Faire gagner du temps aux employés afin qu’ils puissent se consacrer à des tâches à plus forte valeur ajoutée. C’est le graal de la plupart des entreprises aujourd’hui et l’une des grandes promesses de l’intelligence artificielle. Leader dans le domaine des solutions de gestion de la relation client (CRM), la société californienne Salesforce met plus que jamais l’accent sur cette technologie.
L’IA au service des entreprises
Cofondée il y a vingt-cinq ans par Marc Benioff, un ancien d’Oracle, cette firme emploie plus de 72'000 personnes dans le monde pour un chiffre d’affaires avoisinant 35 milliards de dollars, dont 15% sont investis chaque année dans les R&D. Sur cette part, une enveloppe importante est allouée à l’innovation en matière d’IA. L’intelligence artificielle était le thème central de l’événement Dreamforce que la société organisait en septembre à San Francisco. A cette occasion, le groupe, qui a racheté il y a quatre ans la plateforme Slack pour la bagatelle de 28 milliards de dollars, a réuni près de 45'000 personnes sur trois jours, sans compter les millions de connexions en ligne aux différentes conférences!
«Le secret réside dans la combinaison des données, des actions et de l’intelligence artificielle», résume Patrick Stokes, vice-président Product & Industries Marketing chez Salesforce. En effet, aujourd’hui, ce n’est plus le type de modèle de langage à large échelle qui prime, mais l’association du modèle avec des données sûres et de qualité. Il s’agit de réduire au maximum les taux d’hallucination, soit les réponses fausses présentées comme des faits certains en IA. Pour ce faire, le modèle doit être ancré dans les données propres aux entreprises.
Bref rappel historique: les chatbots opéraient à la base grâce à des solutions préprogrammées, en fonction de questions scénarisées. Les copilotes, des assistants numériques désormais alimentés par l’IA, se sont ensuite développés. Aujourd’hui, on parle d’agents autonomes fournissant des réponses contextualisées en quelques clics. L’enjeu consiste à mettre en place une suite d’agents interconnectés, permettant de mieux déléguer des tâches à faible impact, mais aussi de gérer des fonctions complexes ou à plusieurs étapes. C’est le but d’Agentforce, présenté par le groupe américain lors de la conférence. D’ici à fin 2025, la firme ambitionne d’activer 1 milliard d’agents avec cette solution. Aux Etats-Unis, des sociétés comme OpenTable, Saks et Wiley l’utilisent déjà. L’entreprise Wiley a constaté, depuis, une amélioration de 40% de son taux de résolution des cas.
Agents autonomes et gains de productivité
Ces outils personnalisables peuvent donner des réponses spécifiques au service clientèle, gérer des campagnes marketing ou coordonner des activités d’e-commerce. «Ces agents sont capables de prendre des décisions par eux-mêmes, sous contrôle, ce qui renforce la productivité des entreprises», explique Rami Habib, directeur général de Salesforce Suisse. A titre d’exemple, Agentforce compte divers agents préconfigurés pouvant interagir avec les prospects, aider les acheteurs à trouver leurs produits ou soutenir les employés dans des tâches spécifiques.
L’une des technologies utilisées pour renforcer l’autonomie des agents est la génération augmentée de récupération (RAG). Ce modèle ne se base pas sur un pré-entraînement, à l’image de ChatGPT, mais combine la création de texte avec la collecte d’informations en temps réel. Il utilise un moteur de recherche ou une base de données pour trouver des documents ou des passages pertinents en fonction d’une question ou d’un contexte donné, avant de fournir la réponse la plus complète et appropriée possible.
Responsable CRM pour la Suisse romande chez Elca Informatique, Vincent Blanchard souligne que, au-delà de l’interaction avec un agent conversationnel, l’IA permet d’obtenir une vision synthétique de l’historique des échanges avec un client, d’extraire automatiquement les éléments clés d’un e-mail ou d’une discussion téléphonique, voire de produire des e-mails avec des offres personnalisées.
