Elle n’avait pas été consultée et n’a découvert les intentions de la direction de Migros que deux semaines à peine avant l’annonce de la vente d’Hotelplan. Une sacrée surprise pour la CEO du groupe, Laura Meyer, qui s’était avec ses équipes engagée corps et âme pour redresser le numéro un de la branche en Suisse, atteignant l’an passé un chiffre d’affaires de 1,73 milliard de francs. Energique et joyeuse, celle qui s’est révélée une cheffe capable de repenser la stratégie du groupe et de renforcer dans le même temps la confiance de ses 2500 collaborateurs travaille d’arrache-pied à la vente de l’entreprise fondée par Gottlieb Duttweiler en 1935. Passionnée par ce secteur qu’elle a abordé en outsider, elle détaille les nouvelles tendances du tourisme et du voyage.

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Vous êtes entrée en fonction comme CEO en janvier 2021, en pleine pandémie, alors que l’industrie du voyage était quasi à l’arrêt. Quels ont été les moments forts et décisifs de ces trois dernières années?

Le confinement m’a contrainte à établir les premiers contacts avec la plupart de mes collaborateurs à distance. Je n’ai d’ailleurs pu réunir l’ensemble de ma direction qu’à l’été! Cela dit, nous avons profité de la pandémie pour réfléchir et préparer la suite. A chacun de ces moments, ce sont les gens qui ont fait la différence. Au moment de la sortie de crise, nous étions naturellement orientés vers les ventes. Allaient-elles repartir à la hausse? Cela a été le cas en 2022, avec des augmentations notables et un retour à la profitabilité. Idem l’an passé avec un chiffre d’affaires record de 1,7 milliard de francs et une croissance de 20%.

Et pourtant, la direction de Migros a décidé au début de l’année de vendre le groupe Hotelplan. Vous êtes-vous sentie trahie?

J’ai été surprise. Mais je me suis immédiatement concentrée sur la suite. Sur le court terme pour gérer l’entreprise, maintenir la confiance des collaborateurs et répondre aux attentes de nos clients. Sur le moyen terme, il s’agit pour nous de poursuivre nos projets de développement – heureusement, nous avons pu poursuivre les investissements prévus. Je suis enfin impliquée à fond dans le processus de vente, apportant mon soutien à Migros, avec comme objectif de trouver la meilleure solution possible pour toutes les parties prenantes.

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Vous avez travaillé pendant près de dix ans pour McKinsey. Essayez de recoiffer votre casquette de consultante en stratégie: cette décision est-elle judicieuse?

Posez la question à la direction du groupe Migros. Comme je n’étais pas impliquée dans la décision, difficile pour moi de commenter. Je m’emploie à trouver la meilleure solution pour le personnel et les entreprises du groupe Hotelplan, ainsi que pour nos clients.

Mais le scénario d’une vente par étages ne peut pas être exclue…

La direction de Migros a été claire sur deux points. D’abord, la vente d’Hotelplan devrait ouvrir au groupe Hotelplan de nouvelles opportunités de développement, selon elle. Son objectif n’est par ailleurs pas d’obtenir le meilleur retour financier de cette cession, mais de trouver la meilleure solution pour l’entreprise. Dans la mesure du possible, l’ensemble du groupe sera cédé à un nouveau propriétaire unique. Une scission ne peut toutefois pas être totalement exclue.

Avez-vous songé à donner votre démission?

Non, je suis engagée corps et âme pour trouver la meilleure solution possible.

Migros

Début février, le géant orange a annoncé un vaste plan de réorganisation destiné à améliorer sa rentabilité. Dans le cadre de ce processus, le distributeur a déclaré vouloir vendre ses filiales Hotelplan, Mibelle, Melectronics et SportX. Plus de 1500 postes pourraient être concernés.

Parlons de vos vacances d’été. Vous avez choisi l’Albanie. Pourquoi?

L’Albanie était sur notre liste depuis un moment. Ce pays offre une grande diversité de possibilités. De belles plages – très important pour nos deux fils de 6 et 8 ans, qui sont bourrés d’énergie et toujours partants pour de nouvelles aventures. La randonnée, à l’intérieur des terres, dans une très belle nature. Une culture et une histoire riches, avec de nombreux monastères. Ce tour de deux semaines est aussi pour moi une manière de faire du repérage. Et si l’Albanie est encore une destination de niche, elle recèle un grand potentiel pour des vacances balnéaires d’un excellent rapport qualité-prix.

Justement, les destinations balnéaires ne sont plus aussi populaires que par le passé…

Pour l’ensemble de l’offre, nous sommes au-dessus de l’an passé et de 2019. Mais les destinations balnéaires pour l’été sont, c’est vrai, en léger recul. D’abord, parce que les familles ont tendance à réserver leur séjour un peu plus tardivement. Ensuite parce qu’elles choisissent de plus en plus de partir en automne ou en hiver. Un phénomène de lissage positif pour les destinations et concernant un tourisme socialement plus responsable et durable. Enfin, on observe une hausse des voyages individuels et le choix de nouvelles destinations.

