment NiD voit-elle son avenir? «Globalement, Visa et Mastercard sont reconnus partout dans le monde. Les gouvernements se basent sur des documents physiques pour authentifier les personnes, observe Gilles Beljakovic. Mais il est vrai que la jeune génération paie souvent par Twint et utilise de moins en moins une carte physique. Peut-être aussi que, dans le futur, un implant Neuralink d’Elon Musk remplacera les moyens de paiement! Mais on n’en est pas encore là et nos commandes sont stables. Alors on continue à améliorer la manière dont nous produisons nos cartes.»