Bien décidées à se réapproprier le narratif de la nouveauté face aux géants de l’industrie horlogère, de nombreuses petites marques indépendantes ne cessent d’émerger en Suisse. Et c’est peu dire que le marché est trusté par les grands acteurs du secteur: sur les 350 marques «Swiss made» recensées par le rapport sur l’industrie horlogère de Morgan Stanley et l’agence LuxeConsult en 2022, 25 enseignes réalisent 90% des ventes. Le reste, soit plus de 90% des autres marques, se bat pour les 10% restants…

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Pour Oliver R. Müller, fondateur de LuxeConsult, ces marques indépendantes parviennent d’abord à se démarquer sur le terrain du storytelling. «Elles cherchent à capitaliser sur un message personnel ou sur le narratif du petit face au grand, qui trouve un écho au sein d’un certain public. Certaines innovent aussi en suscitant l’intérêt d’une communauté et en la réunissant, par exemple autour d’un projet de financement participatif.» C’est notamment le cas de Code41, fondée en 2016 à Lausanne. La marque horlogère propose même à ses abonnés de voter sur le design et les composants de ses futures créations. Les fans de la marque ont ainsi une influence directe sur le prix du produit final.

Pour l’expert, les nouveaux canaux de vente et de marketing ont, dans un premier temps, facilité l’accès au marché. «Cependant, au vu du nombre d’acteurs déjà positionnés sur cette manne, se distinguer de la concurrence deviendra de plus en plus difficile.» Les marques adoptent ainsi différentes stratégies pour séduire la clientèle. La preuve par trois exemples.

Artime, un modèle unique qui casse les codes

Aux Brenets (NE), la marque Artime a été fondée en 2021 par six passionnés d’horlogerie passés notamment par Renaud & Papi et Greubel Forsey. «La marque est née de l’envie de vivre la passion du métier en osant casser les codes, en marge des grandes enseignes qui respectent un cahier des charges assez strict», explique Emmanuel Jutier, directeur commercial de l’entreprise. Elle vise à séduire une clientèle qui soit prête à participer financièrement au projet. «Chaque pièce requiert six mois de ressources et se vend 210 000 ou 225 000 francs. Nous devons donc sécuriser des acomptes avant de lancer la production», poursuit-il.

Le premier modèle unique de la marque (photo) a été suivi d’une deuxième itération en or rouge, lancée à l’occasion de Watch & Wonders (ex-Salon international de la haute horlogerie) à Genève au printemps 2024. Leur design se distingue par une approche globalement minimaliste, sans platine (ce sont les ponts qui servent de châssis au mécanisme), et un boîtier transparent qui permet d’observer le calibre dans son intégralité. «Cela permet de montrer que la création est parfaite sous tous les angles, car tout défaut de conception ou de fabrication serait visible. De plus, nous sommes parvenus à y intégrer un mécanisme unique en son genre: une cage de tourbillon sans pilier.»

Avec seulement 20 unités produites pour chacune des deux itérations, la marque neuchâteloise fait notamment valoir l’unicité et l’exclusivité de ses montres. «Chez certains clients, le fait de porter un modèle rendu quasi exclusif par le très petit volume de production constitue un argument très persuasif», observe le consultant Oliver R. Müller.

Elka, design intemporel et ode à la diversité

Hakim El Kadiri a fondé la marque Elka en 2022 pour se lancer en tant qu’horloger indépendant. Son but: donner vie à sa vision personnelle. Ancien cadre supérieur chez Swatch Group, le Neuchâtelois trouve que les grandes marques sont parfois réticentes à développer les idées qu’elles estiment risquées.

Il a souhaité se positionner en se portant sur le style néo-vintage. D’ailleurs, sa marque n’est pas tout à fait nouvelle puisqu’elle s’inspire d’une ancienne marque néerlandaise qui s’est éteinte en 1970. «J’aime le design intemporel de ces montres, issues de l’âge d’or de l’horlogerie à mouvement mécanique.» Heureux hasard, le surnom de l’entrepreneur, qui reprend son nom de famille, coïncide avec le nom de la défunte marque. «J’ai souhaité lui donner une seconde vie. A travers mes propres modèles, je replace les codes esthétiques dans notre époque contemporaine. Leur apparence leur permet de traverser les époques et les tendances sans vieillir.»