Lesquelles?

L’attrait pour les pays nordiques se confirme. Nous avons d’ailleurs passé deux semaines en Islande en famille l’an passé, dans un mobile home. Outre ses richesses naturelles et ses paysages, cette île illustre le trend de ce qu’on appelle des «coolcations». Un nombre croissant de vacanciers veulent fuir la canicule. Des pays scandinaves qui se révèlent aussi de plus en plus populaires l’hiver. Nous avons d’ailleurs une offre charter pour la Finlande qui rencontre un beau succès.

Avec ses quatorze marques, le groupe Hotelplan coiffe de nombreux segments du marché du voyage et du tourisme. Quels sont les segments à la hausse? Et ceux à la baisse?

L’ensemble du marché est à la hausse et va le rester. Y compris le voyage d’affaires. Nous n’avons pas retrouvé les chiffres d’avant la pandémie dans ce segment, mais ça ne saurait tarder. Bien sûr, le rapport au voyage d’affaires a changé pour toujours. Parce qu’on a appris à travailler en visioconférence et donc à voyager moins. S’ajoutent à cela les nouvelles normes de durabilité auxquelles sont soumises les entreprises. Une gestion plus restrictive des déplacements par avion reste un levier important d’amélioration de leur bilan CO2. Mais on observe de grandes différences entre les entreprises. Certaines voyagent même plus qu’avant la pandémie.

Vraiment?

La baisse vient principalement des multinationales et des grandes institutions. En revanche, les PME exportatrices ont plus que jamais besoin d’aller voir sur place pour visiter leurs clients ou pour gérer en direct leurs sites de production. Difficile par écrans interposés. D’autre part, beaucoup d’entreprises ont pris conscience pendant la pandémie des coûts liés à l’organisation des voyages et privilégient désormais des prestataires extérieurs. Autre tendance: la combinaison des déplacements professionnels et de loisirs. Un nombre croissant de clients prolongent leur séjour à l’étranger par un week-end touristique. Et même plus quand il s’agit de déplacements outre-Atlantique ou en Asie, par exemple. Ou alors, à l’inverse, ils prolongent leurs vacances privées par une semaine de travail à distance sur place. C’est le trend de ce qu’on appelle le «workation». Encore un néologisme. Tous ces changements génèrent une demande de services pour lesquels nous sommes bien placés. Y compris la comptabilité des émissions des entreprises et les solutions offertes pour améliorer leur bilan carbone.

Quel avenir pour le tourisme de bien-être?

Il est radieux! En devenant CEO du groupe Hotelplan, j’ai par exemple découvert combien ce segment est porteur en Suisse romande, où nous vendons une quantité impressionnante de séjours thalasso. On voit aussi une demande croissante pour les séjours ayurvéda et yoga en Inde et au Sri Lanka.

Avec Interhome, le groupe Hotelplan est aussi actif dans la location d’appartements et de maisons de vacances. Comment faire face au tsunami Airbnb?

Airbnb est une plateforme de pure distribution. Et elle assure parfaitement cette fonction. D’ailleurs, nous l’utilisons comme canal pour nos propres produits. Dans le même temps, nous visons bien évidemment à augmenter nos ventes en direct. Voilà pourquoi je dis volontiers qu’Airbnb est à la fois ami et ennemi. Notre meilleur ennemi, en quelque sorte.

Quelle est votre valeur ajoutée?

Airbnb ne prend aucune responsabilité, ni vis-à-vis du locataire, ni vis-à-vis du loueur. Contrairement à Interhome. Nous visitons tous les objets de location, vous êtes donc sûr de recevoir ce que vous avez réservé. Nous assurons l’ensemble des services, de la réservation au nettoyage des appartements et des maisons après le séjour. Avec tous les outils numériques ad hoc. Et si vous avez un problème, vous pouvez toujours vous adresser à nous directement par téléphone, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

Combien de pays couvrez-vous?

Une vingtaine. Et nous sommes présents physiquement avec des centres de service Interhome dans douze d’entre eux, principalement en Europe. Nous offrons à la location aussi bien de simples appartements que des villas ou des chalets de luxe. L’an dernier, grâce à un accord de collaboration avec l’agence danoise Sol og Strand, nous avons ajouté quelque 6000 objets à notre offre, atteignant un total de 40'000 objets dans notre portfolio.

«Interhome représente plus de 20% de notre chiffre d’affaires. Notre objectif est d’offrir des appartements et des maisons de qualité aux clients.»

 

Quel est le poids pour Hotelplan du marché de la location?

Interhome représente plus de 20% de notre chiffre d’affaires – 390 millions de francs en 2023. Et c’est un marché en plein développement. Notre objectif est d’offrir des appartements et des maisons de qualité aux clients, mais aussi de décharger et d’aider les propriétaires.

