A l’échelle mondiale, 40% des émissions de gaz à effet de serre sont imputées aux bâtiments. Rien qu’en Suisse, 25% des émissions proviennent du secteur de la construction. Un point noir dans la lutte contre le réchauffement climatique. Et un défi pour Openly. La jeune société saint-galloise vient de livrer son premier immeuble totalement neutre en CO2. En utilisant des matériaux de construction et des approches écologiques innovants, Openly réduit les émissions de 70% dans le processus de construction. Andy Keel, son fondateur, nous explique comment adopter une vision fonctionnelle et respectueuse de l’environnement dans l’architecture et la construction.
A Widnau, dans le canton de Saint-Gall, vous avez achevé la construction d’un immeuble résidentiel de 19 appartements dont l’exploitation est non seulement neutre en CO2, mais aussi positive sur le plan climatique. En d’autres termes?
Le gain d’énergie est obtenu grâce à d’excellentes valeurs d’isolation, une masse de stockage élevée avec de l’argile, par exemple, et du béton de chanvre, des surfaces de fenêtres réduites, mais aussi l’utilisation de l’énergie photovoltaïque et d’un système intelligent de gestion de l’énergie.
Avec quelles technologies avez-vous pu obtenir un tel ratio?
C’est notamment possible grâce à l’utilisation de matériaux de construction locaux, non fossiles et biogènes. Nos bâtiments émettent déjà très peu de CO2 lors de leur construction. A l’heure actuelle, les émissions de CO2 calculées sur la surface de référence énergétique (EBF) se montent à 4 kg/EBF. En fonction de la commande du client, c’est une économie qui peut aller jusqu’à 70%.
Vous avez développé en interne des matériaux de construction et des composants qui n’étaient pas disponibles auparavant.
Nous avons par exemple développé des murs préfabriqués en béton de chanvre, avec une réduction de 400% du coût par rapport aux méthodes conventionnelles tout en respectant les mesures de sécurité incendie. Les zones soumises à des normes plus strictes en matière de bruit et de sécurité incendie sont construites avec des murs en argile. L’utilisation du béton biochar, c’est-à-dire du béton végétal, nous permet un stockage d’environ 100 kg de CO2 par m3 et une réduction de l’empreinte carbone du béton d’environ 40%.
Ce bâtiment à énergie positive libère plus d’énergie qu’il n’en absorbe. Pouvez-vous nous expliquer?
De mars à octobre environ, le bâtiment est autosuffisant grâce aux batteries. C’est-à-dire que la production diurne alimente la consommation nocturne. De plus, nous produisons de l’eau chaude et rechargeons les voitures pendant la journée via nos 23 stations de recharge installées et nous pouvons faire fonctionner tous les lave-vaisselle et les machines à laver pendant la journée. Nous devons déplacer la consommation d’énergie vers le milieu de la journée et l’après-midi en raison de l’augmentation massive de l’énergie solaire. Quant au stockage saisonnier, nous utilisons le réseau. Au total, nous disposons d’environ 30 000 kWh d’énergie supplémentaire par an. Sur une année, donc, l’immeuble est autosuffisant.
Les bâtiments sont-ils des puits de carbone, c’est-à-dire qu’ils absorbent davantage de CO2 qu’ils n’en rejettent?
Exactement. En 2025, nous inaugurons le standard global C-Sink pour les matériaux intégrés au prochain MIPIM de Cannes, le plus grand salon de l’immobilier. Le C-Sink est une norme mondiale attestant que certains matériaux sont des puits de carbone. La nouveauté, c’est que nous allons intégrer cette norme aux matériaux biogènes inclus dans les structures. Grâce à ce certificat de CO2, nous pourrons labelliser le bois, le chanvre, la paille et le bambou présents dans notre appartement. D’autre part, les propriétaires de nos logements peuvent exploiter ce CO2 pour leurs propres installations et ainsi réduire leurs émissions annuelles de CO2. C’est énorme.
Quel est le coût d’un tel logement par rapport à une construction conventionnelle?
Le coût moyen de construction par m2 brut en Suisse pour des objets locatifs «bon marché» est d’environ 3200 fr./m2. Les coûts Openly se situent entre 3500 et 3800 fr./m2. Cela représente une majoration de 10 à 15%.
Les matériaux sont-ils suffisamment disponibles en Suisse pour généraliser vos immeubles neutres en CO2?
Absolument. La France, par exemple, dispose d’une capacité de production de chanvre industriel qui suffirait pour toute la Suisse, c’est-à-dire la construction de 50 000 appartements par an.
Les marchés de la construction et de l’immobilier sont-ils mûrs pour ce type de construction?
Non. Il y a très peu de demande. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, l’absence de prise de conscience du changement climatique par le secteur. Mais aussi l’absence de taxe sur le CO2 et de subventions – ou d’incitations – comme c’est le cas pour Minergie.
Quelle est la différence, en termes de dépenses, entre le propriétaire d’un appartement Openly et le propriétaire d’une maison conventionnelle?
Les coûts d’exploitation sont extrêmement bas. Nous estimons que le coût de l’énergie pour un appartement de trois chambres à coucher est d’environ 25 fr./m2 pour un logement Openly. De plus, les coûts de rénovation sont très faibles, car toutes les zones techniques sont accessibles. Quant aux charges d’un appartement de 4 pièces, elles sont estimées à 300 francs par an pour l’électricité, le chauffage et l’eau chaude.
Quelles sont les prochaines étapes pour Openly?
Nous sommes à la recherche d’un partenariat stratégique et d’un investisseur pour développer notre activité de conseil en Suisse comme à l’étranger. Dès 2025, nous mettrons en place une certification des puits de carbone provenant de matériaux de construction biogène. A cela s’ajoutent nos programmes d’accompagnement. Notre objectif est de partager ces connaissances ouvertement afin de créer le plus grand impact possible.