En plus d’insister sur l’aspect très personnel délivré à la fois par la coïncidence du nom de la marque et la volonté de perpétuer son design, Hakim El Kadiri a ajouté une corde à son arc en proposant un modèle consacré à la diversité des cultures: Elka Watch x Ace Jewelers se décline en quatre versions arborant chacune des chiffres aux graphies différentes – arabes occidentaux, arabes orientaux, chinois et hébreux. «Nous voulions créer une pièce qui symbolise la paix et la communion entre les différentes civilisations. Un message qui nous tenait à cœur.» Vendus 1750 francs, plusieurs centaines d’exemplaires ont déjà été écoulés en un an. Un nouveau modèle est attendu au printemps 2024.

Byrne, les quarts d’heure sur mesure

Fondée en 2022 et installée à Fleurier (NE) et à Paris, la marque Byrne a pris le pari d’ajouter les fonctionnalités personnalisables des nouvelles technologies dans la haute horlogerie. «Nous avons réussi à intégrer au mouvement une fonctionnalité qui fait pivoter en une fraction de seconde l’affichage des chiffres.» Quatre doubles cadrans, positionnés aux quarts d’heure, pivotent toutes les 24 heures à minuit pour laisser apparaître leurs deux faces successivement. Baptisée Gyro Dial, cette mécanique complexe permet des affichages différents, en forme comme en matière. Chiffres romains ou arabes, gravés à même le cadran ou taillés en diamant, la recette donne carte blanche au client.

Vendues entre 18 000 et 55 000 francs, les montres Byrne sont totalement fabriquées à la main et composées de pièces suisses. «Nous ne voulons pas acheter des composants de fabrication asiatique pour pousser les prix à la baisse», dit Claire Cohen, directrice générale de Byrne. Le cofondateur John Byrne bénéficie de près de 20 ans d’expérience en tant que spécialiste en rhabillage et réparation de montres. «Nous assumons de viser un segment haut de gamme principalement constitué de passionnés.» Jusqu’à présent, la marque a vendu 80 pièces via des détaillants et par vente directe. «Avec les options offertes par les nouvelles technologies, certaines grandes marques ont préféré retirer leur licence aux distributeurs pour privilégier la vente directe, ce qui a ainsi laissé plus d’espace et de visibilité aux micro-marques.» La marque Byrne a ainsi pu se positionner chez des revendeurs aux Etats-Unis, en France et à Dubaï, notamment.

Reste que, pour le consultant Oliver R. Müller, le poids des micro-marques mérite néanmoins d’être relativisé, puisque 0,8% seulement des revenus de l’horlogerie suisse sont générés par cette catégorie. Il doute également de leur rôle dans l’innovation technique. «Les micro-marques se concentrent le plus souvent sur les ornements en surface. Les recherches portant sur les innovations techniques, par exemple sur l’utilisation de matériaux légers pour une meilleure ergonomie, sont encore principalement l’apanage des grandes marques.»

L’impression 3D ne convainc pas

Cette industrie, dont le succès dépend en grande partie de la passion des acheteurs pour des techniques traditionnelles, semble incompatible avec la course à l’innovation à tout prix. En 2015, Christoph Laimer, un ingénieur suisse passionné d’impression 3D, avait fait grand bruit après avoir réussi à concevoir un mouvement en tourbillon en utilisant cette technologie. Le média américain Bloomberg prédisait alors que les futures montres seraient fabriquées avec des composants issus de ce type d’impression ultra-sophistiquée.

Huit ans plus tard, le bilan semble mitigé. «La 3D a certes facilité les processus de conception, car elle permet de créer des prototypes à moindre coût en un rien de temps», explique Oliver R. Müller, consultant spécialisé. Cette technologie ne s’est toutefois jamais imposée dans la fabrication des pièces vendues. «La montre, surtout de confection suisse, est avant tout le fruit d’un artisanat qui implique le souci du détail, la méticulosité de la main de l’horloger. L’impression 3D fait mauvaise figure dans ce milieu.»