Le marché du voyage était déjà en pleine transformation avant la pandémie. Un sacré défi pour une outsider du secteur…

J’ai toujours eu une passion pour le voyage. C’est un produit merveilleux, qui éveille les émotions. Il est vrai que, comme les médias, l’industrie du voyage est l’une des plus disruptées par la digitalisation. Vu mes compétences dans le domaine, mon objectif en acceptant le poste était de faire une vraie différence. Et cela dans un rôle de CEO au bénéfice d’une marge de manœuvre importante pour l’ensemble des entités du groupe.

Vous n’avez jamais été ébranlée dans votre détermination?

Non, tout au long de la pandémie, j’ai été persuadée que les gens allaient se remettre à voyager. Les agences qui s’adaptent ont un bel avenir devant elles. Nous avons beaucoup travaillé sur l’amélioration de l’expérience numérique du client. Dans le même temps, une part importante de notre clientèle apprécie une offre personnalisée qui va de pair avec un important gain de temps. D’ailleurs, le recours par nos collaborateurs aux outils offerts par l’intelligence artificielle (IA) leur permettra précisément de se concentrer sur les contacts humains.

Avec ses 2500 collaborateurs, Hotelplan est le numéro un du secteur en Suisse, mais il reste un poids moyen à l’échelle internationale. Voilà l’un des arguments souvent évoqué par Migros pour justifier sa vente…

La taille n’est pas le critère le plus important. Sinon pourquoi Thomas Cook, l’ex-numéro un de la branche, serait-il parti en faillite? Nous pouvons faire preuve d’une agilité que les plus grands groupes n’ont pas forcément. D’ailleurs, sur le marché de la location, nous sommes, avec Interhome, le numéro deux en Europe. Enfin, notre capacité financière nous permet des investissements en matière de digitalisation hors de la portée des acteurs plus petits.

Il existe une tension constante entre tourisme et durabilité. Comment y faire face?

Nous l’abordons par le prisme des 17 objectifs du développement durable de l’ONU et donc dans une perspective holistique. D’abord, le tourisme est générateur d’emplois, il contribue dans beaucoup de pays à sortir les populations de la pauvreté, il ouvre le marché du travail aux femmes. Un facteur d’égalité des genres, donc. Il induit un développement d’infrastructures, il permet au final un financement de la préservation de la nature. A contrario, la chute des revenus touristiques peut entraîner des pertes de biodiversité et un recul de la protection de la faune et des forêts, comme on l’a observé en Afrique, par exemple. Ce qui ne doit en rien nous empêcher de trouver des solutions aux impacts négatifs du tourisme et du voyage.

C’est-à-dire?

Comme l’ensemble du groupe Migros, nous avons des objectifs climatiques ambitieux et nous visons une réduction de moitié de nos gaz à effet de serre d’ici 2030 et le net zéro d’ici 2050. Hotelplan s’est engagé dans la promotion du Sustainable Aviation Fuel (SAF), qui génère 60 à 80% moins d’émissions que le kérosène. Nous aidons les hôtels de notre réseau à réduire leur empreinte carbone, notamment en installant des panneaux solaires. Hotelplan UK, Travelhouse et Tourisme pour tous calculent l’empreinte carbone de chacune des propositions de voyage individuel. Objectif: créer la transparence qui permettra au client de s’orienter.

Quid des voyages en train?

La demande est en augmentation et nous en faisons systématiquement la promotion. Mais les limitations restent importantes. Celle du temps de déplacement, d’abord. Pour Paris, il n’y a pas photo. Mais dès que vous dépassez les six heures, c’est compliqué. Les destinations desservies par des trains de nuit? Elles restent trop peu nombreuses. Les réservations commencent tard, les prix restent souvent supérieurs à ceux des vols en avion. Les compagnies ferroviaires européennes ont encore d’énormes progrès à faire en termes d’interopérabilité des rames. La majorité des voyageurs vont continuer de choisir l’avion, il faut se rendre à l’évidence. D’ailleurs, le mois passé, le nombre de vols au départ ou à destination des aéroports de Zurich et de Genève a dépassé celui d’avant la pandémie. Voilà pourquoi nous accordons une telle importance aux carburants alternatifs avant que l’hydrogène et l’électricité ne prennent le relais. Ce qui arrivera dans de nombreuses années.

Bio express

1981 
Naissance à Zurich. Père professeur et entrepreneur. Mère enseignante dans une école pédagogique.

2006 
Master en droit de l’Université de Zurich. Rejoint McKinsey l’année suivante. En 2009 et 2010, MBA à l’Insead en cours d’emploi.

2015 
Après un court passage à la NZZ, elle rejoint UBS, dans diverses positions liées à la digitalisation. Naissance de son premier fils, le deuxième naîtra en 2018.

2021 
CEO du groupe Hotelplan. Entre au CA de la NZZ l’année suivante.