Sur les marchés des capitaux et des devises, c'est la fin de la tranquillité estivale. Depuis vendredi dernier, l'ambiance s'est radicalement retournée. Tous les principaux indices mondiaux ont enregistré d’importantes pertes. Dans les commentaires sur l'évolution de la situation, il a été question de panique. Le fait que la tempête n'est pas terminée, même après la respiration du week-end, était surtout visible ce matin dans l'évolution en Asie, où les marchés boursiers ouvrent beaucoup plus tôt en raison du décalage horaire. Le Nikkei 225, qui indique l'évolution des 225 plus grandes actions du Japon, a perdu 12,5% de sa valeur.
La bourse suisse, mesurée par l'indice directeur SMI, a enregistré lundi matin des pertes allant jusqu'à 3%. UBS a chuté de plus de 4%. Les contrats à terme sur la bourse américaine, qui permettent de parier sur l'évolution des cours après l'ouverture des bourses locales, laissent également présager une nouvelle chute des cours. Le contrat à terme pour le S&P 500, l'indice américain le plus important, était coté lundi matin à moins 3,1%, celui pour l'indice technologique Nasdaq était encore nettement plus bas à moins 5,6%. Les indices de volatilité comme le VIX aux Etats-Unis ou le VSMI en Suisse, considérés comme des baromètres de la peur, s'envolent également nettement à la hausse. Comme ils calculent la volatilité à partir des options négociées, ils sont un signe infaillible de la nervosité sur les marchés.
Ce qui pousse le franc à s'apprécier
Les craintes qui se sont fait jour se traduisent par une appréciation rapide du franc: le cours de l'euro par rapport à la monnaie suisse était inférieur à 93 centimes lundi matin. Mi-juillet encore, la monnaie unique s'échangeait à près de 98 centimes. Le Bitcoin a également brutalement chuté: la cryptomonnaie cotait moins de 51 000 dollars par unité lundi matin, contre 68 000 dollars la semaine dernière.
Une série d'évolutions ont conduit à l'inquiétude, notamment une réévaluation des investissements dans l'intelligence artificielle, la politique monétaire au Japon et l'incertitude conjoncturelle accrue aux Etats-Unis, mais aussi en Europe. Comme c'est toujours le cas lorsque les marchés s'effondrent et que l'économie s'inquiète, la nervosité grandit également pour le système financier, car les banques risquent d'être mises sous pression des deux côtés: parce que le risque de crédit augmente et parce que leurs actifs risquent d'être moins bien valorisés.
C'est aussi la raison pour laquelle le cours de l'action UBS a récemment enregistré les plus fortes pertes en Suisse: plus de 9% vendredi dernier. Mais cela n'a pas grand-chose à voir avec la grande banque suisse, car les titres bancaires enregistrent de fortes pertes de valeur dans le monde entier.
Désenchantement quant au potentiel de l'intelligence artificielle
Jusqu'à récemment, le moteur dominant, et de loin, des bourses était le pari sur le potentiel de l'intelligence artificielle. Les groupes leaders dans ce domaine, comme Microsoft, Amazon, Alphabet, la maison mère de Google, et Meta, ont donc enregistré des gains de cours massifs. Et comme ils investissent tous des sommes colossales dans l'intelligence artificielle - notamment dans des puces spécialisées de Nvidia - c'est cette entreprise qui a le plus progressé et qui a tiré toute la bourse américaine.
Le vent a désormais tourné. Bien que les entreprises aient récemment présenté des résultats positifs pour les six premiers mois de l'année, certaines n'ont pas été en mesure de répondre aux attentes encore plus élevées. Depuis un mois déjà, les titres d'Alphabet, d'Amazon et de Microsoft ont drastiquement chuté, tout comme ceux de Nvidia. On s'est toujours inquiété de savoir si les investissements massifs dans l'intelligence artificielle de ces entreprises dans la course au leadership, malgré les possibilités d'application impressionnantes, allaient finalement se traduire économiquement par des bénéfices plus élevés. Aujourd'hui, les doutes semblent prendre le dessus.
Les conséquences du «carry trade» au Japon
La chute particulièrement extrême des actions au Japon est liée à la politique monétaire de ce pays. Face à des taux d'intérêt nettement plus bas et à une monnaie nationale, le yen, trop faible, il semblait intéressant d'emprunter en yens, de vendre les yens contre des dollars et de placer l'argent aux Etats-Unis à des taux d'intérêt plus élevés. Cela a encore fait baisser la valeur du yen. Tout a changé depuis que la banque centrale japonaise a surpris la semaine dernière en relevant légèrement son taux directeur. Ce «carry trade» est ainsi devenu un risque élevé.
En effet, si le cours du yen en dollars augmente suite à la hausse des taux d'intérêt, des pertes sont à craindre, car les crédits contractés en yens deviennent plus chers par rapport au dollar. C'est pourquoi les placements en dollars sont rapidement vendus et les yens rachetés, ce qui alimente encore l'appréciation du yen. Or, une monnaie rapidement plus chère est une catastrophe pour la compétitivité des entreprises exportatrices japonaises, d'où l'effondrement des actions. Comme il n'est pas encore possible de savoir qui doit supporter les pertes et lesquelles, le système financier suscite également des inquiétudes. Il n'est donc pas étonnant que la grande banque japonaise Mitsubishi UFJ Finance Group ait perdu près d'un quart de sa valeur boursière en l'espace d'une semaine.
Inquiétudes croissantes pour l'économie réelle
A ce cocktail toxique s'ajoutent des inquiétudes croissantes quant à l'évolution de la conjoncture, désormais également aux Etats-Unis. En Europe, les perspectives sont déjà sombres depuis un certain temps. Le grand rapport mensuel sur l'emploi publié vendredi par le ministère américain du Travail a particulièrement alimenté la baisse des cours, car il fournit des indications selon lesquelles la situation sur le marché du travail américain s'affaiblit nettement plus que prévu jusqu'à présent.
Cela a notamment entraîné un changement radical des attentes du marché concernant le comportement de la banque centrale américaine (Fed). Alors que l'on s'attendait auparavant à une baisse des taux d'intérêt de 0,25 à 0,5% d'ici la fin de l'année, c'est désormais 1% qui est attendu. Les attentes ont également changé en ce qui concerne la Banque nationale suisse: selon les données du marché, deux baisses de taux de 0,25% chacune sont désormais prévues d'ici la fin de l'année en Suisse, contre une seule auparavant.
La situation se dégradera encore davantage, tant dans l'économie réelle que sur les marchés des capitaux, si un embrasement généralisé se produit au Proche-Orient. Après l'assassinat d’un responsable du Hezbollah à Beyrouth au Liban et d'un chef du Hamas à Téhéran en Iran, il faut s'y attendre à tout moment. Si le prix du pétrole reste bas, à moins de 77 dollars le baril de Brent, malgré l'importance stratégique de cette région pour la matière première, c'est uniquement parce que les inquiétudes concernant la conjoncture mondiale semblent actuellement avoir plus de poids.
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Cet article est une adaptation d'une publication parue dans Handelszeitung.