Depuis quelques années, la start-up zurichoise GNL grandit dans l’ombre d’une autre entreprise de la basket suisse devenue célèbre: On Running. Pour Eric Braunschweiler, cofondateur, ce lien qui unit sa PME au géant helvétique est bien sûr positif. «Il nous permet de raconter notre histoire commune au départ, nous donne de la visibilité. Toutefois, il est important pour nous de montrer le chemin très différent que nous avons pris et de rappeler que nous sommes deux marques distinctes.»
Mais quel est le dénominateur commun entre On, qui emploie plus d’un millier de personnes, et GNL, avec ses quatre collaborateurs? Il s’agit du père d’Eric, Jürg Braunschweiler. Cet ingénieur de l’EPFZ a imaginé les technologies à l’origine de ces deux sociétés durant les années 1990. Alors qu’il est en Floride, lieu d’origine de son épouse, Jürg a l’idée d’inventer une semelle rappelant la sensation d’une course ou d’une promenade sur la plage. «Il a remarqué que le sable absorbait les forces de cisaillement à chaque pas, permettant au pied de glisser doucement et d’être repoussé facilement du sol», explique aujourd’hui le fils. Le Suisse commence alors à bricoler, en collant sous ses chaussures des morceaux de tuyau d’arrosage découpés. Il dépose son premier brevet de semelles «à corps creux» en 2002.
Sept ans plus tard, Jürg vend aux fondateurs d’On Running, pour un montant de 5 millions de francs selon une estimation du magazine Bilanz, son brevet pour des semelles de chaussures de running. La société connaîtra ensuite un succès retentissant. Soutenue financièrement par Roger Federer, elle entrera à la bourse de New York en 2021, pour finalement dépasser le milliard de francs de chiffre d’affaires l’année dernière.
Technologie «Glide’n Lock»
De son côté, grâce notamment à l’argent de la vente du brevet, la famille Braunschweiler développe sa propre entreprise. «Nous avons développé de notre côté les chaussures avec une semelle servant à la marche et à une utilisation dans la vie quotidienne», résume Eric Braunschweiler. La technologie, baptisée GNL pour «Glide’n Lock», sert de nom à la marque. Cette appellation fait référence à l’impression de «glissement» (glide en anglais) ressenti par le marcheur quand la chaussure entre en contact en douceur avec le sol, grâce aux coussinets rectangulaires en 3D brevetés, ainsi qu’au «verrouillage» (lock) de ces éléments d’amortissement, lorsque le pied repousse le sol.
Plusieurs années de développement sont nécessaires au père et au fils. A la suite de l’arrivée d’Eric à la direction de la société en 2016, la start-up lance son site de vente en ligne, puis ouvre une boutique à Zurich. Elle travaille également à faire connaître ses produits auprès de médecins et de commerces orthopédiques spécialisés.
«J’ai réalisé que j’avais besoin de davantage de capitaux pour développer l’entreprise. Nous avons donc procédé à trois levées de fonds entre 2021 et 2023 (montants non communiqués, ndlr).» Outre l’entreprise de capital-risque Porta Advisors, elle peut compter sur des partenaires de renom. Marc Forster, réalisateur et producteur suisse installé à Hollywood, devient ambassadeur et investisseur de la marque.
A Montreux, la Clinique La Prairie confie à GNL la fabrication d’éditions spéciales à deux reprises, en 2019 et 2023. Pour Simone Gibertoni, CEO de La Prairie, c’est la technologie des semelles et leur «confort exceptionnel» validés par des laboratoires sérieux qui l’ont convaincu. «Nous ne voulions pas commander n’importe quelles chaussures de running, nous cherchions à proposer une vraie innovation à nos clients», explique le directeur de l’établissement montreusien, qui cible quatre domaines: médical, nutrition, bien-être et mouvement. Le fait que la start-up soit basée en Suisse a aussi joué un rôle. «Travailler avec une société zurichoise nous a permis de faire du codesign, en adaptant un peu la basket GNL de base, en choisissant les matériaux, etc. Nous avons ainsi pu offrir à nos clients un modèle quasi unique car disponible en un millier d’exemplaires seulement.»
Clientèle exclusivement suisse
La clientèle est constituée quasi exclusivement de Suisses «qui marchent beaucoup, veulent des chaussures qui simplifient leur quotidien et apprécient un design plutôt classique», résume Eric, aujourd’hui responsable de l’innovation et du développement produit dans la société. Pour se démarquer de la concurrence, la start-up mise sur sa semelle brevetée, mais aussi sur la qualité. «Nous attachons de l’importance à la durée de vie de nos produits et proposons des services de remplacement de semelles. Nous fabriquons la majeure partie de la chaussure en Bulgarie, à la main, à partir de matériaux achetés en Italie.»
De quelques modèles imaginés en 2016, la société est passée à une cinquantaine de produits aujourd’hui, en cuir classique, végane ou en textile. Le prix d’une paire oscille entre 195 et 270 francs. «Ce n’est pas facile de faire fabriquer autant de modèles différents, rapidement et dans une quantité limitée. La semelle est encore produite en Chine, car c’est là-bas qu’ils ont les outils de production nécessaires. Or, en 2022, en raison des blocages des chaînes d’approvisionnement avec l’Asie, la fabrication des chaussures a été arrêtée pendant près de six mois. Rendre cette chaîne plus efficiente est un des défis auxquels nous nous attaquons avec Lorenzo Sorbi, notre nouveau CEO arrivé en septembre 2023. Nous souhaitons aussi limiter le nombre de modèles différents à l’avenir, en proposant plus d’éditions limitées, valables sur un temps court.»
GNL commercialise 50% de ses produits sur internet. Le reste est vendu dans des magasins de chaussures indépendants ou orthopédiques, ainsi que dans le show-room de la marque à Zurich.
A l’heure actuelle, la société, qui a vendu 15 000 paires en 2022 et a connu ces dernières années une croissance moyenne de son chiffre d’affaires de 70%, n’est pas encore rentable. «Nous cherchons à nous développer de manière saine et pérenne sur notre marché de niche.» Afin de poursuivre sur cette voie, une expansion dans les autres pays germanophones et en Scandinavie est envisagée l’année prochaine.