Les solutions les plus connues – Einstein (Salesforce) et Copilot (Microsoft) – comptent, selon lui, plusieurs avantages, notamment le fait de bénéficier d’investissements massifs garantissant leur stabilité et la performance croissante de leurs fonctionnalités. «De plus, ces plateformes autorisent un haut degré de personnalisation et d’intégration, et cela à un coût raisonnable. On peut encore mentionner l’importante communauté d’experts, ainsi que la disponibilité et la réactivité des éditeurs.»
Toutefois, la complexité des modèles de licences de ces systèmes ne doit pas être sous-estimée. «Il faut aussi tenir compte des limitations de la portabilité vers d’autres supports, le fameux ‛enfermement propriétaire’ qui exige une analyse poussée des besoins en amont de la sélection d’une plateforme.»
La facturation peut se faire sur la base de souscriptions ou de tarifs par conversation. Salesforce évoque un prix de 2 dollars par conversation, avec des remises en fonction du volume. L’entreprise, qui a développé des partenariats avec Amazon Web Services, Google, IBM ou encore Workday, souhaite conserver une certaine flexibilité en la matière pour s’adapter aux attentes de ses clients. Pour sa part, Microsoft Copilot Studio propose, par exemple, un tarif de 200 dollars par mois pour 25'000 messages.
CRM et IA, un duo gagnant
En ce qui concerne les licences, lorsqu’il s’agit de donner accès aux utilisateurs à un agent conversationnel pour augmenter leur productivité, la souscription peut s’élever à quelques dizaines de francs par utilisateur et par mois. Pour que la solution s’intègre parfaitement aux processus et à l’écosystème de l’entreprise, la mise en route de tels CRM s’accompagne souvent de développements spécifiques. C’est cette flexibilité qui différencie ces plateformes d’autres systèmes plus verticaux (Hubspot, Pipedrive), plus rigides mais prêts à l’emploi.
Selon Vincent Blanchard, la personnalisation et l’intégration d’un CRM peuvent s’élever à plusieurs centaines de milliers de francs pour une entreprise d’environ 500 employés. Migrer de Salesforce vers Microsoft Dynamics, ou vers toute autre solution, et vice versa, exige de reconfigurer presque entièrement les paramètres et une grande partie des fonctionnalités.
Dans un secteur en pareille mutation, certaines sociétés de taille restreinte peuvent se sentir quelque peu désemparées. Giovanni Crispino, responsable des petites et moyennes entreprises émergentes pour la région EMEA chez Salesforce, conseille à ces dernières de ne pas «chercher à réinventer la roue en matière d’IA et de s’inspirer de ce que font leurs propres clients ou consommateurs».
A l’avenir, les interactions entre agents devraient logiquement continuer de se développer. Quant à la collecte de données, au-delà des textes, elle devrait se faire toujours plus à partir de vidéos, d’images ou d’éléments audio. Mais une touche humaine restera toujours nécessaire, du moins pour l’instant. «Les modèles de langage à large échelle sont doués pour synthétiser une grande masse de données, pas pour créer, indique Patrick Stokes. C’est le contraire pour les individus.»
Salesforce estime les retombées économiques de la dernière édition de Dreamforce pour San Francisco à 93 millions de dollars. Une manne bienvenue pour la ville californienne, confrontée à plusieurs difficultés (drogue, sans-abris), ainsi qu’à l’exil récent de géants de la tech (X, Hewlett Packard Enterprise, Palantir), partis vers des cieux fiscalement plus cléments.
Néanmoins, la métropole continue d’attirer les start-up suisses. Afin de les soutenir dans leur entrée sur le marché américain, Swissnex gère un programme d’accélération en partenariat avec Innosuisse. Depuis 2010, plus de 190 jeunes pousses helvétiques, dont trois licornes (MindMaze, Nexthink, Scandit), ont été soutenues. Parmi elles, 70% sont toujours actives aujourd’hui. Elles ont levé une somme collective de 2,2 milliards de dollars.