Fin juin, le collège international Champittet a fermé définitivement ses portes à Nyon. A quelques kilomètres de là, l’Ecole Moser achevait la construction de son nouvel écrin de Grens. Ce campus donnera la part belle à l’enseignement en extérieur. Alain Moser a même poussé le concept jusqu’à développer une fragrance de prairie et forêt pour ses classes. L’établissement accueille des élèves de la primaire à la maturité suisse ou internationale. Avec 30 millions de chiffre d’affaires pour ses sites suisses et 250 collaborateurs, l’école privée ne connaît pas la crise.

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Alain Moser, comment expliquez-vous le succès de votre école?

Plus de 70% de nos élèves sont Suisses ou basés localement, même si nous avons 41 nationalités et 12 langues parlées. Les écoles plus internationales souffrent davantage du tournus des élèves. Notre projet avec une approche trilingue immersive forte (français, allemand, anglais) et la pédagogie positive plaît aussi. Enfin, avec 25 000 francs par an de frais de scolarité, nous sommes en dessous de certaines écoles appartenant à des groupes. Nous n’avons pas d’actionnaires à contenter. Je suis l’actionnaire majoritaire, avec une participation d’Ernesto Bertarelli, avec qui j’ai étudié ici.

Vous ne cessez de croître depuis la création de l’école par votre père en 1961. Un défi RH pour trouver des enseignants alors que le public souffre d’une certaine pénurie.

Avec 800 et 700 élèves sur Genève et Vaud, nous restons à taille humaine et ne souhaitons pas grandir davantage. Pour les enseignants, il n’y a pas de pénurie en Suisse romande et la HEP en forme chaque année. Ce qui nous pose problème, en revanche, c’est la concurrence salariale du secteur public où les salaires des fonctionnaires sont supérieurs à ceux du privé, avec un 13e salaire et 16 semaines de vacances. Mais ça, personne n’en parle. L’intérêt de nos enseignants est donc ailleurs. Ils trouvent un cadre dynamique qui évolue sans cesse. Nous disposons par exemple d’un laboratoire dédié à la formation continue. Ils ne sont pas là seulement pour transmettre des savoirs, mais contribuent aussi à l’éducation de l’enfant.

C’est ce que vous appelez la pédagogie positive?

Absolument. Enseignants, élèves et personnel signent une charte de dix points évalués chaque année. Le respect, l’autonomie et la solidarité sont nos trois piliers, auxquels s’ajoutent les compétences sociales telles que la prise de parole, le feed-back, la responsabilité ou la sobriété numérique. Ces acquisitions permettent de mieux s’insérer en entreprise ou de devenir un meilleur leader.

Vous avez été l’une des premières écoles à proposer une plateforme d’e-learning, en 2012 déjà. Aujourd’hui, vous évoquez la sobriété numérique. Curieux, non?

Nous avons toujours été un acteur du changement. Nous étions précurseurs déjà pour l’enseignement immersif des langues, les maturités bilingues et l’enseignement numérique. Il y a eu une sorte d’euphorie avec le digital, au début. Cela nous a beaucoup aidés durant la pandémie de covid. Elèves et enseignants étaient familiarisés avec ces outils. Mais nous sommes allés trop loin. Aujourd’hui, nous avons mis en place une limite de 30% du temps scolaire face à un écran pour les primaires, le reste devant se faire avec un papier et un crayon. Nous sensibilisons aussi les collaborateurs et les jeunes à l’impact CO2 du numérique, que ce soit pour le streaming ou l’envoi de pièces jointes.

Et concernant l’IA, quelle est votre approche?

C’est une catastrophe pour l’école, un oreiller de paresse. Nous l’avons interdite pour le primaire, mais nous l’introduisons et l’encadrons dans le secondaire. Ces outils IA sont bluffants mais véhiculent une quantité de fausses informations. Pour cette raison, nous avons renforcé l’éducation aux médias, demandons de citer les sources des travaux effectués et avons augmenté la valeur des présentations orales, afin de s’assurer de la connaissance des sujets traités.

Autre défi touchant écoles et employeurs: le manque de perspectives et la santé mentale des jeunes. En 2002, vous écriviez que «nos élèves doivent se sentir bien et en phase avec le siècle dans lequel ils grandissent». Mission réussie?

C’est un mantra qui reste d’actualité. L’Ecole Moser n’est pas un îlot hors du monde où tout le monde serait heureux. Je fais actuellement un CAS en management du bonheur dans les organisations. Pour devenir un meilleur leader, il faut accepter ses vulnérabilités. J’observe une forme de gravité chez les jeunes, avec de l’écoanxiété, une pression sur l’image de soi via les réseaux sociaux, un besoin de performance accrue. Il y a moins d’insouciance. Il y a cinq ans, je n’avais pas de psychologue dans l’école. Aujourd’hui, nous en avons une à Genève et un à Nyon, qui sont tous deux débordés.

Nous avons aussi renforcé les visites d’anciens étudiants ou de personnes inspirantes qui incarnent cet esprit positif. Par exemple, des startupers viennent expliquer leur parcours et ce que l’école leur a appris. Parallèlement, chaque décision de la direction est prise dans le prisme du bien-être des collaborateurs et des élèves. Ainsi, nous réfléchissons à poursuivre notre modèle de maturité en 2,5 ans à Nyon, afin de ne pas générer de stress inutile.

Vous avez reçu le prix européen de l’école inclusive l’an dernier. Avez-vous été confronté aux manifestations en lien avec le conflit israélo-palestinien?

L’établissement est totalement laïc et nous encourageons une culture du débat. Nous avons mis en place un événement volontaire avec les professeurs de philosophie, d’histoire et de géographie, pour comprendre et parler du conflit, le repositionner dans l’espace et le temps et réfléchir sur la guerre, la haine, le tout sans stigmatisation.

Vous avez 59 ans, avez-vous reçu des offres de rachat de l’Ecole Moser?

Plusieurs! Mais je m’amuse encore beaucoup, mon métier est tellement diversifié; cela va de l’immobilier à la formation, en passant par le numérique et des projets sur l’alimentation. J’ai aussi trois filles, l’une dans la communication, l’autre dans le droit et la dernière dans la psychologie du travail. A elles trois, elles ont les capacités de reprendre l’école, mais elles feront ce qu’elles veulent.